Ardoise, craie, cartable et chaise inconfortable, les mineurs non accompagnés suivent une rentrée ordinaire – ou presque – dans les locaux de l’association Droit à l’école. Ils sont huit (sept hommes, une seule femme) ce matin en cours de maths.
Jean-François, le professeur écrit à la craie la soustraction à résoudre sur le tableau noir. « 600 moins 344 ». Esther lève prestement la main. « Can I use English ? », demande avec hésitation la jeune nigériane. Il l’encourage. Alors, sans attendre elle résout l’opération en détaillant les étapes à ses camarades de classe.
Jean-François se retourne vers eux : « ça va, les retenues ? ». L’un d’entre eux n’a pas très bien compris. Alors, il reprend doucement l’opération, en inscrivant les chiffres dans un tableau où chaque nombre est décomposé en unité, dizaines, centaines, milliers.
C’est le premier cours de l’année. La rentrée à Droit à l’école a lieu en léger décalé de celle du système éducatif national. Cinq classes sont formées selon les niveaux de français. Elles portent le nom d’équipes de foot – Bordeaux, Toulouse, Rennes, Marseille, Brésil – et sont composées d’une dizaine d’élèves. Quelque 250 autres se trouvent sur la liste d’attente : l’association est au maximum de ses capacités.
Intégrer le système scolaire
Dans une autre salle au bout du couloir, en classe d’alphabétisation, les “Bordeaux” apprennent les voyelles du français. C’est le tour du son « é ». Une bénévole demande aux élèves : « Et dans cheminée, il y a “é” ?». Ils et elles entourent les voyelles dans les mots, puis tracent les lettres sur leurs cahiers.
Droit à l’école dispense des cours de français, de maths et d’histoire à des mineur·es non accompagné·es. Le but ? « Faire tremplin » pour rejoindre le système scolaire de l’éducation nationale. L’association prépare notamment aux tests de positionnement du Casnav (Centres Académiques pour la scolarisation des élèves allophones nouvellement arrivés), qui servent à déterminer le niveau scolaire des élèves pour les répartir dans les classes.
Intégrer le système éducatif français est l’un des vœux les plus chers des jeunes. Comme Esther, qui voudrait devenir infirmière. « J’espère que l’association m’apprendra à maîtriser le français pour pouvoir être scolarisée normalement et accomplir mon rêve », explique-t-elle doucement.
Certain·es n’ont jamais été scolarisé·es. Morgane, la coordinatrice de l’association, souligne l’importance, pour eux, d’intérioriser des dispositions scolaires avant l’entrée dans le « vrai » cursus. « Apprendre à ne pas être en retard, à lever la main, à suivre un emploi du temps, ce sont des choses que certains découvrent ici ».
Des contraintes à la scolarisation
Elle coordonne une soixantaine de bénévoles qui donnent des cours et accompagnent les jeunes dans leur labyrinthe judiciaire et administratif pour la reconnaissance de la minorité. Jean-François, informaticien à la retraite, rempile comme prof de maths à Droit à l’école pour la troisième année consécutive.
« Je voulais faire du bénévolat, et ce qui m’a plu, ici, c’est que les élèves sont motivés ». Les cours « se passent bien », mais la souffrance quotidienne de ses élèves l’éprouve. « Il y en a qui arrivent avec un parcours horrible. Qui ont vécu de la torture, de l’esclavage, des viols. Et là, une vingtaine d’entre eux dort sous les ponts », souffle le bénévole.
Leur parcours scolaire est parsemé d’obstacles. Pour Morgane, le non-respect de la présomption de minorité est responsable d’une grande partie de leurs difficultés. « Dès lors qu’un jeune se présente comme mineur, il devrait être pris en charge par l’ASE (Aide sociale à l’enfance). Tout le monde gagnerait à ce qu’il en soit ainsi, mais ils sont systématiquement remis à la rue », pose-t-elle.
Un retard important et néfaste
Pour pouvoir bénéficier de la protection de l’enfance, ces jeunes doivent passer une évaluation de minorité. Pendant cette période, ils devraient être présumé·es mineur·es et donc pris en charge, mais cela est rarement le cas.
Morgane calcule le retard scolaire pris par les MNA à cause de ces embûches administratives. « Il faut compter un mois avant qu’ils soient redirigés par une association, puis trois mois sur notre liste d’attente, et à cela s’ajoute les quatre mois de cours chez nous. Au total, cela représente presque un an de perdu pour eux ».
Dans un rapport publié le 20 septembre, l’Unicef épingle la France pour le retard scolaire pris par les 25 000 mineurs isolés présents sur son territoire. Un retard qui peut aller jusqu’à trois ans. Et qui porte des conséquences lourdes sur la santé mentale et l’insertion des adolescents.
Le rapport souligne aussi que les MNA sont quasi-systématiquement dirigé·es vers l’enseignement professionnel, alors même que certain·es souhaiteraient suivre des études longues. Mais, pour prétendre à un titre de séjour à 18 ans, ils doivent avoir suivi une formation professionnelle qualifiante.
De la rue à l’école
A Droit à l’école, l’orientation vers des formations professionnelles est en effet privilégiée. « Nous venons de recevoir les résultats de ceux qui ont passé un CAP l’année dernière et qui ont étudié chez nous : tous l’ont eu ! C’est bien la preuve que tout le monde gagnerait à ce qu’ils soient scolarisés le plus rapidement possible », abonde Morgane.
Les MNA sont quasi-systématiquement dirigé·es vers l’enseignement professionnel, alors même que certain·es souhaiteraient suivre des études longues. Après les trois ou quatre mois passés à Droit à l’école, les MIE intègrent généralement des dispositifs UPE2A. Mais, parfois sans logement et pris dans des méandres administratifs, ils repassent très souvent par l’association.
C’est le cas de Fabrice et Sita aujourd’hui. Les deux garçons d’origine ivoirienne ont fait leur rentrée au collège la semaine dernière. Maths, français, sciences physiques … mais aussi anglais. Au coeur de leur conversation ce matin, la difficulté de commencer l’apprentissage d’une nouvelle langue. « C’est difficile parce qu’on aimerait déjà perfectionner notre français », explique Sita, qui parle déjà français, malinké, arabe, et un peu allemand.
« Je ne peux pas faire mes devoirs dans un endroit tranquille »
« A l’école, ça se passe bien. Les professeurs nous encouragent, nous disent que ça va bien se passer, qu’on va finir par s’en sortir », poursuit Sita. Un enthousiasme plombé par le fait que la plupart dorment dehors en attendant d’être pris en charge par l’Aide sociale à l’enfance. Sita vit dans la rue depuis son arrivée en France en décembre 2022.
« Je vis sous une tente dans un parc à Couronnes (Paris), je dors là-bas avec d’autres personnes. C’est difficile parce que je ne peux pas faire mes devoirs dans un endroit tranquille. Forcément émotionnellement ça pèse de ne pas manger ou se doucher quand on veut », confie l’adolescent qui a fait appel de la décision de justice ne l’ayant pas reconnu mineur.
Le 9 novembre prochain, après un ultime recours pour faire reconnaître sa minorité, il espère pouvoir débuter une nouvelle vie dans le prolongement de sa scolarisation. « Plus tard, je voudrais devenir électricien », assure-t-il avec entrain. En attendant, il doit partir, il a rendez-vous avec Médecins sans frontière pour un problème de santé.
Pour Fabrice, les longues nuits passées à dormir dans les Noctilien (bus de nuit – NDLR), ont laissé des traces indélébiles. « Paris, la nuit ce n’est pas pour un adolescent », lâche-t-il. Face à cette situation, les associations et les jeunes ont mené une action devant le Palais Royal en juillet dernier. Objectif ? Être relogé. « Tout s’est très mal passé. Les policiers nous ont délogés de force, des gens ont été frappés », témoigne Sita encore profondément marqué par cet épisode.
Le chiffre précis des MNA non scolarisés pour cette rentrée reste inconnu, mais il pourrait s’« élever » selon la coordinatrice de Droit à l’école. Un fait qui interroge sur l’application de la Convention internationale des droits de l’enfant par la France.