Texte : Laëtitia ROMAIN / Photo : Mortaza BEHBOUDI
Jeudi dernier, une séance spéciale a été organisée au Cinéma des Trois Luxembourg, en présences de Rafaat Al-Ghanim, journaliste syrien, et Sabrina Bennaoui, responsable du bureau Moyen-Orient de Reporters Sans Frontières.
Alors que la projection s’arrête pour laisser place au débat, le silence dans la salle est éloquent. Par où commencer lorsqu’on vient de passer une heure et demie aux côtés d’une jeune femme syrienne qui nous fait comprendre concrètement ce qu’ont peut vivre dans une ville assiégée ? La journaliste Waad Al-Kateab partage avec les spectateurs le quotidien des habitants des quartiers d’Alep opposés au régime, dans un film à la fois autobiographique et documentaire.
C’est à Sama, sa fille née au début de l’année 2016, que Waad adresse son récit. La jeune mère lui raconte, en même temps qu’elle cherche à comprendre, ce qui a guidé ses actions et celles d’Hamza, l’ami médecin qu’on voit devenir son mari. Elle raconte leur engagement dès les premières manifestations de 2011 alors qu’ils sont encore étudiants, leur combat politique, l’hôpital qu’ils font tourner pour soigner les victimes des bombardements, leur vie de famille, celle de leurs voisins et amis, leur volonté de rester à Alep jusqu’au bout.
À travers sa caméra, on ressent la peur, la douleur du deuil, l’incompréhension de la violence. On entend les bombes et les pleurs. Les images sont brutes, parfois très dures, on voit mourir des enfants. Pourtant on retient avant tout l’humanité qui subsiste. Waad nous donne accès aux moments de répits, d’humour, d’intimité et d’espoir qui rythment aussi leur vie. On entend les rires et les chants, on voit naître des enfants.
Filmer devient une mission pour Waad, avec l’objectif de documenter, voire de prouver ce que les civils ont subit – son témoignage se veut pièce à conviction.
« J’ai ressenti une grande responsabilité envers ma ville, ses habitants et nos amis : il fallait que je raconte leur histoire afin qu’elle ne soit jamais oubliée et que personne ne puisse déformer la réalité de notre vécu. » déclare-t-elle dans le dossier de presse.
Pour Sabrina Bennaoui, de Reporter Sans Frontières, il s’agit d’un cas typique de « journalisme citoyen ». Waad, à l’origine étudiante en économie, est devenue correspondante pour Channel 4 pendant ses dernières années à Alep. Sabrina Bennaoui ajoute que souvent l’entourage de Waad lui demandait d’arrêter sa caméra, mais celle-ci voulait montrer ce qu’ils vivaient. Rafaat Al-Ghanim, journaliste syrien, rebondit sur la question du choix des images que l’on transmet au grand public. Selon lui, « il faut filmer tout ce qu’on peut filmer ».
Après avoir été forcée de quitter la Syrie, la famille Al-Kateab, s’est installée à Londres, où Waad s’est rapprochée d’Edward Watts. Le réalisateur britannique explique avoir « toujours cherché à mettre en valeur l’humour et l’humanité que nous partageons avec des personnes vivant dans des situations désespérées ». Ensemble, ils ont réalisé un film fort et important.
Reconnu en tant que tel par une critique unanimement enthousiaste, Pour Sama, déjà plusieurs fois récompensé (notamment avec l’œil d’or du Festival de Cannes) est aujourd’hui en route pour les Oscars.
Pendant la discussion qui suit la projection, une même question revient plusieurs fois. Que peut-on faire ? Une fois qu’on a repris son souffle, on a envie d’agir.
On sait que la guerre est encore d’actualité en Syrie, que ce soit à Idlib ou encore dans le Nord-Est depuis l’offensive turque de la semaine dernière. Plusieurs options ont été proposées. Pour demander l’arrêt du ciblage des hôpitaux et du personnel médical en Syrie, l’UOSSM a besoin de signatures #DoctorsinDanger. Pour donner de la visibilité au témoignage de Waad, il est possible d’organiser une projection débat : toutes les informations sur le site d’Amnesty International. Vous pouvez aussi soutenir des ONG qui œuvrent sur le terrain (UOSSM, ASML Syria, parmi d’autres) ou vous engager localement.