Une nuit de pleine lune, sombre et déserte, Najwa et son frère Mansour pénètrent dans Beyrouth (Liban). Ils y suivent la trace d’un passeur, afin de rejoindre une femme de l’autre côté de la Méditerranée. Quelques silhouettes traversent la ville, tel Sélim, le gardien du phare, qui tente de le réparer pour éclairer la cité et ses mystères.
Les deux frères et sœurs vont-ils réussir leur traversée ? Beyrouth, ville rongée par ses crises successives, dévore-t-elle ses enfants le temps d’une nuit ou d’un rêve ? A ce stade de ruine, l’avenir du Liban se joue-t-il au loto ? S’abandonne-t-il aux passeurs, à la mer et ses vagues ?
Rêve éveillé, le film soulève des questions, sans chercher de réponses. Nous ne savons rien ou presque de ces personnages. Ils sont là, cette nuit, dans Beyrouth : ils chantent, éclairent, crient et résistent.
Pourquoi avoir choisi de réaliser ce film sous forme de conte ?
Renaud : Le film est né de ce phare de Beyrouth, au milieu des buildings. C’est l’image source du long-métrage. On ne savait pas encore ce qu’elle signifiait exactement (le film s’est construit pendant dix ans NDLR), mais on savait qu’elle avait un potentiel cinématographique. Nous sommes aussi allés à la recherche de sons. Ensuite, le récit s’est construit autour de ces images.
Liana : L’idée du phare s’est couplée à celle d’aller chercher des histoires de mer et donc, très vite, nous avons travaillés avec un conteur. Le prologue amorce déjà une invitation à la fiction.
La borgne dans le prologue, les intermèdes chantés, les apartés rêvés… Quelle place donnez-vous au symbolisme ?
Renaud : Le prologue énoncé par la borgne demande au spectateur de fournir un effort. C’est un échange que j’aime bien avec le spectateur, car il lui laisse une place. Pour les chants, je pense que nous sommes tous traversés par ces citations qui s’immiscent dans la langue.
Et puis, il y a un rêve qui passe et à un moment, on sait plus s’il s’est passé une ou dix minutes. Le cinéma est, je crois, capable de montrer cet égarement. On ne sait plus comment le temps s’est écoulé.
Liana : Le chant, c’était aussi une façon de continuer ce que l’on a exploré dans nos précédents courts-métrages. Cela donne à chaque personnage sa propre voix, son propre langage : le gardien du phare est dans un rapport d’onomatopée, et la vendeuse de loto est un cri de colère.
Les jeux de lumières jouent aussi un rôle essentiel dans votre film …
Liana : C’était déjà présent dans l’intuition de départ, le phare, et les déclinaisons de lumière.
Renaud : La lumière et le mouvement sont à la base du cinéma. La quête de lumière traverse le film. On l’a baigné dans du noir pour pouvoir mieux voir nos personnages et les possibles ouvertures lumineuses qu’ils cherchent. Il y a des relais de lumière : le phare, le téléphone où clignote la trajectoire et les points de rencontre avec le passeur.
Comme un jeu de piste ?
Liana : Oui, il y a un jeu de piste, qui permet de sortir de ce que l’on sait. Le jeu est très moteur dans notre écriture. On fonctionne aussi souvent avec des procédés d’écriture collective.
Vous filmez en argentique, avec une caméra Aaton. Quel rapport entretenez-vous avec cet objet ?
Renaud : C’est notre première caméra, c’est vrai qu’elle occupe une place très importante. C’est l’aboutissement d’années de technique et de maîtrise. Et puis sur le plateau, l’équipe est assez jeune. Il y a une fascination pour cet objet, car tous n’ont pas forcément déjà travaillé avec. Quand le silence se fait et qu’on entend ce petit bruit de défilement de pellicule, quelque chose de magique s’opère. Ça fait aussi partie de l’âme du film.
Liana : La lumière se capte différemment sur un capteur numérique ou sur une pellicule. Faire ce choix était important pour nous. Mais, on avait un budget très limité. On nous a dit : « C’est simple, si vous voulez faire ça, il faudra enlever des scènes ou enlever des jours de tournage ». On avait deux ou trois prises en moyenne sur chaque plan. Il y a beaucoup des plans du film qui se sont faits sur une prise de risque.
Renaud : Pas de plaisir sans risques !
Risques qui ont dû participer, voire modifier le film pendant le tournage ?
Liana : Ces successions de risques et de contraintes ont conféré une grande énergie au tournage. La pellicule, ça demande une exigence de préparation. Il fallait aller au cœur de chaque scène, et répéter au maximum. En plus, la jeune actrice, qui vit dans un camp de réfugiés syriens à Bar Elias dans la plaine de Bekaa, avait rejoint l’équipe cinq jours avant le tournage ! Elle est musicienne, chanteuse et clarinettiste. Elle brise tous les clichés sur les jeunes filles qui habitent dans les camps.
Programmé à Cannes par l’association ACID (Association du Cinéma Indépendant pour sa Diffusion), « La mer et ses vagues » sortira en 2024 sur le grand écran.