« Désolée pour le retard ». Mina Kavini pénètre dans son bar de quartier à Paris, la mine fatiguée. En sa qualité d’habituée, elle salue le barman, « Steve », qui l’accueille chaleureusement en retour. Sa journée est chargée. « Après, j’ai une interview avec Le Monde et les Inrocks », nous confie t-elle. Exilée dans l’Hexagone depuis dix ans, l’actrice iranienne est identifiée dans le paysage cinématographique pour ses rôles défiant la censure de la République islamique.
Son dernier succès ? Le film « Aucun ours » (2022) de Jafar Panahi. Trois histoires qui s’entrecroisent autour de la thématique de l’exil. Récompensé cette année par le Prix spécial du Jury à la Mostra de Venise, le réalisateur n’a pas pu faire la tournée mondiale des grands trophées du cinéma. Car, depuis juillet 2022, il est détenu dans les geôles de la tristement célèbre prison d’Evine à Téhéran. Celle-là même qui brûlait il y a quelques jours pour « propagande contre le régime ».
Les sanctions à l’encontre du monde culturel se seraient multipliées depuis l’élection du président ultra-conservateur Ebrahim Raïssi en 2021 selon Mina Kavani, qui cite notamment l’exemple de la mort du poète et documentariste Baktash Abtin en début d’année.
Mais, la comédienne recentre fermement le sujet : « Je n’ai même pas envie de parler que des artistes. J’ai envie de parler du peuple ! »
Un ras-le-bol de « l’hypocrisie » du gouvernement
Un peuple qui en a « marre de ces mensonges », assène-t-elle. Depuis quelques années déjà des signes de désobéissance au régime se faisaient sentir d’après l’artiste. « Dans les rues, les femmes ont des cheveux qui sortent de leur foulard, elles sont maquillées façon “wahou”, leur manteau est extrêmement moulant. C’est même beaucoup plus sexy que les filles que tu vois à Paris, c’est hallucinant ! », s’exclame-t-elle.
Des gestes de coquetterie « symboliques », prenant ponctuellement la forme d’actes individuels ou collectifs de révoltes. « J’ai beaucoup entendu ces derniers temps, par mes proches, que les filles mettaient leur foulard ici », raconte Mina Kavani en désignant ses épaules. « Si quelqu’un leur reprochait quelque chose, elles disaient qu’il était tombé ou répondaient simplement : “je t’emmerde” ».
De la même façon en 2017, durant les “White Wednesdays” (les Mercredis blancs) les iraniennes décident d’apparaitre tête nue dans l’espace public en brandissant leur foulard au bout d’un baton pour protester contre son port obligatoire (instauré depuis 1983 NDLR).
Et cela, malgré la violence des Gardiens de la Révolution – la police des mœurs responsable de la mort de Jina Amini -. Dont les ombres glaçantes ont longtemps poursuivi la comédienne, même après son arrivée à Paris. « Un jour, j’étais au bord du bassin à la Place du Châtelet, et tout à coup, j’ai vu un van blanc ressemblant exactement aux leurs », se souvient-elle, tandis que ses yeux bleus azurs vacillent légèrement. « J’avais conscience d’être loin d’eux, mais un sentiment de terreur m’a débordé ».
Ces privations de liberté rentrent particulièrement en contradiction avec le style de vie de la jeunesse du régime, affirme l’actrice iranienne avec une grimace. Les enfants des cadres du gouvernement vivant à l’étranger profiteraient des fortunes de leurs parents pour s’adonner à des plaisirs situés à l’opposé de l’idéal islamiste.
Et cela, alors même que leur pays subit une crise économique avec une inflation de plus de 40%. Aussi, le meurtre de Jina Amini a-t-il été le déclencheur d’une colère qui grondait progressivement chez les femmes mais aussi dans toute la population.
« Il suffit d’une petite flamme pour réveiller toute cette révolte »
Si les soulèvements actuels sont portés -et symbolisés – par des femmes, il s’agit bien de la protestation d’un peuple dans son entièreté.
Tant les travailleurs appartenant à la minorité kurde, dont faisait partie Jina Amini, que la classe moyenne de la capitale se retrouvent dans la rue. Et cela sans chef identifié car, la comédienne le confirme, « le vrai leader des gens, c’est leur souffrance ».
Les années de répression combinées à une pauvreté grandissante ont fini de pousser le peuple iranien à se rebeller contre ses dirigeants. « Je ne pourrais même plus dire que la situation était insupportable, elle était invivable », s’emporte Mina Kavani couvrant de sa voix les discussions des autres clients du café. « Les gens ne pouvaient même pas acheter du pain, mais vraiment ! Le pain, la farine, tout était introuvable ! »
La colère anime toujours ses traits quand l’actrice aborde sa frustration de ne pas pouvoir se rendre en Iran: « J’ai envie de les rejoindre, je suis mal dans ma peau. J’ai vécu toute cette répression, il suffit d’une petite flamme pour réveiller toute cette révolte qui a toujours existé en moi et qui ne m’a jamais quittée. Elle m’accompagne dans mon art, ma façon de jouer, de choisir les artistes… »
Tandis que les autorités coupent Internet et tentent d’empêcher l’utilisation de VPN (un réseau virtuel privé pour sécuriser les échanges NDLR), afin que le peuple iranien soit isolé du reste du monde, elle se raisonne en empruntant un rôle principal qu’elle peut incarner à distance : être l’un des porte-voix de ses compatriotes se battant pour la liberté.