Photo à la Une : Manifestation contre la loi « sécurité globale » le 28 novembre 2020 à Paris © Jeanne Manjoulet Flickr CC
« Je n’ai eu qu’une seule attitude pendant presque trois ans et demi : marcher devant. Marcher devant m’a valu et me vaut encore de prendre des coups », écrit Didier Lallement dans une lettre à ses collaborateurs, que s’est procurée France Info.
Critiqué notamment pour sa gestion des incidents au stade de France durant la finale de la Ligue des champions, le préfet de police de Paris qui, à 65 ans a atteint la limite d’âge du corps préfectoral, quitte son poste avec la « fierté du devoir accompli ». Il est remplacé par Laurent Nuñez, 58 ans, ex-patron de la direction générale de la sécurité intérieure.
Un « rôle de méchant » assumé
Dès sa prise de poste, la politique de maintien de l’ordre de Didier Lallement s’assume comme frontale et musclée. Elle se construit en réaction à celle de son prédécesseur Michel Delpuech perçue comme trop « douce ».
Le haut fonctionnaire actualise ainsi le dispositif de Brigade de répression de l’action violente motorisée (BRAV-M) et recourt à la nasse, méthode consistant à encercler les manifestants et à restreindre leur mouvement. La nasse a été jugée illégale par le Conseil d’État en 2021.
Sa politique sera fustigée à de nombreuses reprises par la société civile et des responsables politiques de gauche. Jean-Luc Mélenchon ira même jusqu’à les qualifier de « méthodes de psychopathe ».
Des critiques répétées auxquelles le préfet de police, machiavélien, a été toujours été sourd, se plaisant à répéter une maxime de Clémenceau : « ne craignez jamais de vous faire des ennemis. Si vous n’en avez pas, c’est que vous n’avez rien fait ». « Il aime ce rôle de méchant. Il a l’impression de se rapprocher de ces grands chefs de la police qu’entoure une légende noire », glissait ainsi à son sujet un sous-préfet à nos confrères de l’Obs.
Des violences à l’endroit des personnes exilées ?
Mais alors comment s’est traduite cette politique de maintien de l’ordre à l’endroit des personnes en exil ? Au cours de son mandat, les démantèlements systématiques des camps de fortune se sont poursuivis.
Coordinatrice générale de l’association Utopia 56, Charlotte Kwantes ne mâche pas ses mots : « le bilan du préfet à l’égard de ces populations a été marqué par des violences physiques et verbales, un harcèlement policier et des expulsions sèches sans proposition de relogement ».
Une scène marque l’opinion publique. Celle de la place de la République en novembre 2020, quand 500 tentes sont érigées pour mettre en lumière la situation des exilés qui dorment dehors. Deux heures après l’installation, les forces de l’ordre se rendent sur la place. L’occupation tourne à l’émeute. Virales sur les réseaux sociaux, les vidéos montrent un policier faisant un croche-pied à un homme exilé, quand un autre reçoit des coups de poings dans le ventre.
Après la diffusion de ces images, 72 élus, tous de gauche, demandent la démission du préfet. Le gouvernement ne veut rien céder à l’opposition et le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin insiste alors sur France 2 : « oui, je renouvelle ma confiance au préfet de police ».
« Chasse à l’homme »
Pour Charlotte Kwantes, la politique de maintien de l’ordre sous Lallement se caractérise ainsi par une « chasse à l’homme », où les aidants comme les aidés sont « victimes d’une politique d’épuisement ».
« Les personnes exilées sont pourchassées dans la rue et constamment harcelées. Pas plus tard qu’il y a quelques jours, un campement d’hommes seuls afghans s’est fait réveiller par des jets de gaz lacrymogènes. Même nous, en maraude, on a déjà été suivis par la police », s’indigne-t-elle.
Les campements en question
En 2019 et 2020, Didier Lallement supervise ainsi plusieurs démantèlements de camps, notamment ceux de la Chapelle (XVIIIème arrondissement), d’Aubervilliers (Seine-Saint-Denis, 93) et de Saint-Denis (93).
A l’aube du 17 novembre 2020, les forces de police encerclent le camp de l’Écluse, à Saint-Denis, avant de démonter les tentes de plus de 2000 exilés, dont 400 familles. Lallement promet à ceux en situation régulière une mise à l’abri. Quant à ceux qui ne le sont pas, ils « n’ont pas vocation à rester sur le territoire pose-t-il.
En cinq ans, le campement de Seine-Saint-Denis a connu une « soixantaine » d’évacuations, souligne Corinne Torre de Médecins sans frontières (MSF) auprès d’InfoMigrants.
« C’est la troisième fois que je fais partie d’une évacuation de ce genre, mais les conditions de vie dans ces centres ne sont pas bonnes, surtout pour les enfants. Alors, je finis toujours par me retrouver à la rue », confie Fatima, l’une des résidentes du campement d’Aubervillers, à InfoMigrants.
Poursuivi en justice par des associations
Pour les associations, ces campements participent d’une logique de gentrification, avec des personnes en exil repoussées toujours plus vers l’extérieur de la ville. Aux yeux de la coordinatrice d’Utopia 56, il s’agit d’une politique nationale d’invisibilisation de la misère : « les campements les plus visibles sont les plus vulnérables et les personnes à la rue le comprennent bien, beaucoup décident d’aller dans Paris pour protester contre cette politique. Être dans Paris, c’est déjà une bataille », explique Charlotte Kwantes.
Utopia 56 fait d’ailleurs partie des associations, avec Enfants d’Afghanistan et d’ailleurs, ainsi que 34 exilés, élus et bénévoles, à avoir porté plainte contre trois préfets d’Île-de-France dont Didier Lallement pour « complicité de destruction, dégradation et détérioration » et « complicité de violences volontaires » après le gestion des démantèlements des camps d’exilés de Saint-Denis et de la place de la République.
Une « politique gouvernementale déjà visible à Calais ou la frontière Italienne »
Médecins Sans Frontières (MSF) a également déposé plainte contre le préfet pour « violences volontaires et atteinte aux biens » des associations et des personnes.
Malgré les émeutes et les incidents, Didier Lallement a gardé le soutien du gouvernement. Pour Charlotte Kwantes, cette confiance symbolise combien le préfet de Paris n’a fait que mettre en place une « politique gouvernementale déjà visible à Calais ou la frontière Italienne », pose-t-elle. Et de reprendre, « le but est d’envoyer aux exilés un message, en leur disant qu’ils n’ont rien à faire ici ».