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« J’ai fui Haïti après deux tentatives d’assassinat »

Une vocation et des craintes familiales


Je me rappelle qu’à quatorze ans, quand je disais à ma mère que je voulais être journaliste, ma mère était horrifiée à l’idée que son fils puisse le devenir. Il existe une peur culturelle chez les parents haïtiens que leur enfant décide de se diriger vers ce métier parce que les journalistes ont toujours été ciblés par certains régimes politiques. Ça remonte même il y a plus de 50 ans où on parlait de la dernière dictature en Haïti. Dans les années 1950. La dernière dictature, en 1986, a duré neuf ans et les journalistes étaient vraiment maltraités, emprisonnés par les dictateurs François et Jean-Claude Duvalier, père et fils, qui ont dirigé pendant 29 ans le pays, qui jetaient les journalistes dans une prison qu’on appelle Fort Dimanche à la Saline, non loin de Cité Soleil et qui fut « le centre de l’horreur », de 1957 à 1986. C’était un ancien fort laissé par les Français après la colonisation que les dictateurs ont repris cet endroit. Ils y envoyaient les journalistes qui dénonçaient la dictature et qui parlaient de la liberté de la presse, tout simplement. Ils les y laissaient mourir, de faim, de soif. Et à 14 ans, quand je disais à ma mère que je voulais être journaliste, elle pensait avec toutes ces images là, c’était vraiment fondé.

Parce que chaque année, on voit le bilan. Au moins cinq journalistes tués en Haïti, sans compter violences policières, le nombre de journalistes disparus. On voit comment c’est un métier assez non seulement précaire, mais qui reste quand même dangereux dans un pays comme Haïti, où il n’y a aucune loi qui protège les journalistes.

En 2017, j’ai commencé une émission qui s’appelait Haïti et ses choix de dirigeants politiques où je faisais toute une série d’enquêtes sur la corruption en Haïti, sur le phénomène de gangs. Et je parlais énormément aussi des atteintes à la liberté de la presse. J’ai enquêté sur le phénomène des enfants soldats en Haïti où comment des mineurs de douze treize ans arrivent à un point où on les voit d’exhiber des calibres lourds, des kalachnikovs sur les réseaux sociaux. Et j’ai fait des enquêtes sur des gangs armés sur un lieu où justement va être Delmas trois où vit Barbecue qui est un chef de gang très puissant. Et ma dernière enquête était consacrée au fond PetroCaribe.

Scandale PetroCaribe : le président haïtien autour d’un stratagème de détournement de fonds


C’est un programme qui a été mis en place par le gouvernement Chavez dans les années 2007-2008, où Haïti a bénéficié d’un prêt de 4 milliards de dollars américains sous forme de barils de pétrole. Et cette somme devrait être investie dans l’éducation, dans des infrastructures, dans la création d’emplois. Et ce que l’on va constater après, c’est que les politiques vont détourner cette somme d’argent. Ils vont créer des programmes bidons. Et le constat, c’est que sur le papier, il allait y avoir beaucoup d’écoles mais en réalité elles n’existaient pas vraiment. Les politiques ont détourné l’argent du fond PetroCaribe.

Les haïtiens manifestant contre la corruption à Port aux Princes le 8 février 2019. Crédit : France 24

Ils ont tenté d’assassiné ma famille

Suite à toute une série de publications sur cette affaire, j’ai commencé à recevoir des menaces téléphoniques. Le 11 avril 2019, ma maison a été attaquée par un groupe d’individus cagoulés, armés, munis de bidons d’essence. Ma famille a failli être assassinée car ils voulaient incendier la maison et tuer les gens à l’intérieur. Ils n’ont pas réussi parce que ma mère, de justesse, a eu le réflexe d’appeler les voisins. En Haïti où la police est impuissante, il y a une espèce de solidarité citoyenne. On appelle ça la brigade, on se protège mutuellement en voisins. Ma mère a alerté la police, qui a évidemment trouvé des prétextes pour ne pas venir en aide. On a déposé plainte. Il y a eu des constats mais il n’y a pas eu d’enquête. Il n’y a pas eu de suivi du côté de la police. Le 24 mai, en sortant de mon émission, je sentais qu’il y avait quelqu’un qui me suivait dans la rue. Une personne qui conduisait une moto et qui restait vraiment derrière moi, à environ cinq mètres. Je me suis dit qu’il fallait essayer de courir au cas où il allait essayer de m’assassiner et effectivement, en courant pour me réfugier dans une petite ruelle, la personne a tiré plusieurs coups de feu en ma direction. Suite à cette tentative d’assassinat, j’ai contacté pas mal d’associations de presse en Haïti. J’ai alerté aussi la direction de la radio Presse Inter et ensuite j’avais décidé de me rendre à la capitale Port au Prince, pour faire des démarches administratives pour voir comment je pouvais protéger ma famille et me protéger aussi, tout en continuant à exercer ce métier que j’aime beaucoup. Arrivé à Port au Prince, j’ai été alerté par des confrères qui m’ont conseillé de quitter le pays. Ils m’ont dit que c’est le moment de le faire parce qu’ils avaient des informations qui faisaient croire qu’on allait me tendre une embuscade en retournant à Petit-Goâve, ma ville pour m’ assassiner.

Anderson D. Michel travaillait pour Radio Prince inter avant de fuir vers la France. DR

C’est vraiment à partir de ce moment là, j’ai décidé de quitter Haïti sans même dire au revoir à ma famille. Et je savais que si je passais par l’aéroport, j’allais être arrêté parce que j’étais déjà recherché. Alors j’ai dû fuir Haïti, en passant illégalement la frontière avec la République dominicaine. Je me disais pour essayer de me protéger davantage, il fallait encore m’éloigner d’Haïti et je me suis rendu trois jours après à Panama où je me suis rapproché du consulat de Pologne. J’ai eu un visa Schengen pour quitter le Panama et entrer en Europe. Et pour arriver en France, j’ai dû passer par l’Allemagne, en Belgique, ensuite, en France où je suis arrivée à Paris et j’ai vécu dans la rue.

Traumatisé à l’idée que la France me renvoie à Haiti ou la mort m’attendait


J’ai passé quasiment un an à la rue à Paris. Je dormais quelquefois dans des auberges de jeunesse et souvent dans les gares, les couloirs de métro. J’étais traumatisé à l’idée que la France pourrait ne pas prendre en charge la demande d’asile et me mettre dans un avion de retour vers la boucherie en Haïti. Ma première demande d’asile à l’Ofpra a été réfusé. Pourtant j’ai fourni une tonne de documents qui montraient effectivement que ma vie était en danger. Selon l’officier, il n’y avait pas assez de preuves, c’était un peu flou alors que j’ai fourni notamment les plaintes qui ont été déposées, des photos de l’attaque qui visait à m’assassiner ainsi que ma famille. J’avais avec moi des lettres de soutien de la radio Presse Inter, d’associations de droits humains et de presse en Haïti qui relataient ma situation. J’ai ramené tellement de documents qui pouvaient corroborer le fait que je suis en danger, que je ne peux pas retourner en Haïti… Mais malgré tout, ce n’était pas suffisant pour eux. J’ai fait la demande du recours puis une demande de réexamen. Et pour ce réexamen, j’ai eu énormément de médias qui ont envoyé une lettre de soutien. C’est ce qui a débloqué la situation. Finalement, l’Ofpra a décidé de m’accorder la protection.

Aujourd’hui, les gangs contrôlent tout


Aujourd’hui, c’est le chaos total en Haïti. On parle d’un pays où la police est impuissante. Personne ne peut garantir la sécurité des gens qui s’y trouvent. Il y a environ 8000 policiers pour 12 millions d’habitants. C’est horrible de le dire mais aujourd’hui, les gangs contrôlent tout. Ce qui crée ce phénomène, ce sont les politiques qui créent des groupes armés qui créent ces gangs en voulant protéger leurs intérêts politiques, qui se disent que c’est mieux d’armer certaines personnes pour justement rester plus longtemps au pouvoir, soit justement pour utiliser cette politique de répression, pour empêcher la population haïtienne de contester contre leur façon de diriger. Parce qu’à chaque fois que la population haïtienne essaie de manifester contre ce régime, ils envoient toujours ces gangs pour en représailles. Ma famille est encore en Haïti et se trouve, comme tous les Haïtiens aujourd’hui, dans une situation très compliquée par rapport à toutes ces violences.

Désormais Haïti est un pays que tout le monde essaye de fuir

Anderson D. Michel intervenait auprès de 400 élèves du collège Mistral et du lycée Feuillade à Lunel. Capture : Midi Libre

De mon côté, je peux dire que j’ai encore plus de liberté en France aujourd’hui, je peux publier les articles que je souhaite sur certains sujets qui concernent la situation politique de mon pays. Mais parler de sécurité, je sais que ça reste compliqué quand même parce qu’à chaque publication, j’ai toujours eu des retours de la part de certaines personnes, soit des confrères, soit d’autres personnes qui me menacent ou qui me disent que ce que je fais n’est pas bien. On va me dire: « si tu publies cet article, tu risques beaucoup de choses, ta famille aussi ». Je sais que c’est toujours compliqué mais je ne peux pas m’arrêter. J’ai l’impression que ça donne énormément de sens à ma vie, le journalisme. Et si je m’arrête, plus rien ne serait jamais pareil.

Ce témoignage est à retrouver en vidéo sur la chaîne Youtube de Guiti News.

Anderson D. Michel écrit régulièrement pour Guiti News. Il est aussi l’un des piliers du pôle éducation aux médias. Il parcourt la France pour parler de la liberté de la presse dans les établissements scolaires et lutter contre la désinformation sur la migration.