L’histoire de Souleymane, sélectionné au dernier festival de Cannes, nous plonge au cœur du quotidien d’un livreur à vélo en attente de son entretien à l’OFPRA*. D’un réalisme exceptionnel, le troisième long métrage de fiction du réalisateur Boris Lojkine est désormais en salle.
La catégorie « Un Certain Regard » au festival a pour habitude de proposer des projets brillamment traités, portant un éclairage particulier sur notre société. L’Histoire de Souleymane ne déroge pas à cette règle. Animé par le sujet de l’exil depuis son expérience en Asie, c’est en Afrique que le réalisateur puise l’inspiration de ses derniers opus. Après Hope, narrant la touchante histoire d’amour entre deux migrants d’origines différentes (lui camerounais, elle nigériane) et Camille (Lepage- la photoreporter assassinée en République centrafricaine), c’est à Paris que l’action se déroule, au rythme effréné du vélo de Souleymane, guinéen fraichement arrivé en France.
Lumière sur un système méconnu
L’intrigue du film repose sur la question que tout réfugié se pose: « vais-je réussir mon entretien avec l’OFPRA? ». Mais la plupart des français ignorent jusqu’à l’existence de cet organisme, pourtant central pour toute personne cherchant asile en France. L’*OFPRA est l’office français de protection des réfugiés et apatrides. Dans cette fiction qui n’en est pas une, on suit Souleymane, campé par l’époustouflant Abou Sangaré, prix d’interprétation masculine de la sélection Cannoise, durant les 48 heures précédant son rendez-vous à l’office. De sessions de préparation (payantes) au rendez-vous, aux livraisons nocturnes sous la pluie en passant par ses déboires amoureux et problèmes familiaux au pays, l’on commence à toucher du doigt la réalité d’un exil où l’accueil est souvent difficile.
Malgré son apprentissage en mécanique, une promesse d’embauche et un prix d’interprétation décerné par le cinéaste Xavier Dolan et son jury lors du plus grand festival de cinéma au monde, Abou Sangaré est toujours sous OQTF (obligation de quitter le territoire français). Après de multiples refus de la part de la préfecture de lui accorder un titre de séjour, voilà sept ans que Sangaré tente désespérément de travailler et de vivre normalement en France. Comprendre ces refus répétés malgré des opportunités de travail répétitives et une intégration réussie relève de la prouesse philosophique à qui osera s’y atteler.
La place du mensonge
Là où Lojkine réussit parfaitement son pari en tant que réalisateur est à l’endroit d’une empathie mouvante autour de son personnage. Très loin des traitements habituels concernant les réfugiés, le personnage de Souleymane est inspire tantôt de la sympathie, tantôt de l’agacement, en passant par différents états entre chaque scène. Car oui, Souleymane prépare son entretien basé sur un mensonge. D’aucun pourrait penser qu’il est normal de refuser l’accès à un demandeur d’asile s’il ment, et Lojkine de s’en expliquer à nos collègues de Radio France : « Je ne voulais pas qu’elle* (Nina Meurisse incarnant l’agente de l’OFPRA) soit la méchante de l’histoire, mais plutôt une jeune femme investie, coincée entre son empathie pour Souleymane et les règles de l’institution qu’elle représente. Une représentante de la France. De nous, en somme ».
En effet, Souleymane passe des heures à répéter une histoire qu’on lui a conseillé de raconter lors de rendez-vous. En quelques jours, il doit intégrer des noms et des évenènements, décrire des lieux, citer des dates d’un soulèvement politique auquel il est totalement étranger, mais ce serait alors le seul moyen pour que « la France l’accepte ». Quand Souleymane ne cherche en France qu’une possibilité de venir en aide à sa mère « diabolique » selon les mots de l’acteur Sangaré, qui accepta de prêter son histoire propre à Lojkine pour les besoins de films. En réalité atteinte d’une maladie mentale, la maman de Souleymane a besoin de soins particuliers, bien trop chers à assumer depuis la Guinée. Celui-ci quitte donc son pays et sa bien aimée pour venir en aide à sa mère, victime de stigmatisation dans une société où les pathologies mentales se mélangent souvent au folklore culturel local.
Souleymane, face à la peur de se faire prendre mais aussi à celle, plus grande, de se voir refuser l’asile, s’engage donc dans un duel doux mais sans merci avec l’administration dans une ultime scène prodigieuse.
Tous complices?
Dans un Paris de nuit au sol mouillé, Souleymane court, sue, attend, prend des risques. C’est le Paris, le vrai, que l’on reconnait dans ses rues du Nord et ses bus de grande banlieue où vont dormir, s’ils ont de la chance, ceux qui n’ont nulle part où aller. Le Paris de Souleymane raconte admirablement mieux la ville lumière que celui d’Emilie. Pourtant assis sur son fauteuil, le spectateur sortira de cette expérience probablement essouflé d’angoisse et de courses effrénées sous la pluie d’une capitale impitoyable.
Quand Souleymane croise des forces de l’ordre lors d’une livraison, son coeur se serre, tout comme celui d’Abou Sangaré s’il devait être interpellé lors d’un contrôle d’identité. Les agents de police le savent, c’est inscrit dans leurs yeux, mais le laissent partir, bien plus animés par le contenu de leur sac à l’heure du diner que par une interpellation le ventre vide. En 2023, près de 146000 personnes demandaient l’asile en France pour un taux de protection d’environ 31,5% selon Eurostat.
L’Histoire de Souleymane, donnant un visage et une histoire à des silhouettes qui jalonnent nos rues et visitent nos seuils chaque jour, questionne sur notre capacité à reconnaitre les âmes derrière ces visages invisibles, tous nés d’une mère qu’ils sont peut-être les seuls à pouvoir protéger. Les protègerons-nous à notre tour?
L’Histoire de Souleymane est en salle depuis le 9 Octobre dernier.