Depuis plusieurs jours, l’armée s’en prend aux combattants kurdes au nord de la Syrie, le groupe des Forces combattantes démocratiques, pourtant soutenu par l’Occident dans sa bataille contre l’Etat islamique.
La Turquie a nommé son offensive contre les Kurdes du nord syrien l’opération “Source de Paix”. D’après le gouvernement turc, l’armée a pris le contrôle des endroits où elle a ciblé ses attaques : Tall Abyad, Ras Al-Aïn ou encore Kobané. De leur côté, les combattants kurdes disaient avoir contenu les avancées des militaires.
Au deuxième jour de cette guerre, l’Observatoire Syrien des Droits de l’Homme (OSDH) dénombrait 29 morts chez les combattants kurdes, et 10 chez les civils.
Les chiffres officiels du gouvernement turc affirment que 7 personnes ont perdu la vie à cause des tirs de roquettes qui frappent la Turquie. Une riposte des combattants kurdes. Le ministère de la Défense a annoncé ce vendredi matin qu’un militaire turc avait perdu la vie dans une de ces attaques.
Le chantage aux migrants
Les puissances mondiales pensent que la stabilité de la région est en danger. Par contre les Etats-Unis ou la Russie n’ont pas condamné la Turquie comme la France et l’Allemagne l’ont fait. Erdogan a voulu faire taire les critiques de la communauté européenne. Jeudi 10 octobre, il a menacé de laisser les réfugiés syriens actuellement en Turquie affluer vers l’Europe. Cela représenterait 3,6 millions de personnes.
La Turquie est le pays qui accueille le plus de réfugiés dans le monde selon les chiffres du Haut commissariat des Nations unies pour les réfugiés. Elle a signé un accord avec l’UE en 2016 pour fermer ses portes vers l’Europe en échange de 6 milliards d’euros de subventions.
De plus, cette fois, Erdogan n’a pas que des réfugiés Syriens. La Turquie détient au niveau des frontières syriennes des soldats de l’Etat islamique. Parmi eux se trouvent des ressortissants européens dont le rapatriement susciterait de vives polémiques.
121 opposants en garde à vue
Au troisième jour de l’offensive, au moins 121 personnes sont en garde à vue, à cause de leurs activités sur les réseaux sociaux. Ce fut le cas deux journalistes opposants, Fatih Gökhan Diler du journal Diken, et Fatih Gökhan du quotidien de gauche Birgün. Ces jours-ci, il est compliqué d’exprimer ses opinions pacifistes sur internet en Turquie.
La popularité d’Erdogan se fragilise ces derniers mois. Il a perdu son bastion d’Istanbul, lors des dernières élections municipales. Après cette défaite historique, des divisions ont émergé au sein de son parti l’AKP. L’un des fondateurs du parti, l’ancien ministre de l’Économie, Ali Babacan a claqué la porte. Il a décidé d’en créer un nouveau, avec le soutien de l’ancien président Abdullah Gül, lui aussi ancien membre historique de l’AKP. Ahmet Davutoglu, l’ancien premier ministre d’Erdogan, a pris un chemin politique différent.
Erdogan en opération reconquête
Face a tous ces problèmes politiques, Erdogan a décidé de commencer une guerre. La question kurde est un sujet sensible chez tous les partis politiques du pays. Les Kurdes et les Turcs sont en guerre depuis des dizaines d’années. Dans une société nationaliste comme celle-là, l’idée que les Kurdes réclament leur indépendance au Sud de la Turquie inquiète. Lutter contre les Kurdes séparatistes fait donc consensus. L’opération militaire “Source de Paix” a été autorisée par l’Assemblée turque. Et hier Davutoglu a aussi a envoyé “ses prières” aux soldats.
Ce n’est pas la première fois que Erdogan cherche à reconquérir ses électeurs en faisant la guerre contre les Kurdes. En 2015, quand il a été élu président, l’AKP a perdu la majorité à l’Assemblée nationale après les élections générales. Erdogan a empêché l’opposition de proposer un gouvernement, outrepassant la Constitution. Puis jusqu’en novembre 2015, le sud du pays a été en proie à de nombreux conflits entre le PKK, le groupe séparatiste militaire kurde, et l’armée turque.
La question kurde toujours aussi controversée
Lorsqu’il s’agit de tuer les Kurdes séparatistes, les Turcs sont prêts à tout, quitte à soutenir les mouvances islamistes. Aujourd’hui, Erdogan déploie la même stratégie qu’en décembre 2015. Il sait comment fédérer les partis de l’opposition autour de la guerre.
Mais il ne faut pas oublier que c’est une guerre qui va plomber l’économie du pays. Si les combats se prolongent dans le temps, le système turc pourrait se fragiliser davantage.
Les Kurdes installés au nord de la Syrie comptent résister aux attaques turques. Ils sont toujours en possession des armes que leur avaient envoyé certains pays occidentaux pour lutter contre Daesh. Seul le temps prouvera si la stratégie d’Erdogan lui permettra de faire remonter sa côte de popularité lors des prochaines élections avec les votes des islamo-nationalistes et ceux des nationalistes séculaires.
Illustration : le Président turc Recep Tayyip Erdogan à Mexico en 2015. CC : Flickr / Presidencia de la República Mexicana