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« Nous valons bien des termites » : comment construire un monde meilleur dans un pays qui ne vous reconnaît pas ?

Quand une journaliste a demandé à Liban Douale, jeune demandeur d’asile somalien arrivé en France en 2018, de citer un proverbe fidèle à ses convictions, il s’est livré à une réflexion sur son statut de migrant et sa place dans son pays d’accueil. Il a choisi de relayer son texte sur Guiti News.

Liban Douale, accompagné de Françoise Ramel. Illustration en Une : Gaspard Njock.


Dans mon pays d’origine, la Somalie, nous utilisons beaucoup de proverbes dans nos discussions. Hier une journaliste m’a demandé en fin d’interview de choisir un proverbe illustrant ma pensée. J’ai d’abord réfléchi à un proverbe qui explique que pour bien comprendre l’autre, sa souffrance, ses sentiments, tu dois d’abord être en capacité de ressentir ce qu’il ou elle éprouve. Or, ce sont plutôt les jeux de pouvoir, d’autorité, d’intimidation, voire d’humiliation qui régissent nos interactions.

Ce que j’éprouve en tant que migrant, c’est une profonde incompréhension. Et le fossé culturel, psychologique, social et économique, qui rend difficile certains échanges, avec ma conseillère au Centre d’accueil de demandeurs d’asile (CADA) par exemple. J’étais Liban Douale avant d’arriver en Europe les mains et le ventre vides, je suis toujours Liban Douale et demain, avec ou sans statut de réfugié, je serai encore Liban Douale. Et plus la situation devient oppressante, plus j’ai envie d’exercer mes droits, de faire entendre ma voix, parce qu’aujourd’hui j’ai la chance de vivre dans un pays où chacun peut exprimer cette liberté de parole et d’opinion.

En tant que jeune, j’ai une opinion. En tant que migrant, j’ai une opinion. En tant qu’Africain, devenu breton par la force des choses, j’ai une opinion. En tant que croyant, éduqué à la tolérance, au respect, aux valeurs de l’islam et du soufisme, j’ai une opinion. Or mon opinion, aussi légitime et basée sur des faits, sur une expérience, soit-elle, ne compte pas.

« Faire entendre ma voix : un devoir »

Faire entendre ma voix, ce n’est pas qu’un droit, c’est aussi un devoir, car je crois à la possibilité, à la nécessité de sauver des vies, à l’urgence de changer le monde et ses règles. Alors j’ai choisi pour cette journaliste un autre proverbe somalien, une autre image pour traduire le fond de ma pensée. Je lui ai parlé des termites et de la capacité collective de ces minuscules êtres vivants à construire des nids avec une architecture imposante dans mon pays.

Dudun aboor baa dhisa

(Nous valons bien des termites)

Proverbe somalien

Nous valons bien des termites. Et si nous étions plus que des survivants bloqués pendant plusieurs années par des procédures administratives ? Procédures que je respecte par ailleurs, mais qui nous excluent en France du marché du travail, de toute formation qualifiée ou certifiée, de l’apprentissage. Sans ces obstacles qui nous ralentissent, nous pourrions être une génération de bâtisseurs dans notre pays d’accueil.

Je ne veux pas travailler pour améliorer mon propre niveau de vie, ou gagner de l’argent, m’enrichir, Non. Je veux travailler parce que la France est un beau pays et qu’il m’offre la sécurité dont j’ai besoin, à défaut d’un avenir. Je veux travailler, car j’ai la chance d’être jeune et en bonne santé. Je suis capable de m’adapter à toutes les situations et d’apprendre aussi bien que n’importe quel jeune diplômé de France.

« Mais mon statut de migrant me l’interdit »

Toi, moi, nous ! Nous sommes l’expression vivante d’un tout et la question est: pourquoi priver ce tout de notre potentiel ? De notre volonté de participer à la construction de sociétés contemporaines, qui sont obligées, qu’elles le veuillent ou non, de repenser leur fonctionnement et leur fragilité ?

D’où je viens, le terrorisme et la guerre civile sont le fléau qui nous prive de toute possibilité de construire un monde meilleur pour nos enfants, nos filles et nos garçons. Ici, en France, il y a la paix, la démocratie et l’accès à l’éducation. Tout cela me permettrait de bâtir cet idéal, mais mon statut de migrant me l’interdit.

Le slogan du confinement « Restez chez vous » s’applique à moi depuis janvier 2018, sans que je puisse comprendre pourquoi, sans que personne ne puisse me dire quand j’aurai le droit à mon tour de retrouver ma liberté de mouvement et d’action.

Liban Douale (deuxième en partant de la droite), entouré de quelques bénévoles de l’association TIMILIN. Ils œuvrent pour sauvegarder le patrimoine breton.

Depuis mai 2018, je suis bénévole au sein de l’association TIMILIN. J’entretiens un site archéologique du Xe siècle, une ferme à l’abandon et un gîte. Ici, je suis avec les créateurs de TIMILIN. Ils avaient 18 ans quand ils ont créé ce beau projet en 2002. Je veux moi aussi pouvoir partager mes idées et mon expérience de jeune somalien originaire d’une zone rurale.