« Julie (en 12 Chapitres) » ou l’éloge du temps qui passe
De l’écriture non genrée des norvégiens Joachim Trier et Eskil Vogt jaillit l’humanité à travers la vie de Julie, une jeune femme décidée à vivre et à aimer, quoi qu’il advienne. «Julie (en 12 chapitres) », sorti en salles aujourd'hui, est pour notre journaliste, l'un des meilleurs films de l'année.
Une chronique de Leila Amar. Photos : DR
En compétition officielle au 74ème festival de Cannes, le cinquième long-métrage du réalisateur norvégien Joachim Trier et dernier volet de sa trilogie « Oslo » sort ce 13 octobre en salles.
Cette tranche de vie qui s’étend sur plusieurs années raconte l’histoire d’une jeune femme, Julie, qui glisse dans l’âge adulte avec ce que cela comporte de doutes, d’excès, d’essais ratés mais aussi et surtout, d’amour et de croyance en l’humanité.
Une écriture non genrée donne vie au meilleur rôle féminin du cinéma
Ce qui frappe dans cet opus féministe est précisément son absence de revendications genrée. Or, la question se pose à l’ère où le « male gaze » (s’entend comme la vision masculine et dominante d’un sujet ndlr) est dénoncé, où #MeToo est devenu l’un des plus importants mouvements de société.
Comment deux hommes ont-ils pu écrire une histoire si personnelle et pourtant si universelle d’un point de vue strictement féminin ?
Le réalisateur Joachim Trier confie ainsi à Guiti News :
« Être un homme et écrire un rôle de femme ne me semble pas particulièrement étrange. J’ai grandi dans les années 1970/1980 avec une mère solide et féministe, qui a réalisé des documentaires sur le droit des femmes au Zimbabwe notamment. J’étais souvent intimidé, j’avais peur de dire les choses qu’il ne fallait pas. Ce que je peux dire sur cette écriture, c’est que de nombreux réalisateurs comme Ingmar Bergman avaient aussi bien présenté des personnages féminins.
En grandissant avec cela, ça me parait tout à fait naturel. Je ne me suis pas dit que ce serait des films d’hommes. Je ne me pose simplement pas la question du genre, car je n’ai aucun contrôle sur cela. Je veux simplement être authentique. Savoir que des gens se sont identifiés à nos personnages est le meilleur compliment qu’on puisse nous faire ».
Pour Eskil Vogt, co-scénariste de « Julie en 12 chapitres » et également réalisateur du long métrage « The Innocents » sélectionné par Un Certain Regard lors de ce même festival, la question n’est pas celle du genre, mais de ce qui vit l’humain.
« Nous ne nous sommes pas dit : « on va faire un film sur une femme ». Nous ne réfléchissons pas de cette façon. On ne dit pas -elle réagit ainsi, parce que c’est un femme- mais parce qu’elle est elle-même. Elle a sa propre logique intérieure ,et c’est bien cette logique que l’on a voulu mettre en relief », insiste le scénariste.
Vers un changement de codes ?
Bien que cette façon de narrer les étapes de la vie d’une femme ne semble pas exceptionnelle aux scénaristes et réalisateurs, ils n’en restent pas moins conscients que les codes du cinéma demeurent parfois basés sur des systèmes de pensée archaïques. Convoquant ce fameux « male gaze« , Joachim Trier poursuit :
« Dans les films d’action par exemple, il arrive souvent qu’une femme ouvre la porte et qu’un homme la regarde de derrière avec cette façon de filmer très spécifique de l’homme qui regarde une femme.
Ce qui m’intéresse, au contraire, et ce que j’ai découvert, c’est qu’il est beaucoup plus intéressant de filmer la sexualité, le désir et même le fait de tomber amoureux à travers un prisme féminin. J’ai pu filmer la passion de Julie même lorsqu’elle prend son fiancé brutalement. Et, j’ai trouvé cela bien plus facile, plus magique, que le prisme masculin »,
explique Joachim Trier.
Le succès du film à Cannes doit indéniablement beaucoup à l’incarnation de Julie par la comédienne norvégienne Reinate Reinsve, qui s’est vue récompensée par la palme de l’interprétation féminine.
Trier et Vogt avaient d’ailleurs écrit ce rôle avec l’actrice en tête. Connue sur les planches pour avoir été notamment dirigée par le célèbre metteur en scène Bob Wilson, Reinsve est une comédienne engagée, n’hésitant pas à tourner neuf jours d’affilée à l’aube pour une ligne unique dans un scénario.
Difficile d’imaginer meilleure interprète pour cette histoire de vie aux mille visages, mêlant amour, tristesse, frustration, doutes, joie de vivre, adultère, maladie et maturité en un seul et même film.
De la place de l’amour
Avec ce long-métrage, il s’agissait donc de parler de connaissance de soi. Voilà pourquoi, Julie accepte de se rapprocher d’elle-même lorsqu’elle est amoureuse de quelqu’un.
« On veut rencontrer la bonne personne, découvrir l’amour comme si on trouvait un trésor caché. J’ai exploré cela dans tous mes films, si on rencontre quelqu’un au mauvais moment ou la mauvaise personne au moment où l’on pense être prêt, ça ne va pas. Ce film parle de ce qui ne marche pas, de relations qui commencent au mauvais moment. On a voulu montrer des petits détails qui semblent insignifiants, pour que la protagoniste réalise que c’est cela sa vie », appuie le réalisateur.
L’une des plus belles illustrations de ce propos se retrouve dans une scène de rupture éminemment réaliste et volontairement longue. Le fait de la rupture étant avéré, le réalisateur vient nous dire en quoi cela reste difficile et pourtant parfois drôle.
Cette peinture des personnages dans toutes leurs aspérités, faisant des bons comme des mauvais choix nous rappelle la beauté du temps qui passe, plus qu’une vie que l’on compte en nombre d’années. Cette façon de filmer le réalisme de la vie des gens « normaux » manquait cruellement au cinéma ces dernières années.
A travers ses amours et ses changements de cap de vie, chaque personne, femme ou homme, pourra s’identifier aux douze chapitres de la vie de Julie, une femme imparfaite et parfaitement sublime à la fois.
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