Une chronique de Justine Segui / Photos : DR
« La seule œuvre de divertissement en arabe qui se projette dans un futur possible », c’est ainsi que le producteur libanais, Rabih Sweidan décrit son nouveau film Alephia 2053 أليفيا, à nos confrères de L’Orient-Le Jour. Ce « futur possible », il se situe à Alephia, pays arabe fictif et dystopique ; un néologisme inspiré de la première (aleph) et dernière (ya) lettre de l’alphabet arabe.
« La peur est la clé du pouvoir », lance ainsi Alaa Ibn Ismail Al-Alef, dit « Alef II », tel Machiavel, pour préparer son fils à sa succession. C’est dans l’orchestration de cette terreur que vivent les habitants du pays au quotidien. Ces derniers sont surveillés et traqués par des technologies très avancées. Quand à tous les coins de rues, des caméras sont installées via des dispositifs de reconnaissance faciale et que des écrans géants véhiculent de façon cyclique la propagande du régime.
Rationnement alimentaire, arrestations, torture, pendaisons : le quotidien d’Alephia n’est que misère et tentatives de survie. La pauvreté y apparaît comme un fil conducteur, jusque dans les choix stylistiques de couleurs, avec des teintes « grisâtres et bleutées ». « C’est parce que la culture du monde arabe n’a plus d’âme depuis longtemps. On la lui a extraite », appuie Rabih Sweidan auprès de L’Orient-Le Jour.
Une lutte en écho aux printemps arabes
C’est dans ce contexte dystopique, qu’une partie de la population lutte pour sa liberté. Le film commence sur la fuite, l’arrestation puis la mort de deux adolescents pro-révolution. Après quoi, les révolutionnaires vont gagner le soutien de nouveaux alliés. Parmi eux : Majd, grand frère de l’adolescente arrêtée et Soumaya, dont le père veut la forcer à épouser le fils d’Aleph II. Officiant tous deux au sein des hauts-rangs du régime, ils permettent à la résistance d’émerger. La foule populaire se met à battre le pavé, scandant le désormais célèbre refrain des printemps arabes – « le peuple exige la chute du régime » -, face à des forces de sécurité lourdement armées qui répondent par des tirs réels.
Chronique d’un succès d’audience
Produit par la société Spring Entertainement et imaginé par l’illustrateur Jorj Abou Mhaya, Alephia 2053أليفيا a été majoritairement conçu à Beyrouth. « Plus de 70 % du travail a eu lieu au Liban et a été réalisé par des libanais », précise Sweidan à France 24. Un projet qui a également bénéficié du concours du studio d’animation Malil’Art à Angoulême, en France.
Au beau milieu d’une crise sanitaire, les sites de streaming et réseaux sociaux se sont substitués au cinéma. Sorti le 21 mars 2021, le film d’anticipation cartonne sur Youtube, où il comptabilise déjà plus de huit millions de vues.
Le long-métrage animé a été écrit en arabe littéraire, langue traditionnellement utilisée pour doubler les dessins animés populaires, afin d’atteindre une plus grande audience dans le monde arabe, où la plupart des pays jouissent de leur propre dialecte. Une vaste diffusion également permise par la présence d’un sous-titrage varié en anglais, français, arabe, italien et allemand.
Alors, quid de ce succès ? Une première exégèse peut se faire à l’aune des résonances avec des enjeux géo-politiques actuels dans le monde arabe et au-delà. Des soulèvements pro-démocratie jusqu’aux nouvelles répressions. « Chacun le voit de sa propre perspective. Les gens s’identifient et y retrouvent leur propre société », assure le créateur de Alephia 2053أليفيا, à l’Agence France-Presse.
Du changement de narratif sur l’histoire collective
Rabih Sweidan assume le parti pris de son film : « Nous avons des milliers d’heures de divertissement à travers le Moyen-Orient qui réimaginent, et parfois créent, un passé erroné et glorieux, remarque-t-il au micro de L’Orient-Le Jour ; et pourtant, rien sur l’avenir ». Il affine : « J’ai toujours pensé que, dans le monde arabe, on se consacre trop à créer un passé improbable et pas assez à imaginer un futur plausible. J’ai eu l’idée de créer ce film à vision futuriste pour les générations à venir ».
Ce singulier film d’animation reste en tout cas une « étape importante (dans l’histoire) de l’animation arabe », comme l’affirme Elias Doummar, le critique de cinéma libanais, cité par l’Afp.
Et à la rédaction de Guiti News, nous ne saurions que corroborer.