« Young Voices » #2 : récit d’une jeunesse exilée en Ouganda
Comment grandit-on dans les campements de réfugiés ? Ceux de l’Ouganda ne ressemblent en rien aux camps européens : ce pays africain fait figure de modèle d’accueil à l’international. Mais il se trouve face à un défi d’ampleur : la majorité des arrivants ont moins de 18 ans. Pour ces jeunes, les campements restent des lieux d’exil: des lieux sans racines, avec peu d’horizon, où il s’agit pourtant de se construire.
CHAPITRE 2 / L’ADOLESCENCE
Kyriandongo est l’un des plus anciens campements d’Ouganda. Il fut ouvert en 1989 principalement à destination des réfugiés du Soudan du Sud. Aujourd’hui, les Soudanais constituent toujours la nationalité majoritaire, aux côtés des Kenyans et des Congolais. Les habitats, vieux de plusieurs années, sont par endroits serrés ; certains ont des toits en tôle.
Non loin d’une église couleur terre, un bâtiment se distingue par son aspect neuf et la grande pelouse qui l’entoure. C’est l’un des deux centres pour les jeunes du campement. De 70 à 100 adolescents y sont accueillis chaque jour.
Dans une vaste salle commune où quelques fenêtres peinent à laisser passer la lumière de l’extérieur, plusieurs d’entre eux regardent la télévision sur des chaises en plastique. « C’est pour savoir ce qu’il se passe en dehors du pays », glisse Geoffrey, administrateur du centre. Autour d’une table, d’autres sont occupés à jouer aux échecs. « On reçoit les jeunes qui ne vont pas à l’école… Pour ceux qui sont scolarisés, nous sommes très stricts sur le respect de leurs horaires de cours», précise le responsable.
Dans une petite pièce voisine, une dizaine de jeunes apprennent l’informatique à l’aide d’un professeur. D’autres utilisent les ordinateurs pour leur usage personnel. « Internet leur permet d’avoir des contacts avec leur famille à l’étranger. Beaucoup utilisent Facebook pour avoir des nouvelles de leurs proches ».
Ces activités, de même que les tournois de sport organisés sur un terrain vague à l’extérieur, redonnent confiance aux adolescents. « Ces jeunes ont de nombreux talents dans le sport, la musique ou le théâtre, qui ne demandent qu’à être développés !» insiste Geoffrey.
À des dizaines et des dizaines de kilomètres de là, dans le campement de Nakivale, Chadrack et Sharon sont penchés sur leurs dessins. Leurs regards sont absorbés par les lignes qu’esquissent leurs crayons. Ces adolescents ont fui la République démocratique du Congo – pays aussi nommé Zaïre – pour arriver ici.
Des séries de tableaux s’alignent en haut des murs de l’atelier. Chadrack et Sharon les montrent du doigt : « nous avons vu des personnes avec des tableaux extraordinaires, alors nous sommes venus nous inscrire ». Prince et Gabriel, tous deux la vingtaine, dirigent ces cours artistiques que suivent gratuitement des jeunes « de 13 à 17 ans » du campement.
« Avant on ne faisait rien, on restait à faire les travaux ménagers. Venir ici nous fait oublier qu’on est des réfugiés. Oui, on a vécu la guerre, tout ça, mais là on se concentre juste sur les dessins », glisse Sharon, avant de baisser à nouveau la tête sur sa feuille de papier. Les deux amis viennent au centre d’art tous les jours, sauf le dimanche. « Pour nous, c’est ici l’école », répètent-ils. Tous deux rêvent de devenir dessinateurs professionnels. Ils sont là depuis seulement deux mois, mais leurs portraits sont déjà fidèles aux modèles. « Parfois on travaille à partir de photos, parfois ce sont des dessins imaginaires, des villes…» décrit Chadrack.
Au dehors, une pluie battante est apparue sans prévenir. Elle fait claquer la porte chaque fois qu’un jeune entre, dégoulinant d’eau et souriant. Prince, lui-même réfugié de RDC, explique que « cela fait onze mois que l’on se débrouille sans soutien financier. Mais on ne peut pas fermer et cesser d’enseigner… » Ils le font pour ces adolescents du campement dont « beaucoup n’ont pas de parents ». Parmi eux, Ezekiel, 19 ans, fait figure d’aîné modèle. Il arrive à vendre près de quatre tableaux par mois aux visiteurs de passage et grâce au site internet de l’atelier. Sur sa dernière toile achetée par une responsable de l’ONU ce jour-là, une femme se tient debout dans la nuit, pensive.
Le soleil est revenu pour la fin de journée, doux et orange. Un jeune homme enchaîne les figures de hip hop dans un centre pour la jeunesse isolé, à la sortie du campement de Nakivale. Seul, il semble hésiter, debout. Soudain le voilà qui tourne sur lui-même, chute au sol, tourne encore, vite, puis se recroqueville sur ses genoux. Une dizaine de jeunes gens entrent petit à petit dans la salle. C’est l’heure de la répétition de leur chorégraphie. Deux jeunes hommes et deux jeunes femmes se croisent, s’éloignent, se recroisent en silence. Leurs dos sont droits, leurs têtes relevées. Sur un mur du fond, de larges lettres en papier rose, semblables à un graffiti, clament : « YOUNG VOICES ».
Relire le premier chapitre « Young Voices » consacré à l’enfance.
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