L’aïd al-Fitr, sonnant la rupture du jeûne du ramadan, a eu lieu ce week-end. Et avec lui, la fin d’un mois de célébrations inhabituel. Alors que le ramadan représente pour les musulmans une période propice au partage et au vivre-ensemble, cette année l’épidémie du coronavirus a bouleversé des traditions séculaires. Entre souvenirs d’enfance et une nécessaire adaptation, notre journaliste Melis Omalar revient sur cette période particulière dans ce texte intime.
Un texte de Melis Omalar, traduit de l’anglais par Anouk Bontoux. Un dessin de Gaspard Njock.
Chaque année, des millions de musulmans célèbrent ensemble dans le monde entier le ramadan. Des us et coutumes qui s’inscrivent dans une histoire longue de 1 400 ans. Chaque jour du mois saint donc, il est d’usage de prendre un repas, le sahur, juste avant l’aube pour conclure une longue journée de jeûne par un autre, l’iftar, au coucher du soleil. Ces heures sans manger ni boire invitent à la gratitude et à l’introspection.
Je me demande toujours de quoi je suis satisfaite dans ma vie. De ce qui compte pour moi. La faim constante me rend reconnaissante de ce que nous avons. En outre, je me sens bien plus proche de ma famille et de ma communauté. C’est ensemble que nous nous réveillons, préparons les repas, et prions.
Chassé-croisé de souvenirs
Mais cette année, et pour la première fois, les choses ont été bien différentes. Plutôt que de s’inviter à manger et de se rassembler pour prier, nous devions passer ce temps précieux seuls chez nous. « L’un de mes souvenirs d’enfance les plus précieux », m’a confié Ersin, 49 ans, depuis Ankara (Turquie) « était de me réveiller avec mes frères pour le sahur et puis de partager notre table avec toute la famille au moment du iftar. »
Pour beaucoup d’entre nous, cela n’a pas été possible cette année. Isolés de nos familles et préoccupés par les circonstances actuelles, il a été compliqué de vivre ce ramadan comme une fête. La période, qui est d’ordinaire, synonyme d’apaisement, de bonté et de vivre-ensemble a plutôt rimé cette année avec inquiétude et angoisse.
Des habitudes bousculées
Ce week-end, des millions de musulmans dans le monde se sont connectés en ligne pour célébrer avec leurs proches l’Aïd el-Fitr – la fête de la fin du jeûne de ramadan. C’est habituellement un jour pendant lequel nous nous rendons dans nos familles et chez nos amis, passant de maisons en maisons, partageant histoires et repas.
Enfant, je me souviens, j’embrassais les mains de mes parents et grands-parents. Recevais des cadeaux ou de l’argent. Nous allions au restaurant pour un dîner festif. A la fin de la journée, nous étions surexcités, gavés de toutes sortes de confiseries.
« Ce qui m’a manqué pendant le ramadan cette année, c’est la bise que l’on se fait quand on se retrouve. Ce sont les câlins. Ce sont les enfants heureux qui courent partout, l’odeur de la nourriture et le son des rires. Ne pas se serrer la main, ça c’est facile ! », m’a ainsi confié mon père.
Un sentiment de bienveillance accru
Tout autour du monde, les restrictions liées au confinement n’ont pas permis la tenue de rassemblements pour la prière. Aussi, nombre de mosquées ont-elles organisé des offices en ligne, pour prier virtuellement ensemble.
Alors que l’épidémie du Covid-19 frappe particulièrement les seniors et les plus vulnérables, c’est précisément à ces personnes que le mois du ramadan invite à porter assistance. A dévouer son temps et ses pensées aux moins fortunés. A faire don de nourriture, de vêtements ou d’argent.
« Finalement, ce qui n’a pas changé avec le Covid, c’est que l’on s’inquiète toujours pour les moins fortunés et les malades », abonde Ersin. L’épidémie a mis en lumière de vertigineuses disparités sociales. Et la solidarité et la fraternité sont apparues, dans ces temps troublés, comme des évidences.
« C’est une épreuve que nous allons dépasser »
Quand j’ai appelé mon père pour lui souhaiter Aïd Moubarak, il avait l’air fatigué et notre conversation s’est très vite concentrée sur le Covid-19. En tant que travailleur essentiel, il continue de se rendre au travail tous les jours. Et, pour la première fois depuis très longtemps, la fin du ramadan est un jour comme un autre. « Ne t’inquiète pas » m’a-t-il dit, « c’est une épreuve que nous allons dépasser. Concentre-toi simplement sur comment ce mois – et cette période – peuvent faire de toi une personne meilleure. »