Ahmad Shah Shadad confie son anxiété. Ce journaliste afghan fut contraint de s’exiler au Pakistan lorsque qu’un avis de recherche a été lancé par les Talibans pour arrêter l’une de ses collègues. « Ils ont même annoncé une récompense pour toute personne qui donnerait des informations permettant de la retrouver » lance le jeune homme, aujourd’hui en attente d’un visa pour l’Europe. Bloqué au Pakistan, il commence à perdre espoir. « Nous n’avons même pas d’argent pour manger. Il faut que les pays européens et les Etats-Unis étudient nos demandes de visa de toute urgence. N’oubliez pas les afghans » lance-t-il ému alors que nous échangeons en visio conférence.
« Nous sommes près de 200 journalistes afghans en attente de visa au Pakistan. »
Ahmad a beau implorer les pays connus pour être des terres d’accueil, rien n’y fait. En attendant, il vit reclus à quelques encablures de la capitale Islamabad, n’osant sortir que pour acheter le strict nécessaire à sa survie car les journalistes afghans sont indésirables sur les terres pakistanaises. En décembre 2023, Reporters sans frontière appelait le gouvernement pakistanais à garantir la protection des 200 journalistes afghans menacés d’expulsion vers leur pays d’origine. En résulte un climat de terreur, d’insécurité.
Pris entre le marteau et l’enclume
Le jeune reporter afghan sait qu’il ne peut pas retourner en Afghanistan. Depuis l’arrivée au pouvoir des Talibans le 15 août 2021, les journalistes afghans font l’objet d’une répression féroce. Le bilan des atteintes à la liberté de la presse en Afghanistan est lourd. Le pays a chuté de 26 places au 178ème rang sur 180 au Classement mondial de la liberté de la presse établi par Reporters sans Frontières en 2024. Le pays se classe désormais derrière la Corée du Nord. Ahmad Shah Shadad exerçait depuis un peu plus de deux ans. Journaliste en local, il a ensuite rejoint la chaine de télévision nationale Mili avant de travailler pour l’émission « 8h le matin ». Spécialisé dans l’investigation et la couverture de sujets liés aux conflits, il est parvenu à travailler en exil pendant 8 mois avec son dernier employeur. Un travail clandestin qui lui a permis de subsister de manière très spartiate. Mais les piges se sont taries et les difficultés s’accumulent depuis. Il est aujourd’hui plongé dans une grande précarité.
Les Talibans m’ont interrogé à la frontière
Depuis 2 ans, Ahmad reste traumatisé par son passage de la frontière entre son pays natal l’Afghanistan et le Pakistan. « Je suis passé par un bout de frontière proche de ma ville et les Talibans m’ont interrogé ». A ce moment-là, le jeune reporter imagine le pire. S’il découvre qu’il est un journaliste en fuite, il risque d’être plongé en prison et de subir les pires sévices, comme nombre de ses confrères avant lui. Mais après 20 minutes d’angoisse, il comprend qu’un homme a convaincu les gardes afghans de le laisser passer. Cette intervention lui a sauvé la vie. Depuis, il est livré à lui-même au Pakistan.
Jamais il n’aurait imaginer que les journalistes afghans soient ainsi laissés à leur sort. Il y a quelques jours, l’une des ambassades avec lesquelles il échange régulièrement lui a redonné espoir. Mais tant qu’il n’a pas en main son visa vers une terre d’accueil, la pression reste maximal sur les épaules du jeune reporter à la carrière brisée par l’obscurantisme taliban.