Alors que les Grecs sont déconfinés depuis le 4 mai dernier, les exilés entassés dans les camps, comme celui de Moria, sont eux confinés au moins jusqu’au 19 juillet prochain, viennent d’annoncer les autorités. Un choix « politique » fustigent les ONG pour des camps, qui ont été plutôt épargnés par le coronavirus jusqu’alors. Pour supporter une attente qui n’en finit plus, les exilés s’organisent, et entrevoient le sport comme un exutoire. Rencontre avec Estelle Jean, créatrice de l’association d’aide sportive Yoga and Sport For Refugees.
Texte : Léa Gorius / Photos DR : (1) Estelle Jean / (3) Sohaila / (2) et (4) Mohammad Reza
Le camp de Moria sur l’île de Lesbos compte 20 000 exilés, ce qui fait de lui, le plus grand camp d’exilés d’Europe. Des hommes, des femmes et des enfants y sont confinés depuis le 17 mars dans des conditions indignes (accès restreint à l’eau, logements en tentes, queues de plusieurs heures pour obtenir de la nourriture et montagnes de déchets).
Pourtant, depuis le début de la crise sanitaire, aucun cas de coronavirus n’y a été déclaré. “La Grèce a pris des moyens très tôt et a confiné totalement le camp”, explique Estelle Jean, fondatrice de l’association Yoga and Sport For Refugees, sur place depuis 2017. Un confinement drastique (les exilés n’ont pas le droit de sortir du camp sauf pour raisons médicales) qui a permis d’éviter le pire selon Estelle Jean : “S’il y avait eu des cas de coronavirus, ça aurait été l’hécatombe”. Il est en effet impossible de respecter les mesures sanitaires à Moria que ce soit le lavage de mains, le port du masque ou la distanciation sociale.
Remplacer les poids de fitness par des pierres et des bouteilles d’eau
Pour éviter les mouvements de va-et-vient, le gouvernement grec a aussi décidé au début du confinement que seules les associations “médicales” seraient autorisées à rentrer dans le camp. Cette mesure est toujours en place aujourd’hui. Estelle Jean et son association sportive…se retrouvent donc sur la touche. “Le confinement a beaucoup affecté notre activité”, commente la Française.
Avant la crise sanitaire, l’association proposait quinze cours de sports différents par semaine. Cours de natation sur la plage, karaté, body-building, danse, fitness, zumba, yoga ou encore break dance et cours d’autodéfense, que ce soit dans le gymnase de l’association (hors du camp) ou dans le camp, l’association accueillait près de 400 personnes chaque jour. “Notre but c’est essayer, par les cours, de donner du bien-être aux réfugiés et aux personnes qui vivent dans le camp”. Mais quand le camp se ferme et que la Grèce se confine, l’association perd l’accès à sa salle de gym et à son matériel sportif : elle ne peut plus assurer les cours de sport. Elle doit donc s’adapter et elle peut compter sur ses professeurs de sport qui sont en grande majorité…des exilés présents dans le camp.
C’est comme ça que pendant le confinement, des exilés s’organisent sous la tutelle de quelques professeurs. Sohaila, une Afghane de 15 ans, est l’une d’entre eux. Elle est professeure de karaté. Cette exilée, arrivée sur le camp il y a 7 mois, organise, dès le début du confinement, des sessions de course dans le camp et des exercices de fitness et de kickboxing. “Comme la gym est fermée, nous n’avons pas de matériel ni de vêtements pour faire du sport, alors on a remplacé les poids par des pierres ou des bouteilles d’eau !”.
Selon elle, la menace du coronavirus n’empêche pas les exilés de faire de l’exercice physique en groupe. “Le plus important en ces temps difficiles,c’est de se soutenir moralement les uns les autres. Si quelqu’un a des symptômes, alors il s’isole et on espère qu’il ira mieux”. Estelle, elle, confinée hors du camp, communique avec les exilés par Whatsapp. Jusqu’à mi-mai l’association propose des vidéos de zumba sur Youtube et organise des “challenges”. Défi poses de yoga ou exercices de fitness, mais aussi concours du plus beau bouquet de fleurs : “On ne voulait pas faire que du sport, l’idée c’est que tout le monde puisse gagner et surtout de dire aux exilés qu’on ne les laisse pas tomber”, explique Estelle.
Une nouvelle date de déconfinement toutes les deux semaines
Depuis le début de la crise du coronavirus, aucun cas n’a été déclaré dans le camp. Malgré cela, le gouvernement grec repousse la date annoncée de déconfinement de Moria toutes les deux semaines; évoquant la protection des citoyens face au virus. Une aberration pour Estelle Jean : “C’est impossible qu’il y ait des cas de coronavirus qui arrivent par le biais de réfugiés”. Les quelques personnes qui sont arrivées sur l’île ont été mises sous quarantaine avant d’intégrer le camp.
Mais les exilés de Moria sont fatigués d’attendre. “Tous les jours les exilés demandent quand la gym va rouvrir”, explique Estelle.“Nos élèves ont une vraie envie de refaire du sport et une motivation pour bosser ensemble”. Alors l’association a décidé de rouvrir sa salle de gym le vendredi 26 juin. “Maintenant que l’interdiction de faire du sport en équipe est levée, on peut ouvrir, avec un maximum de précautions sanitaires”.
Gants, masques, distances et gel hydroalcoolique: les cours se feront dans la limite de quinze personnes. Si les membres de l’association ne risquent rien (la gym est un bâtiment privé), les exilés, eux, risquent 150 euros d’amende. “On leur a bien dit qu’on ne pourrait pas payer pour eux en cas d’amende mais ils sont prêts à prendre le risque”, comment Estelle. “On se lance et on verra bien comment réagira la police grecque”.
La prochaine date de sortie de déconfinement annoncée par les autorités grecques est le 19 juillet.