Depuis près de 30 ans, le Comité d’assistance civique se bat pour défendre les droits des demandeurs d’asile en Russie. Un pays où l’accueil et la politique à l’égard des réfugiés sont particulièrement hostiles.
Depuis la Russie, Estelle Levresse.
30 demandes d’asile acceptées en 2018. Un record minimum historique, encore plus bas qu’en 2017 (33), selon les chiffres du Service fédéral des statistiques de l’Etat. Dans le plus grand pays du monde, 572 personnes bénéficiaient du statut de réfugié au 1er janvier 2019, principalement des Afghans et des Ukrainiens. Bien qu’elle ait ratifié la Convention internationale relative au statut des réfugiés de 1951, la Russie mène une politique migratoire particulièrement sévère.
Une politique contre laquelle se bat au quotidien le Comité d’assistance civique, une organisation non gouvernementale, unique en Russie, qui fournit aide humanitaire, médicale et soutien juridique aux réfugiés et migrants.
« Les services d’immigration font tout pour dissuader les demandeurs d’asile. Ils leur mettent la pression pour qu’ils signent un document où ils renoncent à la demande du statut de réfugié pour une simple demande d’asile temporaire. Or, celle-ci n’est valable qu’un an, sans aucune garantie de renouvellement », regrette Katya Rosolovskaya, 23 ans, consultante sur les questions de migration pour cette organisation.
Bouche à oreille
Au siège du Comité, Avenue Olimpiski à Moscou, la jeune femme qui parle parfaitement français s’occupe en priorité des ressortissants de pays africains francophones. « Dès le départ, je leur dis que cela va être long, compliqué et qu’ils n’ont pratiquement aucune chance d’obtenir le statut de réfugié », explique-t-elle. La procédure initiale d’examen des demandes nécessite environ trois mois. Avec les différents appels, il faut compter dix ou douze mois, voire beaucoup plus.
Les jours d’accueil du public – lundi, mercredi et vendredi -, c’est l’effervescence dans les locaux de l’ONG. Afghans, Syriens, Camerounais, Congolais… sont nombreux à venir demander conseil ou suivre l’état d’avancement de leur dossier. La plupart d’entre eux atterrissent ici grâce au bouche à oreille ou sont envoyés par le bureau local du Haut commissariat aux réfugiés des Nations-Unies.
Lota a fui la Côte d’Ivoire en 2011. Après un an au Ghana, il s’est retrouvé en Russie. Depuis, il vit illégalement sur le territoire russe. « J’ai une femme et un enfant de nationalité russe mais je suis toujours sans papier. » S‘il s’avoue parfois découragé, il continue à multiplier les procédures pour tenter de trouver une solution à sa situation. « Grâce au Comité, je peux compter sur l’aide d’un juriste. C’est déjà beaucoup, je dis merci ! ».
Plus ancienne organisation russe pour les réfugiés
Né de l’initiative de Svetlana Gannushkina, le Comité d’assistance civique a vu le jour au début des années 1990 pour accueillir les victimes des premiers conflits armés après la chute de l’URSS. « Nos premiers réfugiés étaient des Arméniens fuyant le conflit du Haut-Karabakh en Azerbaïdjan », se remémore la directrice de l’organisation, âgée de 77 ans.
Pour défendre les droits des réfugiés et apatrides devant les tribunaux, elle met sur pied dès 1996 un réseau d’avocats couvrant toute la Russie, baptisé « Migration et Droit », intégré au Centre des droits de l’homme Memorial. Le réseau compte aujourd’hui une centaine de membres et travaille en collaboration constante avec le Comité. Ensemble, ils ont obtenu plusieurs victoires comme l’octroi en 2002 de passeports russes à des ex-citoyens soviétiques devenus apatrides. « Il nous a fallu plus de dix ans pour gagner cette bataille contre les autorités », confie Svetlana Gannushkina.
Plus récemment, plusieurs enfants de réfugiés syriens ont pu être admis à l’école dans la région de Moscou alors que leur inscription était refusée au motif que les parents n’avaient pas de papiers. « Même pour une chose aussi élémentaire que l’accès à l’éducation, qui est un droit mais aussi une obligation, l’Etat ne remplit pas sa mission », s’indigne-t-elle.
Dans l’aventure du Comité, les obstacles sont nombreux. L’inscription de l’organisation sur le registre des « agents de l’étranger » depuis 2012 en est un. Et non des moindres. Elle oblige l’ONG à se plier à plusieurs formalités telles que réaliser un audit annuel de ses activités et noter la mention « agent de l’étranger » sur chacune de ses publications. Plus gênant, elle l’empêche d’être soutenue par l’Etat et de recevoir des subsides nationaux. Un coup dur pour cette organisation humanitaire, dont le budget annuel est d’environ 650 000€.
Au total, l’équipe du Comité d’assistance civique compte 37 collaborateurs, consultants, interprètes, médecin, psychologues, enseignants… et des dizaines de volontaires. Anna Romachtchenko, 24 ans, est bénévole depuis un peu plus d’un an comme interprète russe-anglais. « J’assiste les réfugiés quand ils ont besoin d’aller aux services d’immigration, au commissariat de police, à l’hôpital, au tribunal, etc. » Une tâche pas toujours aisée surtout quand il faut traduire des termes compliqués. « A l’immigration ou au tribunal, c’est stressant à chaque fois », dit-elle.
C’est après la visite d’un camp de migrants en Allemagne en 2018 qu’elle décide de faire quelque chose pour les réfugiés à Moscou . « En Russie, il y a beaucoup de réfugiés mais personne ne s’en soucie et l’attitude des gens est souvent très négative par rapport à eux. Pour moi, c’est important de les aider car je considère que tous les hommes sont égaux », déclare-t-elle.
« Comme dans une boîte fermée »
En plus de son activité principale, le Comité d’assistance civique a développé plusieurs programmes complémentaires. Karina Kotova est en charge de cours d’intégration pour adultes. « Bien sûr, la maîtrise de la langue est très importante pour que les réfugiés puissent s’exprimer, communiquer. Mais dans ces cours, au delà de l’apprentissage du russe, on essaie surtout de créer un environnement confortable, de les soutenir et de les aider à se sentir bien ». Car, au bout d’un certain temps, leur situation précaire et incertaine, devient difficile à supporter psychologiquement.
« Pour la plupart des demandeurs d’asile, il n’y a malheureusement pas de solution durable en Russie. Ils sont comme dans une boîte fermée avec nulle part où aller », analyse Katya Rosolovskaya. « C’est important qu’ici ils trouvent quelqu’un prêt à entendre leur histoire, quelqu’un qui les aide. Ainsi, ils se sentent moins seuls ».
Modifier le regard de la société russe sur les réfugiés est un autre vœu des collaborateurs du comité, En attendant, ils espèrent, de voir un jour la politique migratoire de leur pays changer.
Le Comité d’assistance civique en quelques chiffres 2.248 consultations juridiques 500 demandes de statuts préparés 471 aides à la traduction devant les tribunaux (arabe, dari, français, anglais…) 304 aides financières accordées pour un total de 2,95 millions de roubles (environ 42 000€) 702 consultations médicales |