Tori (Pablo Schils), 12 ans et Lokita (Joely Mbundu), 17 ans, frère et sœur, atteignent ensemble la Belgique, après être passés par l’Italie, pour être accueillis dans un centre pour mineurs non accompagnés.
Désormais loin de l’enfance, il est l’heure pour Lokita de se rendre à l’entretien préfectoral qui scellera leur sort. C’est là qu’elle racontera les raisons de leur exil : des menaces de mort qui pesaient sur son frère taxé d’enfant sorcier à son immigration forcée pour fuir une mort certaine.
Obtiendra-t-elle ses papiers ou sera-t-elle forcée de rentrer ? Qu’ils partagent leur ADN ou non, Tori et Lokita sont bel et bien une famille soudée dans l’adversité, brisant le joug de la solitude de l’exilé, bien souvent ignorée.
« Depuis toujours, nous voulons mettre les faibles au centre de notre écran »
Habitués de la Croisette avec deux palmes d’or à leur actif, les réalisateurs belges remportent avec « Tori et Lokita », le Prix Spécial du 75ème anniversaire du festival de Cannes en mettant en exergue, comme à leur habitude, la vie de « petites gens » qui souffrent.
Ici, focus sur le déracinement – que les frères cinéastes avaient déjà traité avec « Le Silence de Lorna » primé à Cannes en 2008 – et sur les 1001 facettes des dangers qu’il comporte pour des enfants.
« On décompte six raisons à l’exil, mais toutes mènent vers une solitude inouïe. Nous avons beaucoup parlé de cela avec des psychiatres en préparant le film. Un exilé cherche toujours à recréer une famille, sans quoi le chemin s’avère être extrêmement difficile. Nous nous intéressons depuis toujours aux faibles par rapport aux forts et c’est eux que nous souhaitons mettre au centre de notre écrans », argumentait ainsi Luc Dardenne lors de la conférence de presse du film au dernier festival de Cannes.
Et d’ajouter : « C’est de cette manière que l’on voit comment marche la société. Le rapport de force est marquant quand on est faible et on s’évertue à le camoufler avec de la communication! ».
L’histoire du film a été inspirée aux frères Dardenne par Ruth Nkaye, une mère de famille Camerounaise dont la fille se prénomme Lokita. Bien que leur film soit une fiction, certains des propos de leur inspiration les ont marqués.
« Si vous n’êtes pas ensemble, vous allez mourir », répétait ainsi Ruth Nkaye à ses propres enfants. C’est d’ailleurs cette dernière qui aida Pablo Schils et Joely Mbundu à maitriser le dialecte pour les besoins du tournage.
Réfugiés VS enfants mandatés
En matière d’exil, les statuts et réalités diffèrent, même pour les enfants. Aussi, les réalisateurs attirent-ils l’attention de leur audience sur les enfants mandatés par leurs parents. Envoyés en Europe ou ailleurs afin de travailler et d’envoyer de l’argent à la famille restée au pays.
Pour eux, il est alors ardu d’obtenir des papiers et à leur majorité, ils sont souvent renvoyés dans leur pays d’origine, alors même qu’ils ont effectué une scolarité dans le pays d’accueil. « J’espère que cela disparaitra. J’espère que bientôt un enfant qui a suivi un cursus scolaire ou d’apprentissage dans un pays puisse y demeurer après ses 18 ans », pose Jean-Pierre Dardenne.
Malgré la différence de traitement d’un enfant à l’autre, c’est soudés que Tori et Lokita affrontent les épreuves : l’exploitation, l’enfermement et les agressions sexuelles.
« Cette histoire, c’est celle d’une amitié entre deux enfants seuls au monde. Ils vont se battre, mais s’amuser de la vie en même temps. On voulait faire de leur amitié leur territoire, tout en dénonçant les conditions de vie des mineurs, leur situation de détresse et d’insécurité. C’est à travers les yeux des enfants que nous pouvons nous voir, nous autres adultes, car ils portent le futur en eux », conclut Jean-Pierre Dardenne.
D’une sobriété qui leur est propre, le dernier long-métrage des frères Dardenne est un indispensable pour comprendre l’exil et déconstruire les prégnants et dévastateurs clichés.
« Tori et Lokita » est en salles depuis le 5 octobre.