Pourriez-vous nous expliquer ce qui vous a mené à demander l’asile en France ?
Je suis originaire du Darfour. J’ai fait mes études de communication médias et de journalisme sur place. Je rêvais de devenir présentateur à la télévision. En 2010, je suis parti en Inde pour poursuivre des études dans le e-commerce et ma vie a basculé. J’y ai rencontré des gens du Darfour. Ils ont créé des groupes pour sensibiliser sur la guerre au Soudan. J’étais très actif avec eux et lorsque je suis rentré au Soudan, j’ai été arrêté. Ils m’ont obligé à collaborer avec le gouvernement, à faire de l’espionnage auprès de gens de mon quartier. Je devais aller pointer deux fois par semaine en leur livrant des informations. Je ne voyais plus d’avenir là-bas. C’est pour ça que j’ai dû fuir, fin 2014. Je suis parti en Egypte en voiture et j’ai pris le bateau. J’ai passé 9 jours en mer. Je suis entré en France par Vintimille puis je suis passé par Paris avant d’arriver à Calais. J’y suis resté 3 mois. En 2015, j’ai demandé l’asile et je l’ai obtenu.
Quels souvenirs gardez-vous de ces trois mois passés à Calais ?
Mes souvenirs sont difficiles. J’ai perdu un ami qui est tombé d’un camion en tentant de rejoindre l’Angleterre. J’ai eu beaucoup de chagrin. Et puis, autour de ces drames, j’ai été très touché par l’engagement des citoyens dans les campements de Calais. Je ne parlais pas français et pourtant j’ai pu sympathiser avec des bénévoles. Malgré les difficultés, cet esprit de solidarité entre les exilés, le monde associatif et les citoyens est une force. J’ai demandé l’asile en France car j’ai cet amour de la langue française. J’ai été accueilli au Cada d’Arras.
A quels défis avez-vous dû faire face après l’obtention du statut de réfugié ?
Le combat : ça a été l’apprentissage du français. C’est vraiment un combat. Sur le trajet de l’exil, parfois je ne buvais qu’un verre d’eau par jour, j’ai connu la faim, c’était difficile. Mais le combat pour s’intégrer, trouver une place dans la société, ce n’était vraiment pas facile. Je suis allophone. Ma langue maternelle est une langue étrangère, dans la communauté où je me trouvais. J’allais à La Croix rouge, on était dans une classe hétérogène. Je ne connaissais même pas l’alphabet. Comment on peut apprendre comme ça ? J’ai tout arrêté, j’ai commencé à apprendre le français tout seul, grâce aux cours en vidéo d’Alexia sur Youtube. Elle aide à la compréhension orale du français à travers des vidéos explicatives ! Et un jour, je voudrais vous raconter une anecdote terrible. Un jour, j’ai pris le bus pour aller à La Croix-Rouge et une dame m’a attaqué parce que je parlais en arabe. “Pourquoi tu parles cette langue ? Ici on parle français !” J’étais incapable de lui répondre. L’apprentissage du français, ça a été une arme pour me défendre et pour trouver ma place. Mener une conversation, c’est la clé pour s’intégrer.
Quelles autres rencontres furent déterminantes dans votre parcours ?
J’ai rencontré une bénévole au Centre d’Accueil de Demandeurs d’Asile d’Arras. Elle s’appelle Françoise Lobbedez. Elle nous a aidé, car on apprenait la grammaire, la conversation. Certains mots sont difficiles à prononcer comme le mot « rue ». Je disais : « roue ».
Et puis en juillet 2016, Françoise m’a aidé à faire une demande pour préparer un diplôme universitaire (DU) à l’Université d’Arras. Mais les frais d’inscriptions coûtaient 2700 Euros. Impossible pour moi de sortir cette somme. Alors je suis allé voir le maire d’Arras. Je lui ai dit que j’aimerais entrer à l’université pour me former davantage et il m’a dit : « On verra ». J’ai été accepté à l’Université et j’ai eu l’exonération des frais de scolarisation. C’est la ville qui a payé. J’ai fait une année, j’ai obtenu le niveau B2. Je remercie Monsieur le Maire car j’ai pu obtenir un master en management de projet que j’ai obtenu en 2019. Puis j’ai fondé l’association La voix des réfugiés.
Quelle est la mission de cette association ?
J’ai tellement souffert pour apprendre le français que je veux aider les nouveaux arrivants, à mon tour. Mon objectif, c’est aussi de les accompagner dans leur insertion professionnelle. Être réfugié, partir de chez toi, personne ne le fait par plaisir. Cela implique de tout laisser pour tout recommencer à zéro. Il faut beaucoup de courage, de persévérance, de niaque. Je m’en suis sorti grâce à une chaîne d’entraide et grâce à des personnes qui m’ont porté. Pour moi, le pouvoir de la rencontre est puissant.
Quel a été votre parcours professionnel après l’université ?
Quelqu’un m’a parlé du programme Wintegreat qui œuvre pour l’insertion socioprofessionnelle des réfugiés et demandeurs d’asile, en mobilisant le savoir-faire des établissements de l’Enseignement Supérieur. J’ai aussi appris l’existence de Each One qui permet le retour en emploi durable et permet aux entreprises de recruter des talents réfugiés. À Calais, tu peux postuler. Ils ont des programmes dans les grandes écoles et ils m’ont coaché. L’un de mes coachs m’a parlé d’une offre de stage de 6 mois chez L’ORÉAL en me conseillant de postuler. J’ai vraiment fait de belles rencontres, grâce à la fondation Tent également qui m’a donné de la visibilité. Jamais, je n’aurais imaginé créer ce réseau professionnel. J’ai aussi réalisé qu’en entreprise, il y a des gens qui n’avaient jamais été en contact avec des réfugiés. A la machine à café, certains m’ont dit : “c’est la première fois que je vois un réfugié.”
Et puis le 2 mars 2020, j’ai signé mon CDI, au poste de chargé de communication chez L’Oréal. L’équipe, depuis la Directrice générale jusqu’aux binômes avec qui je travaille m’ont donné confiance en moi. Ils ont tout fait pour que je puisse me sentir bien. J’ai pu suivre des formations qui m’ont permis de grandir. Il y a 1 an, j’ai eu une promotion. Je suis chef de projet à la fondation L’ORÉAL, dans le cadre d’un programme venant en aide aux femmes en situation de précarité. Nous les accompagnons sur deux axes : via des formations en coiffure, maquillage et à travers un cursus de conseillère beauté. Au total, plus de 45000 femmes ont été accompagnées depuis 2016, dans 8 pays. On change la vie des gens, c’est touchant parce que je vois concrètement les résultats.
Quels conseils donneriez-vous aujourd’hui aux personnes réfugiées pour faciliter leur intégration en France ?
Il faut y croire déjà. Si on ne croit pas en soi, on ne va pas plus loin. Et puis avoir conscience qu’avoir la double culture, c’est un privilège. C’est comme être un citoyen du monde. Je dirais aussi qu’il faut aller vers les autres, qu’il ne faut pas rester chez soi. Et j’insiste sur l’importance de l’apprentissage du français, c’est le conseil numéro 1, ça aide à être en contact avec les autres.