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Se cacher et alerter : le nouveau quotidien d’Elyaas Ehsas, reporter afghan en exil


« Maintenant que je suis oublié, je sors de ma cellule souterraine pour crier ! Ma famille, comme des milliers d’autres en Afghanistan, est en danger de mort ».

Depuis cinq jours et la prise de pouvoir des Talibans, Elyaas Ehsas ne dort que très peu. Au téléphone, jour et nuit, avec ses proches restés à Kaboul, la capitale. Il croule sous les sollicitations apeurées d’ex-confrères et de militantes féministes, lui demandant de l’aide.

« Le ciel est loin et la terre est si dure »

La rage l’arrache un temps à l’inquiétude. « Ma famille est en danger à cause de mes activités de journaliste. Elle ne sort plus de la maison (…) à l’heure où ces monstres islamistes patrouillent dans les rues. (…) Ma petite sœur n’est plus joueuse de l’équipe nationale de basket-ball. Non seulement elle ne peut plus travailler, mais elle risque un mariage forcé. Mon frère a quitté la fac, alors qu’il était sur le point d’être diplômé. Ma mère est encore traumatisée par les souvenirs de coups de fouet reçus par les talibans il y a vingt ans ».

Sa famille, confie-t-il, attend un miracle, celui de pouvoir quitter le pays et vivre en sécurité.

Devant l’urgence humanitaire, l’avocat Clément Père, qui a également accompagné Elyaas Ehsas dans ses démarches, vitupère la lenteur administrative. « J’ai des clients réfugiés en France, qui ont femme et enfants en Afghanistan, et qui attendent leur visa pour réunion familiale. Or, l’ambassade de Kaboul ne permet plus d’émettre des demandes de visas pour les familles de réfugiés. Je note qu’il n’existe pas de volonté de prendre en compte leur situation. Désormais, ils doivent se rendre en Iran ou en Inde pour leur visa. Or, comment sortir du pays avec les talibans aux frontières ? »

Dans une lasse envolée lyrique, Elyaas Ehsas abonde : « Le ciel est loin et la terre est si dure ».

Un sentiment d’impuissance qui se mêle à l’inquiétude de son propre sort sur le sol français. Lui, non plus, ne s’aventure pas franchement hors de son domicile. De peur d’une rencontre policière.

C’est donc dans un appartement de la région parisienne que nous le retrouvons ce 19 août. Dans ce logis de 30 m2 prêté par une amie, il se sent en sécurité. Le confort y est pourtant sommaire, les installations électriques approximatives, l’humidité prégnante. Mais, il a un toit.

« Si je n’ai pas de choses importantes à faire, je reste chez moi, j’écris, j’apprends le français. Je vis caché. Quand je dois sortir, je traverse le trottoir d’en face si je croise la police et fais attention à ma manière de m’habiller », explique-t-il. Au quotidien, il vivote grâce à un fonds d’urgence accordé par la fédération internationale des journalistes (IFJ) et les économies de quelques amis afghans.  

Un renvoi en Suède acté

Placé sous procédure Dublin, la Préfecture de Police de Paris avait pris la décision en novembre 2020 de renvoyer Elyaas Ehsas en Suède, où il avait précédemment demandé l’asile (qui lui avait été refusé ndlr). Un retour à Stockholm était alors, pour le jeune homme de 27 ans, synonyme de renvoi en Afghanistan. « Où j’étais sûr de mourir », insiste-t-il.

En janvier 2021, le tribunal administratif de Paris valide le transfert. Le reporter se rend alors à Rennes, où il oppose un recours contre cet arrêté. Requête à nouveau rejetée par le tribunal d’Ille-et-Vilaine.

« Une volonté clairement politique de la part des juges, fustige son conseil Clément Père. Dans l’examen de son dossier, à aucun moment il n’a été question d’estimer les risques encourus en Afghanistan. Le raisonnement qui a primé était plutôt de dire que si Elyaas était renvoyé en Suède, le pays allait réévaluer son dossier, suivant un principe de confiance légitime entre États membres ».

Revenant sur la décision judiciaire, et plus largement sur le changement dit de « jurisprudence Kaboul » de la Cour Nationale du droit d’Asile fin 2020, le reporter laisse exploser sa colère. « On nous a répété que les afghans n’étaient plus tellement en danger dans la capitale. Que les talibans n’étaient plus si puissants. Eh bien, quel revirement ! J’espère qu’ils sont conscients d’avoir joué avec la vie des gens et qu’ils ont honte désormais ».

D’après l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra), plus d’un tiers des demandes d’asile déposées par des ressortissants afghans a été refusé en 2020.

De l’assignation à la fuite

A Rennes, le reporter est alors assigné à résidence et doit se présenter deux fois par semaine à la police aux frontières.

Paradoxalement, cette parenthèse bretonne lui offre un bref répit. « Après des mois et des mois à dormir dans la rue et dans les tentes, j’ai retrouvé le confort d’un lit ».

Entre temps, Elyaas Ehsas tente de médiatiser son histoire et trouve l’appui d’ONG de défense des journalistes, à l’instar de Reporters sans Frontières (RSF). Une pétition est lancée par le Syndicat national des journalistes (SNJ) pour recueillir 30 000 signatures. Elle urge le ministère des affaires étrangères d’arrêter la procédure d’expulsion pour permettre au reporter de déposer une demande d’asile dans l’Hexagone.

En vain. La Préfecture l’exhorte à se soumettre à un test PCR début avril, synonyme vraisemblable d’un renvoi imminent vers la Suède. Le journaliste explique sa situation au laboratoire, qui décide de ne pas réaliser le test.

Il quitte alors Rennes pour gagner à nouveau la capitale.

Début juillet, la France comme la Suède mettent un terme au renvoi des exilés afghans déboutés de leur demande d’asile, du fait de l’intensification des combats internes. La perspective d’un retour à Kaboul s’évapore pour le jeune homme de 28 ans, mais pas celle vers Stockholm. D’où sa planque francilienne.

Parmi le peu d’affaires en sa possession, son appareil photo trône en bonne place sur son bureau. Instrument, vestige de sa vie d’avant, qui entend figer des temps meilleurs.