Emmitouflé dans une doudoune noire, trop grande pour elle, Piryanka tente de se frayer un chemin jusqu’à l’entrée du hangar où les restos du Coeur de Montreuil (Seine-Saint-Denis) font leur distribution. Comme elle, ils sont une dizaine ce matin de décembre à braver le froid glacial pour venir récupérer des colis alimentaires. « Je suis seule pour élever trois enfants à la maison, je viens deux fois par semaine ici. Sans ça, je ne sais pas comment je ferai », confie la maman désarçonnée.
Devant la porte du local, ça bouchonne. Marc, bénévole à la retraite essaie d’expliquer à deux femmes qui ne parlent pas bien français que leur carte de bénéficiaire n’est plus valable (une carte remise à toutes les personnes qui bénéficient des dons des Restos et sur laquelle apparait la composition familiale). Elles devront en refaire une pour l’hiver.
Fin novembre, la nouvelle campagne des Restos s’est ouverte et dans ce centre de distribution francilien, l’on anticipe une saison pas tout à fait comme les autres. « Déjà 186 inscrits. Ça démarre lentement, mais on a constaté une augmentation de la demande cet été et on s’attend à ce que ce soit pareil cet hiver », observe Martine, en charge des nouvelles inscriptions. Derrière son bureau improvisé dans le hangar de stockage, la retraitée reçoit toute la journée les personnes qui souhaitent bénéficier des dons des Restos.
« Depuis quelque temps, le profil des bénéficiaires a changé. Avant, c’était beaucoup de familles, des mères célibataires ou des SDF. Il y a désormais aussi des étudiants, des Ukrainiens, des chômeurs… », observe Martine. Cette augmentation de l’activité étant la conséquence directe de l’actualité, pour s’y adapter les Restos du Coeurs ont décidé de modifier leur barème de bénéficiaire. Désormais, les factures d’électricité, de gaz, d’eau et les charges locatives seront prises en compte pour bénéficier des dons.
La Seine-Saint-Denis reste le département le plus pauvre en métropole
En prévision, le centre de Montreuil a aussi multiplié les distributions. Habituellement concentrées sur deux matinées, elles ont été augmentées pour répondre à la demande. « La distribution est étalée sur quatre matinées. Ça a commencé pendant le Covid, où il y a eu un lourd afflux et ça s’est poursuivi. L’étalement sur plusieurs jours permet aussi de dégager un créneau spécial pour les profils particuliers. Comme « un accueil bébé » le jeudi matin. Nous comptons 130 familles avec des nourrissons de 0 à 18 mois pour l’instant », ajoute Martine.
« Sur la Seine-Saint-Denis, il y a 30 centres de distribution, c’est un ratio énorme pour un département. Ce secteur est très touché par la pauvreté », confie Yves, le responsable bénévole du centre. L’homme discret, gère le lieu d’une main de fer dans un gant de velours. Très sollicité, il s’occupe du planning des 60 bénévoles, de l’approvisionnement des denrées alimentaires et décroche parfois le téléphone pour gérer des dons.
Ce matin, justement, un agriculteur appelle pour donner plusieurs dizaines de kilos de noix. « Ponctuellement, on reçoit des dons d’agriculteurs ou de boutiques qui ferment. On redistribue le tout. C’est plus rare maintenant. Mais on fonctionne essentiellement sur des dons. Quoique la semaine dernière, un magasin de literie a fermé ses portes et nous a fait un très joli don », se remémore le septuagénaire.
Favoriser l’insertion sociale
Les Restos du Cœur ne se contentent pas de distribuer de la nourriture, l’association créée par Coluche en 1985, propose des services complémentaires. « Mardi matin, on tient une permanence juridique. Les bénéficiaires peuvent être assistés dans leur demande d’asile, leur démarche pour trouver un logement… Un écrivain public aide les familles à rédiger des courriers officiels. Nous proposons aussi une fois par semaine un service de coiffure. Le fait d’être choyé pendant 30 minutes crée de la convivialité. Nous proposons également des cours d’informatique ».
Le directeur espère également pouvoir rétablir les services d’une esthéticienne et les cours de français. Les deux activités avaient été suspendus pendant la crise sanitaire.
Un autre service est très sollicité : celui de l’aide à la réinsertion à l’emploi. Une fois par semaine, les bénéficiaires peuvent ainsi suivre des ateliers pour apprendre à rédiger un CV et à se présenter à un entretien d’embauche. « Je viens aujourd’hui pour de la nourriture, mais aussi pour demander de l’aide pour trouver un emploi », explique Maria, une jeune femme originaire des Philippines, en situation irrégulière.
« J’ai une formation d’esthéticienne, j’ai besoin d’aide pour trouver un job. J’ai deux enfants et je dois travailler, parce que je ne sais pas comment on vit avec rien », avoue la maman qui ne parvient plus à joindre les deux bouts. Une bénévole lui donne rendez-vous le mardi suivant pour participer au premier atelier de la saison.
Des accidents de la vie responsables de la précarité
La majorité des bénéficiaires des aides des Restos du Cœur sont des personnes traversant « une mauvaise passe», souvent des accidentés de la vie. « C’est la première fois que je viens. Ça fait trois mois que je rencontre des problèmes, principalement causés par l’augmentation du prix de la vie. C’est ma conseillère d’insertion qui m’a parlé des Restos du Coeur, parce que j’élève deux enfants, seule », confie Shana, une jeune maman venue s’inscrire avec son petit garçon de 4 ans.
Pour Aicha, c’est un autre drame qui l’a poussé à demander de l’aide. « Je suis divorcée de mon ex-mari, qui me violentait et qui vient de sortir de prison. Je me retrouve seule avec trois enfants. Je suis infirmière à l’origine, je vais reprendre le travail dès que je le pourrais. Mais pour l’instant, je m’occupe de ma fille d’un an qui est asthmatique sévère. Je n’étais pas venue depuis longtemps, car je travaillais », avoue Aicha, impatiente de ne plus avoir besoin de se déplacer aux Restos.
Comme elle, ils sont nombreux à alterner les allers-retours. À la sortie, Ibrahim, un des rares hommes présents, fait l’inventaire de ce que contient son chariot : « De la ratatouille, du lait, des oranges, du poisson, des steaks, et une boite de chocolats, énumère-t-il. Tout est une question de travail. Parfois, on en a, parfois non. Je travaille dans le bâtiment. Quand j’ai un chantier ça va, mais quand y en a plus je suis obligé de revenir », se désole l’homme devenu veuf depuis peu.
Miroir la hausse de la pauvreté en France
« Pour l’instant, nous comptabilisons le même nombre d’inscrits. Mais, comme nous inscrivons tout au long de la campagne, nous sommes préparés à tout. Nous devrions finir avec 550-600 personnes, même si nous ne savons pas à quoi nous attendre avec l’inflation », analyse le directeur du centre.
Son inquiétude est fondée sur le constat de l’augmentation de la pauvreté dans l’Hexagone tout au long de ces dernières années. Quelque 9,2 millions de personnes vivent sous le seuil de pauvreté en France selon l’Insee (Institut national de la statistique et des études économiques). D’après cette même étude, 31,5 % des personnes en exil sont pauvres.
« Malheureusement, on vient de démarrer la 38e campagne. Cela signifie que l’on existe depuis 38 ans, déplore le directeur du centre à Montreuil. Coluche doit se retourner là où il se trouve, parce que nous avons qu’une envie : disparaître. Que personne n’ait plus besoin de nous ».
Pourtant, la disparition, ça ne sera pas pour tout de suite. En 2021-2022, 1,1 million de personnes ont été accueillies par les Restos du Cœur. Un chiffre en hausse constante depuis plusieurs années.