« L’esthétisme ne doit pas primer sur l’information », Véronique de Viguerie, photoreporter
Le 60e album de Reporters sans frontières (RSF), en vente ce jeudi 7 mars, met à l'honneur le travail de la photographe Véronique de Viguerie. Nous avons eu envie de la rencontrer pour échanger sur son métier, ses aspirations, mais aussi sur les difficultés éprouvées en terrain de guerre.
Guiti News : Nigéria, Irak, Afghanistan.. Vous avez multiplié ces dernières années les reportages photo dans les zones de conflits. Et, vous avez remporté l’an dernier le Visa d’or au Festival International du Photojournalisme venant couronner ce travail de terrain. Qu’est-ce que ça change concrètement d’être une femme quand on est photo-reporter ?
Véronique de Viguerie : Être une femme sur le terrain peut être un avantage. Surtout au Moyen-Orient, où l’on est perçues comme un troisième sexe : nous ne sommes pas des hommes, mais nous ne sommes pas non plus les femmes qu’ils côtoient traditionnellement. Et cette particularité nous prélude plein d’accès, notamment auprès des femmes. Avec les hommes, comme nous ne représentons pas un danger, nous n’engendrons pas de méfiance, la communication est plus détendue, plus facile. A contrario, évidemment on doit faire plus attention aux viols. On ne peut pas jouer sur la camaraderie de peur de donner de mauvaises impressions. Sans parler des fois où nous pouvons nous cacher sous des burqas pour passer inaperçues.
Quelle a été votre motivation pour devenir photoreporter après des études de droit ? Qu’est-ce qui continue de vous animer des années plus tard ?
J’ai étudié le droit, parce que je voulais devenir parachutiste… Mon père m’a répliqué : «D’accord, mais tu passes une licence. Car, si tu dois entrer dans l’armée, il faut que tu sois au moins officier » . En faisant mon droit, j’ai réalisé que j’aurais beaucoup de mal avec la discipline militaire. J’ai lu un roman (à la con) sur une femme photoreporter qui partait dans le Sahara avec des Touaregs. Et ça a été une révélation ! Je me suis dit que je voulais devenir cette femme. Je suis partie étudier la photo en Angleterre. S’il s’avérait que j’étais nulle en photo, j’aurais au moins appris l’anglais – toujours utile -. Pour obtenir mon diplôme, il fallait faire un an dans un journal. Ce que j’ai fait au Lincolnshire Echo, et ce sont eux qui m’ont envoyée une première fois en Afghanistan en 2003. Une découverte, un voyage dans le temps. Après mes études, en 2004, j ai décidé de me lancer en tant que free lance. J’étais initialement partie pour trois mois, et y suis restée trois ans!
Quel est le reportage qui s’est récemment révélé le plus éprouvant ?
J’étais en Syrie il y a quinze jours pour Libération. Avec le journaliste Luc Mathieu, nous avons rencontrés des petits orphelins français nés sous le Califat. Notamment un, âgé d’un an à peine, dont le visage était marqué par des éclats de bombes et dont la jambe était paralysée. Sa mère a été retrouvée morte enroulée dans un tapis avec son nouveau mari et leur nouveau-né. L’orphelin a été récupéré par une femme syrienne et son frère. Ce dernier les affamait et les battait. Puis, il a été « sauvé » par une femme de djihadiste allemande qui va désormais partir en prison. Que va- t-il devenir ? Lui, mais aussi tous les autres que nous avons vus ? Abandonnés dans un camp, sans existence légale, privés de soins, à la merci des trafiquants et des adultes mal pensant. Sa grand-mère se bat pour le récupérer et j’espère qu’ils se trouveront bientôt dans un foyer aimant, mais tous n’auront pas cette dernière chance.
Depuis treize ans, vous formez un binôme avec Manon Quérouil-Bruneel, votre plume. Comment travaillez-vous ensemble ?
Nous réfléchissons à des sujets qui nous plaisent, qui soient à la fois visuels et riches en histoire. Puis, nous ciblons un magazine susceptible d’être intéressé, avant d’écrire le synopsis. Si le magazine est intéressé, il débloque des frais de production et nous partons. Une autre étape importante, primordiale même de la réussite d’un reportage, est de trouver le bon fixeur (en zone dangereuse, c’est un accompagnateur qui sert de guide ou d’interprète à un journaliste étranger ndlr). Sans lui, pas de reportage. Ensuite, sur le terrain, nous construisons le sujet à deux. Le soir, nous parlons de ce qu’il manque en interview, que ce soit en texte ou en photo. L’on sait très bien que le but est de rendre le meilleur texte et les meilleures photos. Ainsi, en fonction de nos manques, on mise sur un aspect ou l’autre. Manon m’aide beaucoup à me canaliser. « Pourquoi tu veux faire cette photo? », « Qu’est-ce qu’elle va apporter ?»… Ainsi, outre les photos instantanées, spontanées, je fais des photos réfléchies, que l’on va chercher parce qu’elles nous paraissent importantes. Je peux ainsi faire dix heures de voiture à l’aller et au retour pour une seule photo qui nous paraît nécessaire.
Sur quel sujet porte votre prochain reportage ?
Je suis actuellement à Rio, au Brésil, pour y couvrir le carnaval des gangs dans une favela de Rio. Un reportage qui devrait sortir, si tout se passe bien, ce jeudi 7 mars, dans Paris Match.
L’authenticité des photos de guerre prêtent souvent à réflexion et à caution, tant elles peuvent être mises en scène pour les rendre plus spectaculaires, et peut-être sensibiliser davantage l’opinion. Quelle est votre vue là-dessus? Le comprenez-vous ? Quelle est la limite que vous vous imposez dans le story-telling ?
La « retouche » est interdite dans le photojournalisme. On ne peut que « développer » ses photos et s’en tenir à ce que l’on peut faire en chambre noire. C’est à dire : recadrer, jouer avec les contrastes, éclaircir et assombrir. Et, c’est déjà pas mal… Personnellement je pense que l’esthétisme n’est pas un ennemi, mais il ne doit pas primer sur l’information. Par exemple, mes photos de reportage sont toutes en couleurs. Parce que l’on voit en couleurs et priver sciemment le lecteur d’une information, la couleur, ne se justifie que dans certains cas. Faire du noir et blanc, c’est privilégier l’esthétisme sur l’information et la réalité ; même si ça reste très beau le noir et blanc. Et puis, chaque photo doit apporter quelque chose à l’histoire. Je ne veux pas de photos « gratuites ».
Et enfin, une dernière question plus personnelle, si vous le permettez. Dans le film L’Epreuve, Juliette Binoche campe une photographe de guerre, toute entière dévouée et obsédée par son travail, si bien qu’elle éprouve une certaine difficulté à concilier l’éloignement, la rigueur, le danger parfois inhérents à sa vie professionnelle à sa vie familiale. Est-ce également un enjeu à vos yeux?
Avant d’avoir des enfants, j’avais du mal à m’investir dans mes moments entre les reportages. Comme si je me mettais en position veille entre les reportages. Mais depuis que j’ai mes deux filles, je vis pleinement mes deux vies, de maman mais aussi de photoreporter. Je crois que nous sommes la première génération de femmes dans ce métier qui revendiquent le droit de le faire tout en étant femme à part entière, maman, féminine etc. On ne s’excuse plus d’être des femmes et on n’essaie pas de ressembler à des hommes. On est nous et ça suffit bien. Et ce visa d’or news, prouve que l’on peut être maman et couvrir les fronts de guerre. C’est exactement ce que représente pour moi la couverture de l’album RSF.
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