Salomé Saqué appelle les médias à s’emparer du sujet de la santé mentale des jeunes. Elle interpelle les politiques afin qu’ils prennent au sérieux « cet enjeu majeur de santé publique. » La journaliste influente de 28 ans actuellement en promotion du format poche de son best seller « Sois jeune et tais-toi » (éditions Payot) s’appuie sur la dernière enquête menée par Santé publique France. Un jeune sur cinq souffre de troubles dépressifs, un chiffre deux fois plus élevé qu’en 2017. Les tentatives de suicide ont augmenté de 66% en 2022 et il s’agit de la deuxième cause de mortalité chez les jeunes. « Jamais une génération n’a été comme la mienne au pied du mur » écrit Salomé Saqué en préambule de son enquête rééditée. Eco-anxiété, chômage, pandémie, dégradation de la situation économique, la jeunesse doit composer avec un manque inédit de perspectives. Et l’état de leur santé mentale devrait collectivement nous alerter.
« Ce problème de santé publique majeur dit beaucoup de choses sur le peu d’horizon qu’on offre à nos jeunes pour qu’une partie croissante envisage de mettre fin à ses jours. »
« Sois-jeune et tais-toi » ou l’invisibilisation de la souffrance
A l’origine de cet ouvrage qui l’érige malgré elle au rang de porte parole de la jeunesse, un « timide » appel à témoignage lancé sur ses réseaux sociaux. Salomé Saqué raconte avoir reçu « plus de cent mails en quelques jours. » Pendant un an et demi, elle échange avec les générations Y et Z. A ce moment-là, elle a encore l’âge des jeunes auxquels elle s’adresse. Elle éprouve ce sentiment d’incompréhension que les 18 à 28 ans lui décrivent. Son recueil de témoignages se construit aux quatre coins de la société, des milieux populaires aux milieux très favorisés, qu’ils « votent à l’extrême droite, Macron, EELV. » La journaliste, spécialiste des questions économiques et politiques comprend alors qu’ils souhaitent unanimement faire entendre leur voix. Rappeler qu’ils sont là, qu’ils existent et que nombre d’entre eux ne vont pas bien.
Pour titrer son enquête, Salomé Saqué reprend un slogan de mai 1968 : « Sois jeune et tais-toi ». À l’époque, cette injonction était scandée par des étudiants qui jugeaient la société trop conservatrice et plus à la hauteur de leur avenir. Près de 60 ans plus tard, le malaise que traverse la jeunesse trouve dans cet ouvrage un vibrant plaidoyer, très documenté en statistiques et qui se veut aussi porteur d’espoir.
Au fil de l’enquête, la journaliste du média en ligne Blast revient notamment sur les angles morts des politiques publiques. Elle pointe l’impact dramatique et sous évalué de la crise sanitaire et des confinements chez les jeunes. Parmi les témoignages, celui de Jérémy qui raconte sa trajectoire fauchée par la pandémie. « Il a développé un syndrome dépressif très fort, il a du arrêter sa formation, et être médicamenté. Son médecin lui a dit qu’il risquait de se suicider s’il n’arrêtait pas. » écrit-elle. Cette période et les conséquences néfastes de l’isolement, à des âges où le contact avec les autres est primordial, a mené à une hausse importante de la prise en charge d’étudiants pour des maladies mentales sévères telles que la dépression. Lorsque le livre « Sois jeune et tais-toi » sort en librairie en pleine réforme des retraites, l’engouement est immédiat. Chaque dédicace rassemble des dizaines et parfois même des centaines de jeunes soulagés d’être enfin entendus et compris.
« Beaucoup sont venus me voir en pleurant, en disant que le livre leur avait beaucoup parlé. Je réalise alors que ce que je décris dans mon livre est peut être encore plus fort dans la réalité. »
« Les jeunes déçus de la Macronie »
Entre cette sortie du livre en 2022 et la tournée de promotion du format poche en 2024, la journaliste a le sentiment que l’état de la jeunesse et de ses troubles se sont intensifiés. « On ne peut plus dire que c’est un effet conjoncturel lié au Covid-19 aujourd’hui. Il y a une urgence qui nécessite un programme d’envergure. » L’autrice pointe l’absence d’action de la part d’un gouvernement qui a pourtant identifié la santé mentale de la jeunesse comme « une grande cause de notre action gouvernementale. Je décrète l’état d’urgence. » avait déclaré Gabriel Attal le 6 avril, lors d’une rencontre avec la presse régionale. Le gouvernement a alors annoncé l’élargissement du nombre de séance chez le psychologue remboursées chaque année dans le cadre du dispositif Mon soutien psy. (NDLR : Elles passeront de 8 à 12 séances et une maison des adolescents devrait ouvrir dans chaque département.) Des mesures jugées insuffisantes par les professionnels de santé.
Au coeur de l’ouvrage, Salomé Saqué revient aussi sur un autre paradoxe gouvernemental. « À 39 ans, Emmanuel Macron est devenu le plus jeune président de le République française. Un espoir pour les jeunes générations de voir, pour une fois, un dirigeant susceptible de comprendre leurs problématiques et de rompre avec l’immobilisme des politiques publiques à destination de la jeunesse qui règne depuis les années 1980. La douche fut d’autant plus glacée. »
« Le gouvernement déclare la guerre à la jeunesse »
La journaliste fustige certains politiques qui « continuent à participer à détruire les conditions d’insertion des jeunes et qui tiennent un discours politique qui paradoxalement, « et je parle du gouvernement est très hostile aux jeunes et je pense notamment aux jeunes de banlieue, avec le fameux, tu casses, tu répares, tu salis, tu nettoies, on t’apprend à respecter l’autorité. » Une mesure d’intérêt éducatif de Gabriel Attal dans son discours de politique générale, qui cible les jeunes de 13 à 16 ans ayant commis des actes délinquants.
« On veut une jeunesse qui se tient sage, alors que ça ne correspond pas du tout aux besoins des jeunes. »
Saqué dénonce ce double discours qui annonce que l’on va aider les jeunes mais qui les stigmatise in fine. Elle fustige l’idée véhiculée qu’une « certaine partie des jeunes seraient dangereux qu’ils ont besoin de plus d’ordre, d’autorité. On le retrouve dans les prises de position vis à vis de l’abaya, dans la promotion du SNU. La journaliste déplore que « l’investissement du SNU n’est pas mis dans la santé mentale des jeunes. »
Le poids des idées reçues sur la jeunesse
Parmi les causes de l’abattement qui mine la jeunesse, Salomé Saqué pointe aussi le poids des idées reçues comme celle, tenace qui voudrait que les jeunes ne veulent pas travailler, qu’ils seraient paresseux. Une observation stigmatisante et attire, d’autant que pendant la période Covid, le taux de chômage a grimpé de 15%. La journaliste précise qu’à chaque crise économique, les jeunes sont sacrifiés en priorité par les entreprises. Parmi les témoignages recueillis, celui de Clémence, 24 ans, met en avant un autre frein : celui de la jeunesse que l’on renvoie comme une tare au visage des jeunes qui se lancent dans le monde du travail. L’étudiante raconte qu’après avoir envoyé des dizaines de CV, elle s’est vue renvoyée à sa jeunesse lors de l’un des deux seuls entretiens qu’elle est parvenue à décrocher. « On m’a fait sentir que je paraissais très jeune, trop jeune, on a souligné mon manque d’expérience, ma potentielle incapacité à gérer la pression. C’est tellement injuste. Je peux pas avoir d’expérience si personne ne donne l’occasion d’en avoir ! » confie-t-elle à Salomé Saqué.
Au lieu de juger, essayer de comprendre les jeunes
Et si, au lieu de juger les jeunes, nous essayions de les comprendre ? Pour la journaliste, chacun peut faire sa part pour soutenir les jeunes de son entourage. Elle appelle à une coopération entre générations pour faire face aux immenses et innombrables crises de notre époque. « La première chose dont ont besoin les jeunes, c’est de soutien, d’une situation économique viable, d’une planète habitable et pas de se voir taper sur les doigts ou critiqués » lance Salomé Saqué. La journaliste prône une écoute et une attention empathique.
« Il est simple de leur demander non pas seulement comment ils vont mais ce qu’ils font, ce qui les intéresse, ce à quoi ils aspirent en se débarrassant au maximum des préjugés que les jeunes peuvent ressentir. »
Avant d’ajouter que les jeunes sont une minorité démographique et qu’ils « ne peuvent pas tout faire sans une main tendue. » ajoute-t-elle.
Notre entretien se termine sur l’importance de la détection du mal être des jeunes, que chacun peut être amené à observer. « Quand un jeune présente des troubles de la santé mentale et ose en parler, la dernière des choses à faire serait de délégitimer sa souffrance, ce qui est aujourd’hui beaucoup le cas, on se dit que les jeunes se plaignent pour pas grand chose on essaie de relativiser leur expérience. Parfois on est peut être la seule personne à qui il va raconter ça et on ne peut pas se permettre de ne pas le prendre au sérieux. » conclut la journaliste.
- La ligne d’écoute du Fil santé jeunes est accessible au 0.800.235.236 ainsi que le numéro national de prévention du suicide, le 34.14.
- « Sois jeune et tais-toi » de Salomé Saqué, éd. Payot ; 320 p., 19,90 €