Guiti News

« Le Chant des vivants », un documentaire pour panser le déracinement en musique

©TS-Productions_RVB

Tout commence à Conques, petit village médiéval niché dans l’Aveyron (Occitanie). Egbal, Anas, David, Sophia et les autres – pour la majorité issus de centres d’accueil pour demandeurs d’asile – s’installent à l’abbaye Sainte-Foy en compagnie des bénévoles de l’association « Limbo ».

« Le Chant des vivants » nous plonge dans leur quotidien. La vie en communauté, la préparation des repas, les échanges bouleversants avec les bénévoles, les religieux et les villageois, les balades autour de l’abbaye dans des paysages sublimés par la caméra de Cécile Allegra. 

Le documentaire musical interroge le vivant et le sacré, les confronte à la cruauté du monde. Par des ateliers d’art-thérapie, les jeunes du groupe tentent de poser des mots sur l’indicible. La traversée des déserts, de la mer, des frontières, comment raconter tout cela ? Comment dire la Libye ? Cet enfer personnifié où les milices sont devenues les Charon des temps modernes ?

La musique, compagnon universel 

Pour beaucoup, c’est la première fois qu’ils racontent leur histoire. Et, s’y prêter en musique transpose le récit dans une autre dimension. « La musique permet de toute évidence d’abattre n’importe quel mur. Je voulais faire un film qui puisse être entendu même par les personnes qui n’ont pas un intérêt pour ce sujet. Qui n’ont pas envie d’entendre. Il fallait donc inventer une langue pour les forcer à écouter. La langue la plus universelle, c’est la musique », appuie Cécile Allegra, la réalisatrice. 

Au fil du documentaire, les jeunes griffonnent en anglais, français, lingala sur un bout de papier ou pianotent sur leur téléphone des souvenirs. Cela vient par bribes et le compositeur Mathias Duplessy se charge de les mettre en musique. « Partir ou mourir », « Et je repense souvent », « Plus que l’enfer »… toutes les chansons portent leur propre mélodie et chacun l’interprète avec sa voix et son style.

Les scènes où l’on assiste à la restitution de leur chanson sont sublimes et poignantes. Des chansons conçues comme des clips musicaux, dont la beauté est parachevée par le cadre consolant de l’abbaye.

« Le chant des vivants » s’achève tandis que Egbal, Anas, David, Sophia et les autres quittent Conques en entonnant leur hymne à la vie. Une symphonie collective titrée « Vivant ». Loin d’être sombre ou misérabiliste, le documentaire est résolument une ode à l’existence.

« C’est un sujet qui a fait basculer mon existence. Je me battrai toute ma vie pour que cette réalité soit connue et racontée »

« Je suis obsédée par la question du trafic d’êtres humains, notamment dans la corne de l’Afrique, explique Cécile Allegra. Il faudrait faire un documentaire qui soit tel que tous ceux qui le regardent prennent conscience de l’horreur de la situation ».

La réalisatrice, très engagée, n’en est pas à son coup d’essai pour alerter sur la situation en Libye et dans la région. On lui doit notamment les documentaires «Voyages en barbarie» (2014) et «Anatomie d’un crime » (2017). Le premier suit six rescapés des camps de torture du Sinaï (désert en Egypte) quand le second met à jour l’existence d’un système de viol ciblant spécifiquement les hommes durant la guerre civile en Libye.

Dans « Le Chant des vivants », Cécile Allegra poursuit son entreprise de dénonciation, devenu pour elle « une obsession ». « Avec le temps, une forme de désespoir est née en moi. C’est un sujet qui a fait basculer mon existence. Je me battrai toute ma vie pour que cette réalité soit connue et racontée », assène-t-elle. Dans le film, Cecile Allegra s’engage pleinement et passe devant la caméra pour animer des entretiens avec ceux qui acceptent de témoigner, à la manière d’une thérapie. 

« Ce qu’il y a de vertueux dans ce film, c’est la création d’un nouveau langage pour les survivants. Les Syriens par exemple peuvent se retrouver et dire : « nous avons collectivement vécu ça. C’est une fracture dans notre histoire nationale et nous le reconnaissons nationalement ». L’expérience des camps de concentration libyens n’est pas quelque chose qui réunit les jeunes survivants à l’étranger. C’est parce qu’ils n’ont pas toujours le bagage culturel ou historique pour le nommer », conclut-elle. 

La réalisatrice ambitionne de porter la voix des protagonistes du documentaire « Le Chant des vivants » devant les instances internationales pour dénoncer « un crime contre l’humanité », pointant également du doigt la responsabilité de Bruxelles, qui finance les camps libyens. 

Guiti News est partenaire du film. Des séances sont notamment prévues jusqu’à février à l‘Espace Saint-Michel à Paris.