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Qui est Mimmo Lucano, l’ex-maire de Riace condamné à 13 ans de prison pour son aide aux personnes exilées ?

Un article de Justine Segui. Photo à la Une : Domenico Lucano faisant la promotion de son livre « Grâce à eux » en France, sorti en septembre 2021.


Ses actions ont été saluées par le Haut-Commissariat aux réfugiés de l’ONU ou encore par le Pape François. Il a été classé parmi les 50 personnes les plus influentes du monde par le magazine américain Fortune en 2016 et remporté le prix Dresden Peace en 2017.

Il y a trois ans, Domenico Lucano, surnommé « Mimmo » était encore maire de Riace, une commune de Calabre, au sud de l’Italie. Sa politique d’aide à l’intégration des personnes migrantes était alors saluée de tous côtés dans la presse internationale, érigée comme un modèle à suivre. L’élu avait réhabilité d’anciennes infrastructures, relancé l’économie locale et favorisé l’éducation et la formation de toutes et tous.

La semaine dernière, l’ex-édile est pourtant réapparu dans la presse pour une toute autre raison. Domenico Lucano a été condamné par le tribunal calabrais de Locri à treize ans de prison et à 500 000 euros d’amende pour « association de malfaiteurs visant à aider l’immigration clandestine, escroquerie, détournement de fonds et abus de fonction ». La vision utopiste de son modèle semble déchue.

Retour sur le parcours d’un maire voulant mettre les personnes exilées au centre de ses politiques.

Une tradition d’accueil

Domenico Lucano nait à Melito di Porto Salvo (sud de la Calabre) en 1958, mais sa famille déménage bientôt à Riace. Durant son enfance, sa mère a l’habitude d’héberger des pèlerins Roms et Sinté à l’occasion du festival de Septembre, en l’honneur des saints Côme et Damien. « Il y a en Calabre une tradition d’accueil qui remonte à la période grecque : de tout temps, l’étranger a été considéré comme un hôte, sa présence était chez nous un honneur presque sacré », expliquait-il récemment dans un entretien à Médiapart.

Dans les années 1990, il commence à militer pour les droits de l’Homme. À la fin de la décennie, l’arrivée de 300 migrants kurdes sur les côtes de la Calabre créé un « élan de solidarité » dans la commune, rappelle l’édile à Médiapart. Avant de continuer : « Il fallait trouver un toit, des moyens de subsistance, accueillir et protéger ces hommes, ces femmes, ces enfants persécutés qui avaient été contraints de tout quitter ».

En 1998, il fonde une association qui préempte les logements vides de la ville, leur propriétaire ayant migré dans le nord de l’Italie à la recherche d’un travail. C’est dans ces logements vacants que les personnes vont être hébergées.

Repeupler un village

En 2004, Domenico Lucano devient maire de Riace, pour être réélu jusqu’en 2018.

Si la culture de l’entraide fait la réputation de la Calabre, elle a été endommagée par « la paupérisation et le pouvoir mafieux », reconnait l’édile. À son arrivée en 2004, Lucano croit pourtant savoir que cette solidarité « ne s’est jamais vraiment éteinte ».

L’arrivée de ressortissants kurdes à Riace en 1998 constitue une alors une opportunité pour un village en voie de dépeuplement. Le bourg était déserté par ses habitants et ne comptait plus que quelques centaines de personnes.

« Un avenir était possible, avec une nouvelle cohésion sociale. Les gens s’en allaient, l’école était fermée, les services de base commençaient à manquer. On se demandait à quoi bon programmer encore des travaux publics, et même à tenir en vie un bourg qui se vidait petit à petit. Or, avec ces nouveaux arrivés, l’espoir pouvait renaître », se souvient Lucano dans un entretien au Monde.

« Un autre monde possible »

Avec la mise en place du « modèle Riace », les nouveaux arrivants sont logés. Ils récupèrent des bons sous la forme d’une sorte de monnaie locale, à l’effigie de Gandhi, Luther King ou Che Guevara, en attendant de percevoir leur allocation de demande d’asile.

Dans un livre intitulé « Grâce à eux » (Buchet Chastel), Domenico Lucano décrit un « autre monde possible », celui qu’il essaie de mettre en place dans le village italien. Les nouveaux arrivants ne restent pas oisifs dans l’attente de leur statut : ils participent à des ateliers de couture, de menuiserie, de céramique, de verrerie ouverts en vertu d’un plan régional pour l’insertion des personnes migrantes.

Ce modèle de compagnonnage a été repris dans d’autres bourgs de la région. Certains voulaient même l’instaurer dans d’autres pays européens, afin de dynamiser les espaces ruraux. C’est d’ailleurs un projet équivalent Ce modèle de compagnonnage a été repris dans d’autres bourgs de la région. Certains voulaient même l’instaurer dans d’autres pays européens, afin de dynamiser les espaces ruraux.

Dans son spectacle « Migrando » toujours à l’affiche, l’humoriste italienne Carla Bianchi s’est d’ailleurs inspirée de Riace avec son concept « Accueille un migrant, réanime un village ».

Une politique de solidarité, qui n’a cependant pas fait l’unanimité de l’autre côté des Alpes. L’élu s’est vu souvent fustigé, notamment par les partis d’extrême-droite.

« Le jugement à l’encontre de Mimmo Lucano est énorme et disproportionné, comme s’il était chef de la mafia ! Tout mon soutien à Mimmo, en attendant que les autres instances de annulent cette abomination et rendent une « véritable » justice ».

« Un procès à l’hospitalité »

À l’automne 2018, Lucano est arrêté et placé en résidence surveillée. Il est accusé d’avoir organisé des mariages blancs pour aider des femmes déboutées du droit d’asile à rester en Italie. L’édile est également accusé de ne pas avoir réalisé d’appels d’offres pour attribuer la gestion des ordures de sa ville (1 800 habitants) à des coopératives liées aux personnes migrantes.

Sa condamnation, ce 30 septembre, à treize ans de prisons et à 500 000 euros d’amende, a provoqué une onde de choc en Italie et chez les défenseurs des droits de l’homme en Europe.

Des politiques italiens comme Enrico Letta, secrétaire du PD (Parti démocratique, centre gauche) ou encore Pietro Bartolo, eurodéputé ont exprimé leurs soutien à l’ancien maire. Dans un tweet, ce dernier juge ce jugement « énorme et disproportionné ».

Pour les associations, il s’agit-là d’une injustice. Les co-présidents de l’ANVITA, Damien Careme (député européen, groupe des verts) et Jeanne Barseghian (maire EELV de Strasbourg), l’exprimait dans un communiqué de presse publié ce 3 octobre.

« Si le parquet affirme vouloir éviter le terrain politique, nous, collectivités territoriales et élu·es membres de l’Association Nationale des Villes et Territoires Accueillants (ANVITA), affirmons que cette sentence lourde et démesurée est bien au contraire politique », est-il écrit. Pour l’ANVITA, l’inculpation de Lucano « illustre, à nouveau, un procès de l’hospitalité » à l’image de Cédric Herrou.

Lucano ne s’attendait pas, non plus, à un tel jugement. « Je ne sais pas s’ils donnent des punitions similaires pour les crimes de la mafia. Pour moi, c’est un moment difficile, je ne sais pas ce que je vais faire », confiait-il au média italien Il Manifesto.