Filmer comme moyen de combattre, pour donner la parole à ceux que l’on entend trop peu. Pendant près d’un an et demi, en plein centre-ville de Caen, en Normandie, un squat habité par 250 migrants a été autogéré. Trois amis journalistes Raphaele Taquard, Thomas Gathy et Quentin Cezard ont voulu documenter cette vie en communauté. Ses aspirations, ses réussites, tout comme ses limites. Bientôt achevé, leur film en immersion peut encore être soutenu sur une plateforme de crowdfunding.
La rédaction / Photos : les enfants du Marais
« Je ne viens pas pour vous piéger. Je ne viens pas montrer la misère, mais pour rendre compte le plus fidèlement possible de la vie en squat. » C’est avec cette promesse de ne pas verser dans la caricature que le journaliste Quentin Cezard a convaincu les habitants du « Marais » de se laisser filmer.
Le « Marais », c’est ce squat gigantesque en plein cœur de la ville de Caen, qui a accueilli près de 250 personnes migrantes, dont certains dublinés, pendant près d’un an et demi. Un squat autogéré, où ce sont les personnes migrantes, accompagnées de bénévoles, qui organisaient leur vie au quotidien. Répartition des tâches ménagères, établissement d’une école nomade, création d’un salon de coiffure… En 18 mois, une microsociété s’est créée. Sur les 250 habitants du « Marais », quelques 80 enfants, tous scolarisés dans une école de la ville.
Nombre d’associations caritatives étaient également mobilisées. La Cimade y donnait des cours deux fois par semaine. Une association de couture venait prêter main forte aux mères de famille pour rapiécer les vêtements des enfants. Des particuliers et des voisins distribuaient régulièrement au tiers-lieu de la nourriture et des vêtements.
Géographie de la lutte
Des ressortissants afghans, tchétchènes, albanais, soudanais ou encore mongoles peuplaient ce squat. Pour ces « enfants du Marais », souvent au-dessus de leur tête comme une épée de Damoclès, une obligation de quitter le territoire. « La plupart n’avait pas le droit d’être pris en charge par l’Etat. Personne n’en voulait », renchérit Quentin.
Le documentaire expose aussi leur réflexion identitaire et leur rapport à la France. « S’ils se sentent Caennais, s’ils veulent faire leur vie ici, il reste qu’ils se sentent dans le même temps étrangers, invisibles, moins que rien, indésirables…. Une adolescente nous disait qu’elle ne comprenait pas comment les enfants pouvaient être aussi méchants et racistes ».
Un autre insistait sur sur les raisons de sa présence en France : « On a envie de bosser, de payer des impôts. S’il n’y avait pas de danger, on ne serait pas partis ! ».
Le « Marais » a ainsi représenté un refuge, un chez soi, certes momentané, mais permettant une certaine sérénité. Comme celle de ne pas appeler le 115 tous les soirs. « C’est chez moi. C’est pas un squat. Tu n’as pas peur quand la police débarque », expliquait cette même adolescente au journaliste.
Le « Marais » constituait aussi une géographie de « convergence des luttes », selon Quentin. Notamment avec les gilets jaunes. Un espace propice à la discussion qui accueillait régulièrement débats et projections.
La fin d’une utopie ?
Pendant ses six premiers mois, le « Marais » a été un lieu résolument pacifique, note Quentin. Et puis, avec l’arrivée de nouvelles personnes, essentiellement des hommes célibataires, cela s’est corsé. Des problèmes de sécurité ont commencé à apparaître.
En octobre 2019, le « Marais » a finalement été évacué, sonnant le glas d’une expérimentation de vie en collectivité. La plupart de ses anciens habitants loge désormais dans un autre squat de la ville, la «grâce de Dieu ». Un tout autre espace pour une toute autre mentalité, estime Quentin. « Il s’agit d’un ancien immeuble. Les appartements ont des portes, chacun dispose de sa propre cuisine… C’est un lieu d’habitation en somme, quand le Marais constituait plus un lieu de vie ».
« L’esprit du Marais » existe-t-il toujours ? Pour Quentin, cela ne fait pas de doute, et s’est notamment traduit durant le confinement avec l’organisation de collectes et de dons. « Ils se connaissent tous, la solidarité et l’entraide sont toujours là. », note le journaliste qui est toujours en lien avec ces « enfants du Marais ». « Certains sont devenus des amis ».
Un « esprit » qu’ils espèrent tous voir survivre aussi grâce au documentaire. « Quand on leur a montré les images, ils étaient heureux. Il y a beaucoup attente de leur côté, ils ont envie qu’il sorte ». Ce film étant bientôt achevé, les trois journalistes réfléchissent désormais à sa diffusion. L’idée ? Organiser des ciné-débats dans différentes villes en France, et qui sait, être sélectionné en festival.
Et si vous voulez soutenir le film « Les enfants du Marais », c’est ici.