Patou Nsimba et Laurent Dupuis
Il fait très chaud. Tout ne semble pas dormir sous le soleil. Les oiseaux chantent, les piétons défilent et les voitures ronronnent. Traoré Alioune Badara sifflote quelques partitions de mbalax, musique populaire d’Afrique de l’Ouest. Il est debout devant l’entrée de la radio Valois Multien, basée à Crépy-en-Valois (Oise).
Alioune est l’invité du jour de l’émission « les ondes de Mysta », émission mensuelle de la radio Valois Multien, qui tord le cou aux préjugés. « Les ondes de Mysta » traite spécialement des questions liées à l’asile et à l’immigration. Son but ? Aider les auditeurs à comprendre le rôle des acteurs qui interviennent dans le processus migratoire. Mais aussi changer de regard sur les immigrés qui s’installent dans l’Hexagone et montrer combien ce métissage peut être source de revalorisation culturelle et de richesse.
Traoré Alioune Badara est originaire de Tambacounda, une région située dans la partie est du Sénégal. Détenteur d’une maîtrise en Histoire médiévale de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar et d’une formation de professeur, Alioune enseigne l’Histoire au lycée Blaise Ndiaye de Dakar de 2003 à 2007, avant de débarquer en Italie. « En 2007, j’ai quitté le Sénégal pour découvrir la « civilisation occidentale ». Vu que j’avais fait des études d’histoire médiévale, j’étais fort intéressé par la Rome antique, la France… Je comptais y passer deux mois pour découvrir le pays et finalement, j’y suis resté afin de tenter de trouver du travail. Je voulais devenir interprète. »
De traducteur à ouvrier, son long périple
En Italie, Alioune s’inscrit à « La Sapienza », la Sorbonne romaine, où il décroche un diplôme de Médiateur Interculturel en Droit du Travail. Durant cette même année, il est engagé comme traducteur au Tribunal de Grande Instance de Rome. « Dans mon travail, j’ai été confronté à des migrants qui parlaient bambara, peul et wolof. Ils n’avaient pas connaissance d’un seul mot en italien. Je devais leur servir d’interprète », sourit l’ancien enseignant sénégalais.
Traducteur pendant une année et demie au TGI de Rome, Alioune aspire à autre chose. Il jette alors l’éponge. Le fils de la Teranga se retrouve magasinier dans la région du Lazio jusqu’à 2010. Il quitte ensuite Rome pour poursuivre son aventure à Milan, où il travaille comme ouvrier dans une usine agro-alimentaire. Il y restera un an.
La gibecière remplie, Alioune décide de faire un tour au Sénégal, le pays d’Adama Gaye. Il y séjourne pendant deux mois. « C’est toujours intéressant de retourner au bercail. La famille, les amis me manquaient. J’avais besoin de la chaleur du pays ! ».
Alioune retourne ensuite en Europe et s’installe en octobre 2011 dans l’Hexagone. « Je ne suis pas retourné en Italie pour renouveler mon titre de séjour. L’Italie ne me passionnait plus. Quand je suis arrivé en France, l’administration m’a fait comprendre qu’avec mon titre de séjour italien, je n’avais pas droit à l’aide médicale. Je ne pouvais pas enclencher une procédure de régularisation », confie-t-il.
En 2013, c’est la marche du Grand Paris. Des associations françaises engagées dans la défense des droits des migrants organisent une marche d’un mois en Ile-de-France pour exiger le respect de la dignité humaine. Une marche sous le signe de protestation contre le traitement des sans- papiers, roms et demandeurs d’asile, internés en centres de rétention administrative avant d’être expulsés du territoire français. Alioune Badara y participe avec des migrants subsahariens et des sans- papiers. « Nous avions sillonné 64 communes d’Ile-de-France. La marche démarrait à 9 heures et prenait fin à 17 heures. C’était une grande expérience », se souvient-il.
Lors de cette marche, Alioune fait la connaissance de Christophe Baumard de la Radio Paris Fréquence Plurielle. « Il nous interviewait tous les jours. Notre revendication était simple. Ce que l’on demandait aux autorités françaises durant cette marche, c’était la mise en place d’une véritable concertation avec le mouvement des sans-papiers et les associations engagées dans la défense des droits des migrants. »
Faire entendre la voix des sans voix
Après cette manifestation d’un mois, Christophe invite Alioune à la radio pour intervenir dans son émission. Depuis, Alioune y participe régulièrement. En 2014, Christophe lui propose d’animer l’émission « La voix des sans papiers ». Alioune n’hésite pas, il saisit sa chance. Durant cette même année, il co-anime l’émission avec le Franco-Malien Anzoumane Sissoko.
Alioune Badara est donc devenu animateur bénévole au sein de la radio Paris Fréquence Plurielle. Cette radio indépendante se veut un lieu de libre expression pour les minorités sociales qui combattent toutes les formes d’exclusion et d’oppression. La station radio émet sur 106.3 Fm. L’émission d’Alioune passe le premier et le troisième jeudi du mois, de 11h à 12h. « Notre émission contribue à la visibilité de la lutte des étrangers en situation irrégulière et des migrants. Les nouveaux arrivants aussi, on les considère comme des futurs sans-papiers car ils n’entrent pas tous dans le cadre de la loi Asile et immigration. L’émission est un plaidoyer. Elle sensibilise les Français et Françaises sur les politiques migratoires néfastes à l’encontre des migrants et des sans-papiers », martèle celui qui est également co-fondateur d’Intégration 21, une structure qui s’occupe des sans-papiers et des demandeurs d’asile.
Alioune est heureux de l’organisation de l’émission, bien structurée, et qui se déroule dans de bonnes conditions. « Il y a un groupe qui participe régulièrement à l’élaboration des émissions. Les tâches sont divisées. Nous avons aussi notre micro-trottoir sur le terrain. Nous invitons sur notre plateau des responsables des mouvements associatifs et bien d’autres personnes. Avec ces personnes, nous discutons sur des sujets liés à l’immigration. Tout dépend du thème du jour! Nous invitions d’habitude trois à quatre personnes sur le plateau».
Une émission qui lui permet non seulement d’être en contact avec les acteurs sur le terrain, mais aussi de se sentir utile. « Je joue en quelque sorte un rôle de porte-étendard des sans-papiers », conclue-t-il.