Abdallah Hassan et Ludivine Aurelle
Ils sont au cœur du débat, mais on les entend peu. Depuis le pic d’arrivées sur le territoire européen en 2015, le mot réfugié est apparu plus de 35 000 fois dans les titres des médias français, d’après Media Cloud. Pourtant, seulement une poignée d’articles leur donne la parole. Entre 2015 et 2018, 10% des productions de la presse ont utilisé les réfugiés comme source d’information. « C’est un processus d’invisibilisation. Les journalistes citent surtout les sources officielles ou les ONG », explique Andressa Bittencourt, doctorante en Sciences de l’information et de la communication à Paris II.
Les exemples sont nombreux dans la presse. Le 6 juin dernier, le quotidien Le Journal du Centre parle de réfugiés prêts à l’emploi après une formation. L’article donne seulement la parole à la responsable d’une agence d’intérim. Seules la photo de l’article et l’énumération des nationalités des réfugiés permettent de leur donner un peu plus de chair.
Une existence citoyenne niée
Aujourd’hui, les réfugiés commencent à être davantage incarnés dans les reportages. Pour autant, l’espace qu’on leur donne n’est pas très valorisant. Il y a quelques semaines, Le Parisien a publié un article sur les parcours ‘’remarquables’’ de certains d’entre eux. Quand ils prennent la parole, c’est pour parler de travail, de leur attachement à la France.
Une image de bon migrant, en somme. « Tout cela témoigne des difficultés à inclure ces personnes dans notre société, constate Andressa Bittencourt. Le plus souvent, les réfugiés parlent de leur parcours ou de leur pays d’origine, jamais de leur futur. C’est un affaiblissement de leur participation citoyenne » .
Réfugiés : menace ou victimes
Conséquence ? La stigmatisation. Tantôt les réfugiés sont présentés négativement à cause de stéréotypes, tantôt ils sont renvoyés uniquement à un statut de victime. Les mots les plus souvent associés aux réfugiés sont ceux qui parlent de guerre ou encore des secours.
Si les réfugiés sont déshumanisés, c’est aussi parce qu’ils sont vus comme un groupe, un ensemble, ou à travers des chiffres, « qui manquent souvent de contexte », selon Andressa Bittencourt. Le million de personnes arrivées sur le vieux continent en 2015, au moment du pic de la crise, pourrait donner une impression de submersion. Certains partis politiques en jouent en période électorale. Il suffit pourtant de mettre ce nombre en perspective par rapport à la population européenne pour relativiser.
L’immigration reste majoritairement interprétée comme une menace. Lors de ses travaux de recherche, Andressa Bittencourt a répertorié seulement 2% d’articles qui présentent l’arrivée de réfugiés comme un événement positif pour les pays d’accueil.