« Pour le plein exercice du droit d’asile »
« Le chiffre, c’est le stress, les agents en PLS » scande un délégué CGT au mégaphone. Mardi 5 mars 2024, 200 agents sur le millier que compte l’Ofpra ont cessé le travail, pour la 5ème fois en 5 mois. Ils dénoncent la politique du chiffre qui impacte la qualité du traitement des demandes d’asile au sein de l’office français de protection des réfugiés et Apatrides. Sur le parvis de l’office à Fontenay-sous-Bois, la CGT a installé une tente flanquée d’une banderole « pour le plein exercice du droit d’asile. » Car c’est tout un système qui semble s’écrouler avec cette accélération forcée des procédures d’asile. « Nous recevons des appels répétés de productivité, parfois chaque mois. Cela dépend de nos chefs de divisions mais ils font souvent redescendre des éléments de pression » déplore Anouk Leray, représentante syndicale CGT. Chaque mois, un officier traite 32 dossiers. Cela porte à 367 le nombre de récits de demandeurs d’asile attendus par personne, chaque année.
« On ne peuvent pas exclure des erreurs d’appréciation. En étant pressé, on rate forcément des choses » se désole Anouk Lerais rappelant la « vulnérabilité » des publics se présentant à l’OFPRA.
« C’est complètement nier la complexité du travail » déplore Henry de Bonnaventure, un des responsables du syndicat Asyl-Ofpra et officier de protection depuis fin 2016. Les syndicats réclament une baisse de 25% des objectifs quantitatifs assignés à chaque agent de protection. Selon un agent de l’OFPRA souhaitant garder l’anonymat, les conséquences de cette politique du chiffre sont néfastes sur la qualité d’accueil des requérants d’asile. Combien de personnes exilées n’ont pas été protégées comme il l’aurait fallu, victimes de cette pression du chiffre ?
« M.X, 17 ans né au Darfour, esclave en Libye : je ne suis pas un chiffre »
Le passage devant un officier de l’OFPRA est un moment clé pour obtenir la protection de l’Etat. Les demandeurs d’asile ont en général une heure pour convaincre leur interlocuteur qu’ils craignent avec raison, d’être renvoyé dans leur pays d’origine. Les agents ont eux la responsabilité de statuer sur chaque récit. Et ce, en toute indépendance conformément à l’application de la Convention de Genève. « Parfois tout n’a pas été dit lors de l’entretien. En relisant nos notes, on sent qu’il faudrait réentendre la personne pour lui trouver une protection. » Or « la priorité est de rendre des décisions » ajoute ce témoin, vacataire à l’Ofpra. Combien de dossier seraient ainsi « bâclés » au détriment du respect du droit d’asile ? Impossible de quantifier les répercutions de ces examens de dossiers jugés insuffisants. « Cela peut concerner des dossiers longs. Pour des syriens ou des afghans par exemple, pour lesquels on ne dispose pas de la plage horaire suffisante pour un traitement correct. »
Un agent confie que certains entretiens, « les plus difficiles ou comportant des difficultés procédurales » peuvent être mis de côté par manque de temps. « Fin 2023, on a réussi à mettre l’accent sur ces vieux dossiers afin de les traiter. On nous a rétorqué que nous n’avions pas fait assez de chiffre. » ajoute-t’il.
Pour répondre à ces objectifs chiffrés, l’OFPRA a embauché 200 agents « essentiellement au pôle instruction » indique Henry De Bonnaventure. « Il y a plus d’instructeurs et ainsi le nombre de décisions de protection augmente. Le soucis, c’est que les embauches dans les services administratifs et informatique ne suivent pas » ajoute l’agent. La conséquence impacte directement les personnes ayant obtenu leur statut de réfugié. Il faut parfois attendre une année avant de se voir remettre un document d’état civil. Selon les chiffres de l’Ofpra, en 2023, près de 142 500 demandes de protection internationale ont été introduites. Parmi elles, on dénombre quelque 123 400 premières demandes d’asile et près de 470 demandes de statut d’apatride.
« Agents surmenés, asile en danger »
Au deuxième jour de manifestation, le 6 mars, les grévistes munis de casseroles se sont fait entendre dans la cour centrale du bâtiment. Tous ont le sentiment « que la direction attend que ça se tasse. » Beaucoup déplorent également le peu d’attention portée au personnel en première ligne des conséquences de cette pression du chiffre. Cela se traduirait par un grand nombre d’arrêt de travail et des congés qui ne sont pas pris afin de coller à la cadence jugée infernale. « On ne peut pas répondre aux objectifs chiffrés de façon sereine » déplore l’agent vacataire. « Il y a un seul psychologue d’un cabinet extérieur présent un jour par semaine, pour 1000 agents » soupire Henry De Bonnaventure pointant le manque de supervision psychologique.
Depuis la loi de 2018, une nouvelle tâche vient alourdir le quotidien des agents de l’OFPRA. Il leur incombe désormais la responsabilité de détecter les requérants d’asile qui représenteraient une menace à l’ordre public. « C’est une exigence en plus. Dès qu’il y a un demandeur d’asile qui commet un méfait, il y a une effervescence médiatique et politique. Or il faut rapporter cela à la population générale, ce n’est pas le premier public à risque. » rappelle Anouk Lerais.
Un début de victoire des grévistes ?
Après 4 jours de grève consécutifs soit 8 jours au total depuis octobre 2023, les agents voté la suspension du mouvement en assemblée générale. D’après nos informations, lors d’une récente rencontre, la Direction générale des étrangers en France (DGEF) aurait acté une « baisse inévitable » des objectifs chiffrés dans le prochain Contrat d’Objectifs et de Performance (COP). Sans pour autant s’engager sur un niveau de baisse particulier. Contactée à nouveau par Guiti News, Anouk Leray, annonce qu’une nouvelle rencontre aura lieu d’ici quelques semaine avec « des éléments chiffrés plus précis. » Il s’agit pour les grévistes d’un « début de victoire » pour leur mouvement.