Pendant trois ans, la réalisatrice Madeleine Leroyer a suivi une équipe de chercheurs et de chercheuses qui tentent de retrouver l’identité de près d’un millier de migrants disparus dans un naufrage survenu le 18 avril 2015 en mer Méditerranée. En retraçant l’histoire de cet inconnu « numéro 387 », c’est précisément sa dignité, sa mémoire et celles de tous les autres disparus, que cette équipe cherche à restaurer et honorer.
Texte : Sidney Cadot-Sambosi et Firas Abdullah/ Photo : Little Big Story / Dessin : Gaspard Njock
Actuellement disponible sur la plateforme d’Arte, le film « Numéro 387, disparu en Méditerranée » suit le travail d’anthropologues, de scientifiques, de diplomates et de prêtres qui oeuvrent à identifier les centaines de personnes migrantes mortes en mer, suite au naufrage de leur embarcation à 70 000 miles des côtes libyennes le 18 avril 2015.
L’éloquence des morts
Le titre de ce documentaire vient du corps numéro 387, retrouvé dans la cale du bateau. Il s’agit du corps d’un jeune homme qui voyageait avec des dizaines de photographies et une lettre d’amour. Sur celle-ci, il est écrit : “J’espère te retrouver. Oluiti, Oluiti, mon amour.”
À partir d’Athènes, de l’Italie, du Sénégal, du Mali, et des témoignages des survivants, l’identification des naufragés s’avère être une entreprise ardue. Les indices sont disséminés entre la police, les médecins-légistes, les récits des pairs, les organisations non gouvernementales et les archives administratives des communes où sont enterrées certaines personnes réfugiées.
Le spectateur mesure à quel point le processus d’enquête est entravé par de multiples procédures. Cristina Cattaneo, anthropologue médico-légale en charge des victimes du 18 avril 2015, et José Pablo Baraybar du Comité Internationale de la Croix-Rouge sont soumis à des délais d’ordre diplomatique et scientifique.
Parmi les 800 naufragés, seuls 100 documents d’identité ont été retrouvés. La majorité provient du Mali, de la Mauritanie, du Sénégal, de la Guinée Conakry, du Soudan, de la Somalie, c’est-à-dire de l’Afrique francophone et de la corne de l’Afrique.
« Honorer les morts, c’est servir les vivants »
Si ce travail d’identification des personnes est long et pénible, il est néanmoins nécessaire selon la chercheuse Giorgia Mirto, qui recense les migrants enterrés en Italie. « Je fais ça pour la justice, pour le respect, pour faire justice aux morts. J’insiste : honorer les morts c’est servir les vivants. Car notre civilisation, notre condition d’être civilisé se mesure à la façon dont nous traitons les morts ».
En effet, il est question de la mémoire des défunts, du deuil des vivants et surtout de la mémoire collective. Cet enjeu est éclairé par l’intervention d’Abraham Tesfai, réfugié et militant érythréen qui travaille avec le Comité Internationale de la Croix-Rouge. « Il faut garder la mémoire par les livres, par les films : il faut raconter ce qu’il s’est passé. Oublier est un crime », dit-il.
Seul un survivant du naufrage du 18 avril 2015 témoigne dans le documentaire. Tariku Ftwi parle au nom des morts sans pour autant traduire l’indicible, sa lutte pour la survie au milieu de la Méditerranée.
Peut-être est-ce là un des défauts de ce documentaire : s’attarder sur les procédures et les imbroglio en délaissant la parole des concerné.e.s, c’est-à-dire les familles des défunt.e.s, des survivant.e.s et de leurs proches.
La question juridique est à peine effleurée : que dit le droit international sur la prise en charge des personnes en situation de migration décédées dans des zones limitrophes ? Peut-on et doit-on considérer la mer Méditerranée comme une sépulture, un mausolée ? Des prises en charge matérielles et psychologiques doivent-elle être envisagées pour les familles endeuillées ?
33 400 décès et disparitions en Méditerranée depuis 2014
Ce documentaire a pour mérite de soulever nombre de questionnements qui touchent au fondement de nos sociétés et à l’utilisation plus ou moins neutre de nos moyens techniques et technologiques.
Le projet de l’Organisation Internationale des Migrations (OIM) sur les disparus représente actuellement la seule initiative massive de collecte de données sur les décès de migrants dans le monde.
D’après l’OIM, plus de 33 400 femmes, hommes et enfants sont morts ou portés disparus depuis 2014 (date de début de la collecte ndlr).
En outre, l’OIM propose aussi une plateforme en ligne pour améliorer l’accès aux informations sur les flux de migration de la matrice de suivi des déplacements (DTM), y compris une visualisation des flux de population.
Après avoir visionné ce documentaire, il paraît légitime et urgent de plaider pour faire entrer dans le droit des réfugiés en mer la nécessité d’une sépulture décente.
Le documentaire est en accès libre sur Arte jusqu’au 6 novembre 2020.