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De l’urgence de changer de regard : l’appel de Nekfeu

Nekfeu sur la scène du Baam festival ce 7 septembre. © Laure Playoust pour le Baam

Nekfeu sur la scène du Baam festival ce 7 septembre. © Laure Playoust pour le Baam

Sofia Belkacem et Mortaza Behboudi


L’association du Baam (Bureau d’accueil et d’accompagnement des migrant.e.s) organisait ce week-end son premier festival militant et festif. Vous étiez l’une des têtes d’affiche. Pourquoi avoir répondu présent ?

J’ai du respect pour cette association. C’est à force d’en discuter avec les membres du Baam que l’idée d’un festival est venue. J’ai toujours été sensible à cette cause et j’avais envie d’en devenir acteur. Parler d’inclusion, ça me touche et ça peut tous nous toucher. Ça a été facile de convaincre d’autres artistes (Roméo Elvis, Oxmo Puccino, Jain, L.E.J ont, entre autres, donné des concerts ndlr), particulièrement des potes rappeurs. En réalité, la majorité des artistes français sont engagés, même s’ils ne le montrent pas forcément, car c’est parfois délicat de s’exposer pour une cause. 

La thématique migratoire – pour l’appeler grossièrement – est omniprésente dans la sphère médiatique. Quand les discours de haine, d’idéologie ne l’emportent pas, on assiste aussi à une certaine façon de parler des personnes migrantes, avec un champ lexical particulier, celui de l’empêchement. Souvent, ils se retrouvent invisibilisés. Pensez-vous que ce genre d’événement participe aussi à changer notre récit collectif ? 

Carrément. Ce que j’aime avec le BAAM, et le Bal des migrants en est un bon exemple, c’est que ce ne sont pas des aristocrates qui vendent des tableaux dans un salon, pour une cause éloignée de leur réalité ! Là, on est ensemble. Pour de vrai. Cette solidarité, elle devrait être naturelle. Comme un frère et une sœur qui s’entraident. Comme ça devrait normalement se passer. Ce genre de mentalités qui prospère du type « on ne peut pas accueillir toute la misère du monde », nous atteint forcément et ronge les cœurs, même de ceux qui sont bons. 

Ce genre de festival, je crois que cela permet aussi de décoincer les choses. J’ai l’impression que la majorité des gens, quand ils s’informent, reçoivent un flux d’informations qui manque de complexité. On imagine des gens arriver de loin, avec on ne sait quelle coutume. Ils n’ont pas d’identité propre. On en vient à oublier la gravité des épreuves qu’ils subissent. Ce type d’événement permet de dire que l’on est ensemble. Même si les festivaliers ne viennent que pour écouter de la musique, certains d’entre eux ressortent sensibilisés à la cause, pour se demander ce qu’ils peuvent faire à leur échelle pour aider. 

C’est justement le dessein du festival : toucher des personnes qui ne sont pas concernées de prime abord…

Exactement… Et c’est un peu brutal de le dire comme ça, mais le nerf de la guerre, c’est l’argent. Le but, c’est aussi de continuer à donner des cours, de favoriser l’accès au logement etc…Donc, on recommence l’année prochaine pour atteindre les 50 000 spectateurs !

Nekfeu sur la scène du Baam festival ce 7 septembre. © Laure Playoust pour le Baam.

Cette réflexion sur l’itinérance on la retrouve aussi dans vos textes, où elle apparaît comme un procédé créatif.

C’est un peu ma rêverie, c’est vrai. Sur mon île en Grèce (sa famille en est originaire ndlr), une partie de la population est arrivée suite à l’exil. Mais, le terme migration est un mot qui commence à me crever. Je suis très attaché aux mots. Et, il me semble plus juste de parler d’exil. Ce mot permet de se rendre compte que cela peut arriver à tout le monde. Avec migration au contraire, on a l’impression que c’est un processus réservé à un certain type de personnes. Non, les gens sont en exil, soit forcés par la guerre, soit par la pauvreté. Un exil qui leur a été imposé par nous, par les Etats puissants. Sur cette île, des gens aident et font un travail incroyable, quand d’autres ont une réaction de rejet qui me désole.

Il existe cette musique grecque, le Rebetiko, une musique d’exil, que j’aime beaucoup. Ce même sentiment d’exilé on le retrouve dans le RAI par exemple. Ça me touche, c’est vrai. J’aime beaucoup la musique, j’en fais, mais ce n’est pas quelque chose que je sacralise. La musique aide à se changer les idées, mais pas les choses.

Grâce à quoi on change les choses alors ?

Grâce à une somme de volontés bien orientées. Grâce à l’éducation, au dialogue, au fait de confronter les gens à la réalité. C’est la rencontre qui provoque la solidarité. Si tu commences à parler à quelqu’un qui se trouve dans la rue avec ses enfants, que tu connais son prénom, tu ne vas pas le laisser en galère. Mais, on préfère fermer les yeux pour se dire : « chacun sa merde ».

Plus les gens sont éduqués, plus ça avance. Moi, je n’ai pas la solution. Ce que je sais par contre c’est que ma génération et les plus jeunes, ils ont une bonne énergie qui n’est pas exploitée pour l’instant. Une énergie que l’on anesthésie par d’autres débats, par d’autres distractions. Et la musique peut en faire partie. C’est pour cela qu’en tant qu’artistes, on a un rôle à jouer. On doit dénoncer ces choses-là. C’est de la non-assistance à personne en danger sinon. Et personnellement, je ne suis pas bien dans mes baskets, j’ai l’impression de ne pas en faire assez. 

Les humoristes aussi ont un rôle à jouer, ils participent à déconstruire les clichés… C’est en tout cas le postulat de Shirley Souagnon, également présente au festival, qui pose que l’on « peut ouvrir les consciences par l’humour« .

C’est certain. Et les réseaux sociaux jouent un rôle prépondérant. Je trouve globalement que l’on en fait un mauvais usage, pourtant c’est un médium pour toucher les gens. Ils permettent de se prendre dans la gueule une réalité. Ensuite, c’est toi qui choisis de l’ignorer ou non. Mais, c’est aux médias qu’incombent la plus grande responsabilité.

Concernant cette ouverture des consciences, ce sont finalement par les plus jeunes que s’opérera le changement. Et ce, même si on les traite de façon cynique. On le voit bien avec les manifestations lycéennes par exemple. C’est une manière de rabaisser leurs intentions. 

Vous le disiez plus tôt, le traitement médiatique réservé aux Roms vous insurge tout particulièrement…

C’est un sujet qui est invisibilisé. Les Roms, ce sont les étrangers des étrangers. On n’est pas informés et trop tolérants envers le traitement qui leur réservé. Le racisme anti-Roms est incroyable. C’est un peuple qui a toujours été persécuté. Et ça continue. Forcément, j’ai envie que ceux qui ne se sentent pas concernés par cette exclusion, le soient, enfin ! Il y a la barrière de la langue, alors l’on projette une image sur les gens, se persuadant qu’ils sont différents. Les Roms c’est une hagra (une humiliation en arabe dialectal ndlr) monumentale. Même dans l’humour, on se permet de se foutre de leur gueule. Là encore, les humoristes ont un rôle essentiel à jouer. L’humour est une arme politique, qui peut aussi installer les clichés avec bonne humeur. Et ça, c’est dangereux.