Habituée à la lumière avec ses tournées multiples et un nombre record d’albums vendus, la rappeuse Diam’s (Mélanie Georgiades à la ville) avait pourtant décidé de tirer sa révérence au sommet de sa gloire. La raison?
C’est ce que l’artiste révèle dans ce documentaire intimiste présenté à Cannes Première, où elle témoigne du mal-être qui a failli l’engloutir et du rôle que les médias ont joué dans sa prise de décision. Pour la première fois depuis plus d’une décennie, Diam’s lève le voile sur ce qui s’est réellement passé avec l’aide de deux amies réalisatrices, Houda Benyamina («Divines») et Anne Cissé («Buck», «Dar»).
Un film à six mains produit et diffusé par la plateforme Brut qui a donné carte blanche à l’auteur-interprète de « La Boulette », dont la teneur des deux sujets principaux interpellera davantage que l’objet de cinéma: la France dans son rapport à la religion et la santé mentale.
L’identité française face à l’islam
Au cœur du sujet donc : sa conversion à l’Islam. 2009 : Alors que la chanteuse est adulée par des millions de fans, un cliché d’elle sortant d’une mosquée voilée accompagnée d’un homme avait eu l’effet d’un raz-de-marée. Ici et là, d’aucuns arguent que le symbole de la jeunesse est tombé sous la coupe d’un mari musulman machiste et que c’est sa nouvelle religion qui l’a éloignée du rap.
Dans une France alors déjà fortement animée par les débats sur l’islamisme, mêlant volontiers islam et terrorisme de façon peu regardante, c’est l’identité française même qui est au cœur de la polémique, avec la crainte que Diam’s n’embarque tous ses soldats sur une pente glissante.
Pour le producteur Benjamin Ifrah, la chanteuse représentait alors « un thermomètre de la société française, la voix de ceux qu’on n’entend pas ». La co-réalisatrice Anne Cissé s’inscrit en faux.
« Mélanie parle en son nom. Elle ne souhaite pas être la porte-parole de quoi que ce soit, c’est très important pour elle. D’ailleurs, ce documentaire est un récit intime, elle parle d’elle à la première personne et ne cherche pas à donner une réponse universelle. En revanche, elle cherche à dire qu’il existe d’autres solutions, d’autres issues, et d’autres manières de vivre que celles qu’on nous demande de vivre », nous explique ainsi Anne Cissé.
Avant de reprendre : « En ce sens, je pense que c’est là qu’elle est un thermomètre : elle représente toutes les catégories de personnes qui se posent des questions sur le sens de la vie, sur comment on peut mener notre vie aujourd’hui ».
Dans le documentaire, Diam’s se confie sur sa découverte de l’islam de façon fortuite lors d’un voyage à l’Ile Maurice en compagnie d’une amie musulmane pratiquante. « Elle est allée prier et j’ai ressenti le besoin de l’accompagner. Au moment de poser le front à terre, j’ai su que c’est là que je devais être. Je me sentais bien », rapporte-t-elle.
Ce que « Salam » dévoile va, en réalité, bien au delà de cet épisode qui signa la fin des interviews dans la presse pour Diam’s. Le fameux cliché de Paris Match de 2009 marquant ainsi pour l’artiste le début d’un salut après dix années de mal-être.
Cap sur la santé mentale
Si le titre du film (« Paix » en arabe) peut laisser penser qu’il ne porte que sur la conversion de l’artiste, il révèle plutôt l’état actuel de cette dernière. Elle est aujourd’hui mère de trois enfants et fondatrice du Big Up Project, une association venant en aide aux enfants de certains pays africains (Mali, Sénégal et Cameroun), qui construit notamment des orphelinats et des écoles.
Avant d’en arriver là, Diam’s a traversé plus de dix ans de troubles psychologiques, la poussant à commettre plusieurs tentatives de suicide (sur lesquelles elle s’était d’ailleurs confiée en musique avec son titre « T.S.»)
« Si vous saviez dans ma chambre comme je souffre (…)
Je veux partir pour mieux revenir,
et devenir quelqu’un,
quelqu’un de bien », chantait-elle ainsi.
Hospitalisée après son plus grand Zenith, l’auteure-interprète admet que la médecine d’alors n’a pas su lui venir en aide: « Ils m’ont éteinte, je suis tombée dans l’enfer des médicaments », confie Mélanie face caméra. « La gloire c’est une ivresse, en concert je me sentais bien, ce mal m’abandonnait. Mais, un concert ça dure 2 heures, il reste 22 heures à vivre derrière. 22 heures insupportables… »
Diagnostiquée bipolaire, c’est au bout de dix ans que Mélanie rencontre un psychologue qui l’aide à remonter la pente à force d’écoute. « Il faudrait juste savoir dire : « on est là, ça va aller, on va y arriver ensemble » », ajoute l’ex-chanteuse.
« Je pense que c’est cela que Mélanie veut faire avec le film : elle veut aider les personnes qui souffrent à sortir de leur solitude. Elle veut dire : « parlez-en et écoutons nous les uns les autres ». Elle a vécu la question des maladies mentales de manière très solitaire, c’était il y a dix ans, où la bipolarité constituait le diagnostic fourre-tout ! J’espère que le film va permettre de changer les choses », insiste Anne Cissé.
Santé mentale : la mal-aimée du système
Les moyens dont les psychiatres disposent face à l’afflux grandissant de patients en France est au cœur du sujet. Interrogée sur ces derniers, Dr Laure Woestelandt, psychiatre de l’enfant et de l’adolescent à l’hôpital de la Pitié Salpetrière à Paris – et par ailleurs contributrice ponctuelle chez Guiti News – confie que sa spécialité est le parent pauvre de la santé en général, notamment depuis la pandémie.
« Depuis plus d’un an, l’hôpital public se dégrade fortement, les conditions de travail aussi. Bien évidement psychiatres et psychologues ne disposent pas de moyens suffisants. Toutefois, l’on pourrait penser à une réorganisation de ces moyens, qui reste très centrée sur l’hospitalisation et les urgences. Or, l’on se rend bien compte aujourd’hui que les dispositifs ambulatoires de prévention doivent être renforcés pour créer une alternative à des hospitalisations temps plein lorsque cela est possible. C’est vraiment ce maillage de structure ambulatoire, de centres médico-psychologiques et de remboursement de consultations psychiatriques et psychologiques, qui fait défaut », insiste la psychiatre.
Quant à ce diagnostic (trop) populaire de bipolarité, Laure Woestelandt indique que la volonté première du corps médical était de déstigmatiser les troubles mentaux parfois sévères, attribuant cette condition à de nombreuses stars comme le personnage de Jennifer Lawrence dans le film oscarisé en 2012 « Happiness Therapy ».
Pour le Dr Woestelandt, spiritualité et soins psychiatriques ne sont pas à mettre en conflit ou à opposer et peuvent aller de concert, surtout si cela permet de réduire ou d’annuler complètement la prise de médicaments.
Cependant, elle alerte sur un phénomène pouvant provoquer le cynisme du corps médical, parfois nécessaire pour faire face à la situation: « Lors de la crise du Covid-19, nous étions amenés à trier les malades, à prioriser les urgences des urgences. Or, cela fait quelques années déjà que ce tri des malades existe en pédopsychiatrie et en psychiatrie, tant nous manquons de structures pour accueillir les enfants. Alors, je caricature à peine, mais parfois nous devons choisir entre l’enfant qui est sur le rebord de la fenêtre et celui qui délire à plein tube à la maison et qui voudrait y mettre le feu. C’est un peu extrême, mais effectivement on voudrait pouvoir hospitaliser trois ou quatre adolescents, mais nous n’avons qu’une seule place ».
« Salam » a ainsi le mérite d’aborder cette question essentielle de santé publique. Après son parcours sur scène et à l’hôpital, Diam’s-Mélanie a suivi des études de psychothérapie et continue de répondre aux messages de son public de façon personnelle sur ses réseaux. Preuve s’il en est, qu’elle continue dans l’ombre, à impacter la vie de milliers de personnes.
« Salam » sera bientôt disponible sur la plateforme BRUT.