A la suite de l’expulsion des derniers occupants des locaux de l’Afpa où les “ex-Baras” avaient trouvé refuge depuis près d’un an, plus de 200 travailleurs sans- papiers, majoritairement Maliens, se sont récemment installés dans un hangar situé à quelques encablures de la mairie, où le ton monte face aux conditions de vie insalubres.
Flora Cavero-Palacio et Paul Dza
Dans l’édition numéro 85 du Montreuillois, le journal local, le maire de la ville, Patrick Bessac annonce “Le président et le préfet expulsent, Montreuil protège !”. La promesse semble belle, le ton se veut affirmé, mais qu’en est-il vraiment ? Tout pousse en effet à y croire : Montreuil est une ville d’accueil, disposant en son sein de pas moins de douze foyers, tous complets à l’heure actuelle. Après la fermeture du légendaire “rue Bara” l’an passé pour cause de conditions de vie dégradantes, M. Bessac s’était assuré de reloger les travailleurs migrants dans les locaux de l’ex-Afpa.
Mais c’était sans compter l’expulsion, sur demande du préfet, des 500 travailleurs sans-papiers occupant les lieux le 29 octobre 2019 en vue d’y accueillir la Cour nationale du droit d’asile et un tribunal administratif d’ici cinq ans. Environ 250 d’entre eux avaient pu être relogés au foyer Coallia situé rue Brûlefer, mais les non- bénéficiaires étaient, eux, restés dans les locaux de l’ex-Afpa. À présent, et ce quelques jours après le début de la trêve hivernale, ils ne sont pas moins de 200 à s’être retranchés dans un hangar situé au 138 avenue de Stalingrad.
Sur place, ils sont une petite dizaine à être sortis discuter autour d’un café devant le bâtiment, avant de s’y engouffrer rapidement en saluant au passage les agents de sécurité affectés par la mairie. Ces anciens locaux industriels sommairement aménagés grâce aux efforts du personnel de la ville sont la seule solution de relogement provisoire trouvée à ce jour. Et ce, pour une durée indéterminée. Kofi*, du haut de son lit superposé, explique : « Je suis en France et j’étais à Bara depuis 1987… Je le connais bien le foyer. Et je travaille depuis 1987, je ne me suis jamais arrêté. » Pour lui, la désillusion est complète : après avoir connu la promiscuité de l’ancien foyer pendant près de 30 ans, il est à présent condamné à passer l’hiver dans un hangar sans fenêtre, où les néons crachotent une lumière blafarde et agressive de 7 heures du matin à 22 heures, heure d’extinction généralisée des feux.
« Comment tu te douches quand il y a plus de 200 personnes avant toi ? »
Assis sur des matelas ou à même le sol, ils sont une demi-douzaine de travailleurs sans-papiers comme Kofi, rassemblés autour d’une prise multiple scotchée au mur, dernière installation en date supposée améliorer leur vie dans les locaux. Ceux qui veulent un moment d’intimité ou de calme au milieu du bruit des conversations qui résonnent dans le hangar, tendent un drap sur le bord de leur lit. Quand ce n’est pas possible, un manteau fait office de paravent.
Les 130 lits superposés sont alignés à perte de vue, mais ne suffisent pourtant pas à assurer des nuits décentes aux “locataires” du hangar, dont certains dorment sur des lits de camp ou parfois sur de maigres tapis de sport. Sur le côté du bâtiment, la seule issue de secours est une ouverture qui mène aux quelques douches et toilettes de chantier qui ont été amenées par la mairie de Montreuil : celles-ci sont vidées deux fois par semaine, à l’aide d’une pompe.
« Comment tu te douches quand il y a plus de 200 personnes avant toi ? Quand on peut, on essaie d’aller chez des gens en dehors du hangar pour se doucher, comme pour la nourriture aussi », soupire Abdoulaye, un jeune travailleur de 23 ans, employé d’une société de déménagement.
Au fond du hangar, un couloir aux murs jaune pâle mène à des chambres un peu plus isolées du bruit. Une certaine pesanteur se fait fortement sentir dès l’entrée dans la première chambre, du fait de l’espace minuscule qui permet tout juste de tenir à trois dans la pièce. Ici, pas de trace d’une quelconque aération, si ce n’est le faux-plafond crevé de part en part que nous montre Abdoulaye : « on ne peut même pas remettre droit les morceaux du plafond, ça va tomber sinon » .
Dans la chambre suivante, la situation est tout aussi désolante : les vitres, parmi les seules ouvertures laissant filtrer la lumière du jour, sont toutes fêlées et laissent passer l’air froid, la température de la chambre ne dépassant pas celle de la rue. Sur le lit collé à la fenêtre est accroché un drap à la tuyauterie du plafond, l’homme dormant dans ce lit espérant que cet abri de fortune le protège du vent glacial qui envahit la salle. Quatre personnes au minimum dorment dans ces chambres qui n’en sont pas, et où il n’est pas rare que d’autres viennent chercher du repos dans un sac de couchage ou sur un simple drap.
« Ils s’en fichent totalement de savoir comment on vit ici »
« Déjà, quand tu vois le monde devant l’entrée quand c’est organisé, alors le jour où y’a un incendie, c’est une catastrophe», soupire Abdoulaye. En effet, les cinq extincteurs dispersés dans le fond du hangar ne peuvent faire oublier le fait que les deux seules issues de secours sont totalement inadaptées à un bâtiment logeant plus de 200 personnes. La première sortie est une ouverture le long d’un tableau électrique, la seconde est le couloir servant également d’entrée, ce jour-là totalement engorgé du fait d’une distribution de brosses à dent.
Le ton monte, alors que les habitants du foyer font la queue afin de récupérer un kit d’hygiène auprès d’une association qui s’occupe également de recenser les tailles des hommes afin de les fournir en vêtements chauds, car certains ont tout perdu en chemin. « On nous reloge n’importe comment… Certains d’entre nous sont séparés de leurs frères, de leurs oncles et ne savent même pas où ils sont. Et évidemment, nous perdons nos affaires ! Regarde toutes les personnes qu’il y a ici, et tous les déménagements que l’on a fait », raconte Abdoulaye avec un sourire triste.
Dans le hangar, nombreux sont les travailleurs à rester de marbre devant les efforts annoncés par la mairie. Un relogement, oui, mais à quel prix ? Pour Abdoulaye comme pour Kofi et les autres, ce n’est pas suffisant. Les conditions sanitaires sont en effet préoccupantes, bien que la mairie ait annoncé l’installation de douches au fond du hangar, entre quelques rangées de lit, dans un espace déjà largement saturé. Des branches surgissent des murs, un homme se plaint de démangeaisons aux bras depuis qu’il dort dessous. Une bassine d’éponges de douche sales traîne sous une table, où, nous dit-on, un homme a établi son campement pour la nuit.
« Les gens s’en moquent, on ne s’intéresse pas à nous. Ils s’en fichent totalement de savoir comment on vit ici. » L’indifférence est le maître-mot, à en croire les habitants du hangar. Le sentiment d’abandon règne et l’aigreur s’intensifie de jour en jour devant le peu de solutions apportées, et ce à l’aube de la période la plus rude de l’année.
* les prénoms ont été changés