Le roman « Transit » a été publié en 1942. Pourtant, l’adaptation que vous en proposez sur scène résonne de façon puissante avec notre époque. Quelle en est la raison selon vous ?
Il me semble que c’est parce que l’enjeu de ce roman – ainsi que le suggère le titre-, c’est l’entre-deux, le transit. C’est un état dans lequel il existe une tension entre l’identité perdue, une identité véhiculée par un corps mais qui n’est pas pour autant reconnue par l’entourage de ce corps.
C’est une situation qui a perduré, qui est encore très contemporaine. Elle se manifeste dans des romans tels que « l’Étranger » de Camus ou « Transit » d’Anna Seghers. Pour moi, il est toujours question de cette identité perdue, de la tension entre sa forme telle qu’elle est portée par un corps et celle par laquelle elle n’existe plus.
Dans votre adaptation, vous faites dialoguer les personnages du roman d’Anna Seghers avec ceux que vous avez rencontrés lors de votre maintien forcé en zone de transit. Comment font-ils pour échanger ?
Ce dialogue représente d’abord mon dialogue intérieur au moment de la lecture de ce roman. Inévitablement, l’on est sans cesse en train de comparer, d’établir des liens, de faire correspondre les situations que l’on lit à celles que l’on vit. Et ce, pas tellement sur un plan objectif, mais plutôt sur la perception subjective de ces confrontations que ce soit avec les ambassades, les aéroports ou encore les autorités. Telles que décrites et telles qu’on les vit soi-même.
Dans votre pièce quatre comédiennes jouent tous les rôles sans distinction de genre. Pourquoi avoir fait le choix d’un casting exclusivement féminin ?
Il s’agit pour moi de remettre en question les frontières, les territoires et les enjeux qui font que ces barrières et ces délimitations ont été créées. Ces interdictions, ces systèmes de visas, de rejet de passage de contrôle…
Il faut revenir à la source du système, qui est éminemment patriarcal. D’après moi, ce n’est pas tant un système politique qu’un système patriarcal fondé sur les notions de territoires qui ont donné lieu à des violences, à des guerres et ensuite à des systèmes de répression comme décrits dans « Transit ».
Il s’agit de rendre compte de cet état-là et il m’a semblé pertinent de le faire à travers des femmes.
On lit souvent que vous restez en Iran pour décortiquer les maux de la société iranienne. Est-ce vrai ?
Je vis en Iran parce que je n’appartiens à aucun autre lieu. Malgré les difficultés politiques et sociales qui sévissent, c’est là que je me sens en accord avec moi-même. C’est là que je me sens à ma place.
Pour le formuler autrement, c’est en Iran que je n’éprouve pas de tensions ou de dissensions entre mon corps et mon esprit. Mon esprit se trouve là où mon corps se trouve.
Quand je suis à l’étranger, je me sens toujours en décalage. Cela crée en moi une tension qui n’est pas productive. Et ces tensions disparaissent aussitôt que je pose le pied à Téhéran.
Mon métier, c’est d’écrire et de créer. Et pour y parvenir, la détente est nécessaire !
Allez-vous poursuivre vos interrogations sur les questions de migration dans la suite de votre œuvre ?
Tout à fait. C’est une thématique qui est au centre de ma prochaine pièce.
Aussi longtemps que cette tension sera présente dans ma vie, que je sentirai ce décalage entre le corps et l’esprit, je continuerai à me tourner vers l’écriture pour faire vivre le sujet de la migration.
« En transit » se joue à l’Odéon-Théâtre de l’Europe jusqu’au 1er décembre (à partir de 8 euros par personne). Retrouvez la critique de la pièce ici.