Ni d’ici, ni d’ailleurs #12 : les Juifs apatrides sous Vichy, les oubliés de l’Histoire
Pendant que la France s'immerge dans le chaos de la Seconde Guerre mondiale, des milliers de Juifs se retrouvent sans nationalité, privés de leurs droits et menacés par les politiques discriminatoires de Vichy. Cette population déracinée cherche désespérément des moyens pour acquérir une protection et une identité, allant même jusqu'à s'engager dans l'armée française dans l'espoir de retrouver une nationalité après la guerre.
S’engager dans l’armée pour avoir une nationalité
Pendant la Seconde Guerre mondiale, les Juifs apatrides s’exposent à une réalité particulièrement difficile. Dépourvus de nationalité et souvent perçus comme des étrangers indésirables, ils se retrouvent dans des conditions précaires et vulnérables. Vichy, qui assurait le gouvernement de la France (1940-1944) a mis en place une commission de révision de dénaturalisation qui ciblait spécifiquement les étrangers, notamment les Juifs. Ainsi, des milliers de Juifs furent victimes de dénaturalisation et de privation de leurs droits. Certains ont tenté de remédier à cette situation en se portant volontaire dans l’armée française. Ils espéraient ainsi acquérir la nationalité à la fin de la guerre.
Philippe Boukara, spécialiste du judaïsme contemporain, relate : « Mon grand-père était apatride, et ma mère reste apatride jusqu’à ses 16 ans, bien qu’elle soit née à Paris.
« Un grand nombre de Juifs ont volontairement intégré les rangs de l’armée, avec l’espoir d’acquérir la nationalité française à la fin de la guerre. Malheureusement, certains n’ont pas survécu, tandis que d’autres contre leur volonté, se sont retrouvés dans des camps de concentration ».
Laurence Buchwald, chargée de mission à la Maison de la Culture Yiddish, témoigne également de l’engagement de son grand-père juif dans l’armée française en vue d’obtenir la nationalité. « Mon père, apatride, a dû s’engager malgré lui dans l’armée française pour avoir la nationalité, relate-t-elle d’un regard déçu ».
Ainsi, l’acquisition de la nationalité française devient une véritable utopie, pour ceux n’ont pas fait la guerre.
Vichy, le symbole de l’antisémitisme
Vichy, dès son arrivé au pouvoir manifeste son antisémitisme à travers sa politique de dénaturalisation et de déshumanisation des Juifs. « Bien que Vichy n’ait pas expressément cherché la mort des Juifs, il a néanmoins participé activement à leur persécution », précise l’historien Philippe Boukara, coordinateur de la formation au Mémorial de la Shoah.
Les autorités françaises n’avaient pas de contrainte à livrer les Juifs étrangers, en particulier les Juifs apatrides, aux Allemands, nous fait savoir le spécialiste du judaïsme contemporain. « Cependant, quand il s’agit d’un Juif français, la situation devenait plus complexe, car c’étaient des citoyens français à part entière », nuance-t-il.
L’Allemagne nazie perçoit les Juifs apatrides, en particulier ceux en territoire polonais, comme des apatrides par l’Allemagne nazie, et deviennent vulnérables face à cette collaboration entre Vichy et l’occupant allemand.
Une commission de révision de naturalisation pour chasser les étrangers
L’une des mesures phare prises par le régime de Vichy fut la création d’une commission de révision de naturalisation. Celle-ci visait les étrangers, précisément les Juifs. Vichy attribuait aux étrangers la responsabilité de leur défaite lors de la guerre. Cette commission a ainsi dénaturalisé plusieurs milliers de Juifs. En 1943, l’Allemagne exerce une pression sur Vichy en lui exigeant de procéder à une dénaturalisation massive. C’est un décret qui a pour objectif de satisfaire la volonté des autorités germaniques. Cependant, l’Eglise catholique a limité les dégâts grâce à des pressions massives pour contester ce décret en 1943.
« Aujourd’hui, les historiens soulignent que Vichy n’avait pas l’intention de provoquer la mort des Juifs. Cependant, son antisémitisme se manifestait par une volonté de les punir, et les livrer, aux Allemands. Et ça ne posait aucun problème à Vichy », explique Philippe Boukara.
Dans « Dénaturalisés», un ouvrage de recherche approfondi de Claire Zalc sur le sujet, l’autrice explore la mise en œuvre de la politique de dénaturalisation en France conformément à la loi du 22 juillet 1940. Cette loi composée d’un seul article, ne spécifie pas les critères précis pour les dénaturalisations. Elle se contente de déclarer que toutes les personnes naturalisées depuis 1927 sont visées par le texte.
Une commission de révision des naturalisations est alors chargée de cette tâche. Elle cherchait à examiner environ 15 000 retraits de nationalité et près de 250 000 dossiers concernant 800 000 individus jusqu’à l’été 1944. Malheureusement, les archives administratives de cette commission demeurent introuvables, rendant la recherche sur ce sujet particulièrement complexe.
La survie des juifs en France
Les Juifs apatrides font preuve d’une remarquable résilience et trouve des moyens créatifs pour survivre. Certains Juifs apatrides trouvent refuge dans des réseaux de résistance et participent activement à la lutte contre l’occupation nazie. Ils utilisent leurs compétences et leur intelligence pour fournir une aide précieuse aux mouvements de résistance et aux réseaux clandestins. Leur engagement courageux a permis de sauver de nombreuses vies et de perturber les efforts des forces d’occupation.
Certaines fois, les juifs apatrides se cachent dans des endroits sûrs, avec l’aide de familles ou de personnes bienveillantes. Certains se cachaient à l’abri des yeux, vivant dans des conditions précaires et risquant quotidiennement leur vie.
En outre, de nombreux Juifs apatrides ont bénéficié de faux papiers d’identité pour échapper aux contrôles stricts imposés par le régime de Vichy. Ces documents leur donnent la possibilité de se fondre dans la population et augmentent ainsi leurs chances de survie.
Jacques Semelin, directeur de recherche CNRS, raconte dans son texte « la survie des juifs en France », comment 75 % des juifs ont survécu en France sous l’Occupation, en dépit du plan d’extermination nazi et de la collaboration du régime de Vichy en se basant sur les stratagèmes précités.
Un silence complice de la communauté internationale sur le sort des juifs
Certains historiens soulignent que de nombreux pays étrangers ont choisi de ne pas intervenir ou de prendre des mesures nécessaires pour aider les juifs apatrides en France. Parmi les raisons qui justifient ce manque de solidarité, figurent la peur des répercussions diplomatiques, la préoccupation de leurs propres intérêts nationaux ou tout simplement l’indifférence face au sort des juifs. Certains pays comme les États-Unis, vont même adopter une politique restrictive en matière d’immigration et refuseront l’accès à leur territoire à de nombreux réfugiés juifs. « Cependant, il convient de noter que certains pays et individus ont fait preuve de courage et de compassion envers les juifs apatrides, selon Philippe Boukara.
Des organisations humanitaires, telles que l’American Friends Service Committee et le Joint Distribution Committee, ont œuvré pour secourir et protéger les juifs en danger», déclare Philippe Boukara. Des individus, comme le diplomate suédois Raoul Wallenberg et le consul portugais Aristides de Sousa Mendes, ont délivré des visas et utilisé leur influence pour sauver des vies juives.
Cette période tragique révèle la résilience des Juifs apatrides face à une extrême adversité. Elle rappelle la nécessité de préserver la mémoire historique pour prévenir toute répétition de telles persécutions.
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