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Avec 300 000 personnes sans-domicile, la question du logement peine toujours à s’imposer dans le débat public

14 avril. Plusieurs personnes se rassemblent sur la place de la Bastille, à Paris, à la sortie des bureaux, aux alentours de 18 heures. Des banderoles jaunes attirent le regard, du côté de l’Opéra Bastille. Derrière celles-ci, un grand chapiteau blanc surplombe cette petite partie de la place dans lequel se trouve un campement avec des matelas gonflables, des thermos de boissons chaudes, et de la nourriture. Des enfants jouent, et les parents discutent. Depuis le 5 mars dernier, marquant le quinzième anniversaire de la loi « Droit au logement opposable », dite « DALO », un campement est installé sur la symbolique place parisienne. Quelque 220 familles vivotent là, et se relaient entre elles pour “rappeler au gouvernement que la loi n’est pas respectée”, pointent les organisations de défense au droit au logement.

Récit d’une interpellation violente

Applaudit par une petite foule amassée, Jean-Baptiste Eyraud arrive, juché sur son vélo noir. Après quelques mains serrées, il s’infiltre derrière les balustrades du campement. Il détaille les événements de la veille, et profite de cet instant pour porter les revendications de l’association dont il est porte-parole, le DAL, Droit au logement. Son but ? Permettre aux populations fragilisées d’accéder à un logement décent.

La veille, le 12 avril, Droit au logement manifestait rue Saint-Simon, devant le ministère du Logement (7e arrondissement), lorsque les forces de l’ordre sont intervenues, pensant que la manifestation n’était pas autorisée : « Les BRAV [Brigades de répression de l’action violente motorisées, NDLR] sont arrivés, les braves brutes arrivent et commencent à pousser. Je m’assois par terre et ils m’empoignent par les bras et les pieds, avant de me jeter sur une maman, qui tombe. Au même moment, je m’aperçois qu’ils gazent. C’est brutal. En face d’eux, ils ont des gens pacifistes, fragiles », narre M. Eyraud.

Interpellé violemment, le porte-parole du DAL est plaqué au sol : « Je commence à avoir du mal à respirer. Je pense à tous ceux qui ont perdu la vie à cause de cette violence-là. Puis, ils me mettent les menottes. Je n’ai pas souvenir en tant que militant du DAL, d’avoir été, un jour, menotté ». Il sera placé en garde-à-vue quelques heures pour « rébellion » et recevra trois jours d’ITT (interruption temporaire de travail).

« Tous les militants qui dérangent sont traités de la même manière : par l’intimidation, la répression »

Profitant de cette médiatisation, il entend dénoncer l’inaction de l’État : « Dès lors qu’une personne demande un logement, la préfecture doit la reloger dans les six mois ! Pourtant, des familles attendent depuis 12, 14 ans ! A Paris, 65 000 personnes ne sont pas logés », s’indigne le militant avant de lancer, rempli de colère : « La rue, ça tue ! C’est quinze ans d’espérance de vie ! »

Différentes organisations associatives (Utopie 56, Solidaire migrants Wilson), syndicales (SUD, CGT) et politiques (La France insoumise, le Parti Communiste et le Nouveau parti anticapitaliste) ont répondu à l’appel lancé ce 13 avril par Droit au logement (DAL) en soutien à leur porte-parole, Jean-Baptiste Eyraud.

« C’est quelqu’un de très chaleureux, de profondément pacifiste. Cette interpellation, ça nous a rappelé George Floyd [un afro-américain tué par la police le 25 mai 2020 à Minneapolis, suite au plaquage ventral du policier Derek Chauvin, NDLR] », s’émeut Elie Lambert, secrétaire nationale de SUD-Solidaires. « Tous les militants qui dérangent sont traités de la même manière : par l’intimidation, la répression », ajoute-t-il.

« Un toit, c’est un droit », scandent les quelques manifestants regroupés sur ce lieu parisien symbolique. La DAL appelle à mobiliser les quelque 3,1 millions de logements vacants comptabilisés en France, « un record historique » selon le porte-parole. « Qu’est-ce que [le gouvernement] a fait pendant cinq ans ? Rien. Au DAL, on a de plus en plus de demandes », fustige Philippe, un bénévole de l’association.

« Certains vivent dans des sous-sols, sans fenêtres »

Ces « oubliées du DALO », ce sont des femmes, des hommes, des enfants. Parfois ils sont seuls, souvent ils sont en famille. Ces personnes sont mal-logées, menacées d’expulsion, voire sans logement. Pourtant, c’est aujourd’hui plus de 300 000 personnes qui sont sans-domicile, à la rue ou dans des hébergements d’urgence selon la Fondation Abbé-Pierre. Et, plus de 4,1 millions de personnes qui seraient mal logées en France.

« [Certains] vivent dans des sous-sols, sans fenêtre. Ça influe sur la santé, le moral. Ils paient le loyer, travaillent, mais n’ont pas les moyens d’avoir autre chose », affirme Philippe. A l’instar d’Amina* en CDI en petite enfance depuis peu dans une école, qui, depuis quinze ans vit dans un logement étroit : « J’habite dans une chambre de neuf mètre carré dans le 16e arrondissement. J’étais sans domicile fixe avant et ce logement, je me disais que c’était mieux que la rue, mieux que rien. », explique-t-elle, les larmes aux yeux.

« J’ai fait la demande pour un logement à Paris en 2010, à la mairie mais je suis célibataire et sans enfant, je ne suis donc pas prioritaire. On m’a proposé un logement, il y a deux ans, dans le 78 [Yvelines, NDLR], mais j’avais quatre heures de trajet pour aller travailler. J’attends toujours », raconte, éprouvée, la jeune femme, tandis que de très jeunes enfants s’agitent et s’amusent autour, à l’entrée de la tente.

Avant d’énumérer les pressions exercées par son propriétaire. « Depuis avril 2021, il veut vendre. Il m’a donc demandé de quitter la chambre, mais j’ai refusé. A partir de ce moment-là, il m’a menacée, harcelée par téléphone tous les jours, dès sept heures du matin », continue Amina. Elle a déposé une main courante, mais le chantage persiste : « Il a augmenté le loyer, et refuse de me fournir les quittances. Il veut que je parte. Je me suis rapprochée de DAL, qui me rassure et m’aide ». Désormais, il ne lui reste plus que quelques semaines pour trouver un nouveau logement, son bail s’achevant en mai.

Des années d’attente

« Etre bien logé, c’est important pour s’insérer », estime Thaïs*, jeune conseillère en insertion professionnelle. Venir à ce rassemblement lui tenait particulièrement à cœur, ayant elle-même vécu cette situation de mal-logement. Elle dit être consciente des enjeux présents derrière la possibilité d’avoir un logement décent : la santé physique et mentale, la santé, l’éducation, le travail sont tous des sujets qui y sont intimement liés.

« Ma mère et mes sœurs le vivent toujours : nous étions dans un 32 mètres carrés, mais le fils du propriétaire voulait agrandir leur logement. Alors, nous avons pris le leur, nous assurant que les deux logements étaient pareils. Pourtant, il est plus petit. Ma mère est affectée de vivre dans un endroit aussi étroit, sans intimité, avec des moisissures », témoigne-t-elle.

La jeune conseillère se désole de cette situation, après une dizaine d’années en attente d’un logement : « Ça fait douze ans que nous avons déposé un dossier pour demander un logement, mais ça n’avance pas, même en ayant contacté toutes les assistances sociales, et la mairie », souffle, lasse, Thaïs.

Selon les derniers chiffres de la Fondation Abbé Pierre, plus de 2,2 millions de ménages attendent un logement social en France. A Paris, 134 793 demandes ont été déposées, fin 2020, soit 12 % des ménages, d’après les chiffres de l’Apur, Atelier parisien d’urbanisme.

« Quand on demande juste un petit quelque chose pour continuer son chemin, on nous le refuse », s’attriste Amina. Alors que la campagne d’entre-deux-tours bat son plein, le candidat-président Emmanuel Macron s’attèle à appeler à la défense de la démocratie face à Marine Le Pen : « Alors que Macron n’a que le mot « démocratie » à la bouche, la seule réponse à nos demandes, c’est la police », tacle Elie Lambert. La nuit tombe alors, et le campement semble se tranquilliser après l’effervescence de la mobilisation.

*Les noms des personnes ont été modifiés afin de préserver leur anonymat.

Sarah LAVOINE