« Rien n’est plus fort qu’une personne au coeur brisé affichant un sourire sur son visage. » Amrullah Safi a posté ces mots sur sa page Instagram, sous une photo du film « Quelques jours pas plus ». Ils résument les sentiments qui s’entremêlent dans l’esprit de ce jeune exilé afghan propulsé en haut de l’affiche au cinéma. Dans le long métrage de Julie Navarro sorti le 3 avril, Amrullah incarne Daoud, un demandeur d’asile qui trouve refuge chez Arthur Berthier, alias Benjamin Biolay. Au cinéma comme à la ville, les destins de Daoud et d’Amrullah se mêlent, sur fond de parcours migratoires périlleux et traumatiques.
Qui est Amrullah Safi ?
Amrullah est né à l’est de l’Afghanistan, dans la province de Kunar, une région relativement reculée. Comme dans beaucoup de zones du pays, aucune infrastructure ne permet à la jeunesse de mener des études et d’aller à l’université. Le jeune homme y achève sa sixième année, dernier niveau d’enseignement dans sa région. Puis il commence à travailler dans l’agriculture, comme des milliers d’autres jeunes du coin. Après la chute de l’Afghanistan aux mains des talibans, Amrullah quitte seul son pays natal pour garantir sa sécurité. « La décision d’émigrer et de quitter ma famille et mon pays a été l’une des décisions et l’une des périodes les plus difficiles de ma vie. » raconte-il. Il souhaite rejoindre la France et entame un long périple par le Pakistan, l’Iran, la Turquie, la Grèce… Il travaille en Iran pendant un certain temps. Mais chaque jour, il craint d’être arrêté par la police et redoute d’être renvoyé en Afghanistan. Il décide d’aller en Turquie pour rejoindre l’Europe.
« Un matin, alors que nous voulions naviguer à travers la mer grecque, le bateau que le passeur nous avait prévu était très petit. Il a forcé 56 personnes à monter à bord avec leurs affaires. L’embarcation était devenue si lourde que certains migrants ont jeté leurs bagages à l’eau. Quand j’ai protesté, disant que je ne monterais pas sur ce bateau, le passeur a pointé son arme sur moi et m’a dit que je devais monter à bord. J’ai embarqué et nous sommes partis. » Malgré le danger, Amrullah se dit « confiant qu’un bel avenir m’attendait de l’autre côté. »
Lorsqu’il arrive en France, le jeune homme dort plus de deux mois à la rue à Paris, jusqu’à ce que sa demande d’asile soit traitée. Il finit par obtenir son titre de séjour et réside désormais légalement en France. Il est embauché dans un restaurant afghan comme chef-cuisinier. Jusqu’où jour où le milieu de cinéma le repère.
Repéré dans un restaurant afghan à Paris
La réalisatrice Julie Navarro cherche une personne exilée pour incarner avec réalisme le personnage de Daoud. Elle recherche son acteur depuis des mois en vain, jusqu’à croiser Amrullah dans son restaurant. « Un jour, mon ami français est venu dans la cuisine et m’a dit qu’un groupe de cinéastes recherchait un garçon afghan pour jouer dans le film. Il fallait bien parler l’anglais. Je n’y ai pas cru. Je pensais qu’il plaisantait. Comment puis-je jouer dans ce film, en étant chef ? Je lui ai dit à ce moment-là, laisse-moi réfléchir. » se souvient Amrullah Safi. Certain de ses compétences en cuisine, il n’a aucune expérience au cinéma.
« Jamais, je n’aurai imaginé qu’un jour, je participerais à un film et je me verrais à l’écran aux côtés de célèbres acteurs français. »
Amrullah Safi
Il finit par accepter la proposition après les premiers essais. Après avoir traversé autant d’épreuves lors de sa migration, la réalisatrice Julie Navarro lui offre l’occasion de décrire au grand public la douleur nichée dans sa poitrine et dans celles des personnes ayant connu l’exil. Dans le film « Quelques jours pas plus », le personnage de Daoud a emprunté le même trajet pour rejoindre la France après la chute du gouvernement afghan. Il essaie de rejoindre son frère en Grande Bretagne. Ce dernier a travaillé avec les forces britanniques. Daoud n’a qu’une idée en tête : traverser la Manche illégalement. Mais sa vie bascule après sa rencontre avec un journaliste français qui tente de l’en dissuader.
Amrullah Safi a été encouragé par Benjamin Biolay et Camille Cottin pendant le tournage du film. Il a trouvé une grande motivation grâce à cette bienveillance de ces collègues. « Quand j’ai vu mon film sur l’écran de cinéma après le tournage, j’ai vraiment versé des larmes de joie. Et quand j’ai envoyé la bande-annonce et quelques photos à ma famille, ils étaient très heureux. Ils sont fiers de me voir dans un tel univers. »
Diffuser ce film en Afghanistan, un rêve impossible
Amrullah considère que lorsque les habitants de sa ville et de sa région verront ce film, en raison de leur vision traditionnelle et de leur manque d’éducation, ils penseront qu’il a changé de religion, qu’il a changé de personnalité. En effet, l’histoire et certaines séquences du film sont contraires à la culture actuelle de l’Afghanistan, sous le régime des Talibans. Par exemple, lorsque Daoud quitte une fête après avoir bu du vin, « cela est non seulement contraire à la culture afghane, mais impliquerait également un châtiment. »
Ces dernières années, le cinéma en Afghanistan n’a pas beaucoup évolué. Depuis la prise de contrôle des fondamentalistes islamistes, il n’y a plus de cinéma en Afghanistan. Plus aucun film et séries n’y sont produits. Presque tous les acteurs et cinéastes afghans de premier plan ont quitté l’Afghanistan. L’acteur espère qu’un jour ce film soit diffusé en Afghanistan afin que le niveau d’ouverture de la population augmente. Ainsi, diffuser ce film dans le pays qu’il fut contrait de quitter est pour l’instant un rêve impossible. Pourtant Amrullah Safi termine notre entretien avec un large et lumineux sourire. Le drame qui secoue l’Afghanistan n’entame ni énergie ni sa détermination. Et il se prend même à imaginer une carrière au cinéma. Après la poursuite de ses études en France, il souhaite écrire les histoires qu’il a en tête pour réaliser de nombreux films.