Al-Mata et Sofia Belkacem
« Je suis revenu en Turquie, parce que j’aimais le poste que l’on me proposait, et puis il me semblait que c’était un bon moyen d’avoir un impact sur la jeunesse ». En 2013, alors professeur agrégé de philosophie, Siyaves Azeri, refoule le sol turc. Tout un symbole. C’est sur cette terre qu’il a obtenu l’asile près de trois décennies plus tôt, après s’être enfui de l’Iran, à 16 ans.
Une Turquie qu’il quittera à nouveau en 2016. « Après le coup d’Etat manqué, j’ai rencontré, comme nombre de mes collègues universitaires, une myriade de problèmes avec l’administration. Avec l’instauration de l’Etat d’urgence et le décret de nouvelles lois, j’ai non seulement été licencié, mais il m’était également interdit de postuler dans tout le secteur public. Sans travail, sans argent, j’ai pu survivre un moment aidé par ma famille et mes amis. »
Cherchant à déserter, il prend connaissance du programme français PAUSE (Programme national d’aide en urgence des scientifiques en exil, ndlr), qui vient en aide aux universitaires qui sont, comme lui, contraints de quitter leur pays. Siyaves Azeri postule et obtient une bourse d’un an. Il s’envole alors pour la France. « Je réalise combien j’ai eu de la chance. Car de nombreux universitaires ont non seulement été licenciés, mais en plus leur passeport ont été confisqués. Dans 99% des cas, ils ne pouvaient pas quitter le pays. J’ai eu la possibilité de partir car je possède aussi la citoyenneté canadienne. »
Et d’ajouter : « Cela continue de se produire en Turquie. Il y a à peine trois mois, les autorités ont encore empêché le départ d’une consœur, qui possède pourtant la nationalité allemande. Elle a dû rester à Istanbul. »
S’adapter et s’adapter encore
Pour Siyaves Azeri, cette arrivée à Paris est synonyme de quiétude et de sécurité. « Après deux ans en France, je dois dire que c’est plaisant d’y travailler. Mon arrivée à Paris a franchement été facilitée par l’école : ils m’ont fourni un logement, et m’ont aidé de bien d’autres manières. Après avoir vécu tant de pressions politiques en Turquie, tant de stress, vivre en France m’est apparu comme un vrai soulagement. »
Mais, de nuancer : « Tout n’est pas si simple non plus. Quand l’année dernière, j’ai voulu candidater pour une extension d’un an, je me suis confronté à des problèmes de communication. Je suis resté cinq mois au chômage, nous vivions dans 20m2. Tout ce processus, cette incertitude, c’était long. J’ai quitté Paris pour Nancy et l’Université de Lorraine. Là encore, l’on m’a aidé avec l’hébergement. Et puis, j’ai été autorisé à poursuivre mon travail de recherche pour une durée d’un an. »
Une incertitude qui le tenaille. Son contrat s’étendant jusqu’à l’année prochaine en France, il devra encore partir pour de nouveaux horizons. «J’ignore ce qu’il va se passer ensuite » , confie-t-il. L’agrégé postule aux Etats-Unis, au Canada, et envisage de retourner en Turquie. Pour sa famille, qui y vit encore. Il ne risque rien s’il y retourne pour un court séjour, lui ont assuré ses avocats.
Le chercheur continue de suivre avec intérêt la vie politique turque . « Le fait qu’Erdogan ait perdu Istanbul représente forcément un espoir. Mais, même avant cela, quand en 2016 il a déclaré l’Etat d’urgence, l’on ne peut qu’y voir la preuve de sa faiblesse. Quand il a demandé à rejouer les municipales à Istanbul après sa cuisante défaite, il a encore perdu davantage. Violation des droits humains, crise économique, crise politique… au vu de la situation en Turquie, Erdogan perdra certainement les élections présidentielles de 2022. »