C’est affublé de son T-shirt « SOS Méditerranée », un appareil photo à l’épaule, que Michaël Bunel passe la porte de la rédaction. Depuis une dizaines d’années, le photographe de 39 ans focalise son travail sur les thématiques migratoires. En 2019, il publie « Exil », un livre photo retraçant les parcours des personnes déracinées.
Un travail dont la genèse remonte au printemps 2013, tandis qu’il se rend en Syrie. « Je n’avais pas d’argent pour payer un fixeur [la personne qui guide, conduit et parfois traduit le journaliste dans un pays étranger – NDLR], afin d’aller à Alep », explique Michaël Bunel.
Il se concentre alors sur les camps de réfugiés au nord de la Syrie et en Turquie. « À partir de ce moment-là, c’est devenu mon sujet principal. Je me suis acharné à retracer les routes migratoires », développe-t-il, comme habité.
Le « Geo Barents » comme point de départ
Son dernier reportage ? Il l’a réalisé dans le cadre de la Grande commande photographique pour les photo-journalistes initiée par le Ministère de la Culture et pilotée par la BnF (Bibliothèque Nationale de France).
C’est début 2021 que Michaël Bunel postule pour cette bourse avec un projet d’investigation sur les aidants aux personnes exilées. En décembre, il est sélectionné et reçoit une dotation pour financer son reportage, prévu sur une durée de six mois.
« L’État français m’a donné une bourse pour documenter l’inaction de l’État français ! », plaisante-t-il.
Intitulé « Les aidants, d’une mer à l’autre », le reportage s’amorce sur un bateau de sauvetage, le « Geo Barents », de l’ONG Médecins Sans Frontières (MSF). Son parcours suivra ensuite les pas des personnes exilées jusqu’à Briançon (05), afin de mettre en lumière le travail de Tous Migrants, association qui agit à la frontière franco-italienne.
Puis, direction Paris pour suivre le collectif Réfugiés Migrants Wilson, avant de finir à Calais pour rapporter les actions de l’association Utopia 56.
Le temps long accordé à ce reportage permet au reporter « d’avoir tous les types de structures », explique-t-il. C’est pour cette raison que Michaël Bunel se tourne vers MSF : « C’était important d’avoir une grosse ONG. Cela faisait cinq ans que je voulais monter sur le bateau. Mais en tant qu’indépendant, c’est compliqué, car je n’avais pas de garanties de publication ».
« On fabrique des preuves pour le futur »
La Grande commande photographique étant co-gérée par la BnF, une partie des photographies intègre ensuite les archives nationales. Michaël Bunel, pour sa part, est toujours animé par le même dessein : lutter contre la lassitude de l’opinion face aux sujets migratoires.
« J’ai toujours essayé d’aller beaucoup plus loin, en faisant un livre, des expositions, des interventions scolaires… Sur ces sujets, on fabrique des preuves pour le futur », abonde le photographe.
Une collaboration née en mer
Comme souvent, il fait une rencontre qui se révèlera déterminante. Celle de Lucas Vallerie, dessinateur, sur le « Geo Barents » il y a quelques mois à peine. « On s’est tout de suite très bien entendus », se souvient le photographe.
Et, les deux artistes de réaliser bientôt combien leurs travaux sont complémentaires. L’idée d’allier la « douceur » des dessins de Lucas et la dureté du noir et blanc des photos de Michael finit par s’imposer.
« On parlait d’abord d’une exposition, ensuite d’un livre », poursuit Michael Bunel. Le genre de la bande dessinée et photographiée s’impose comme une évidence pour ses deux auteurs. Spontanément, et depuis le « Geo Barents », ils contactent la maison d’édition où travaille Lucas Vallerie, qui accepte le projet. C’est le début de ce « carnet de sauvetage ».
Sauveteur malgré lui
Pendant deux semaines, ils se forment, intégrés aux équipes de sauvetage du bateau. Lors de l’une des interventions, le photojournaliste se retrouve même à prendre part au sauvetage. « Ça n’a même pas été un questionnement. J’ai mis mon boîtier dans le sac, et j’ai foncé pour essayer de sortir des personnes de l’eau ». Un drame dans lequel ont péri 30 personnes. 71 autres ont la vie sauve grâce au travail des secours. « C’est le professionnalisme que les sauveteurs nous ont inculqué qui m’a permis d’aider sur ce sauvetage », raconte Michael Bunel.
Si le photographe a été marqué à vie par ce périple, il l’est aussi sur la peau. Tatoué d’un « SOS » en morse sur le poignet, inscription qu’il s’est faite graver sur le « Geo Barents » par une sauveteuse, Bunel n’attend qu’une chose : repartir rapidement sur les eaux méditerranéennes.