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    Mayotte : Wuambushu, l’opération sans droits ni lois

    Commanditée par le gouvernement français et soutenue par une partie des élu·e·s mahorais·es, l’opération Wuambushu a pour objectif de raser les bidonvilles de l'île, en procédant à des expulsions massives de personnes en situation irrégulière. Une action sécuritaire prévue pour la fin de semaine, aux environs du 22 avril 2023.

    A Mayotte, les autorités souhaitent procéder à l'expulsion quotidienne de 250 à 300 personnes principalement venues des Comores par la mer. Photo Hans Wakataitea / Flickr CC

    « Wuambushu » signifie « reprise » en shimaoré, la langue la plus parlée à Mayotte. C’est le nom donné à l’opération militaire visant à « réguler » les migrations sur l’île française. Un terme choisi par le Ministère de l’intérieur français, qui interroge sur les véritables motivations de cette intervention. 

    « Il y a 1 800 policiers et gendarmes en ce moment-même à Mayotte qui font des opérations de police, qui mettent fin au trafic d’armes, qui mettent fin aux bandes criminelles. Elles commettent des homicides, empêchent les femmes d’aller accoucher, les médecins de soigner, les Français de travailler, de vivre et d’emmener leurs enfants à l’école », appuie Gérald Darmanin sur France info ce 21 avril.

    L’objectif est prononcé à demi-mot : reprendre le contrôle du 101e département de France. « Cet impérialisme juridique contribue à fragmenter plus encore la société entre Mahorais de droit français et Comoriens des autres îles, dits “étrangers” », argue, de son côté, le chercheur Emmanuel Blanchard, dans son article “Fractures (post)coloniales à Mayotte”.

    Pour cette offensive, les forces de l’ordre prévoient entre 250 et 300 expulsions par jour. Les principaux concernés sont d’origine comoriennes, un archipel voisin, dont la population est prépondérante à Mayotte. Environ 48 % de la population est de nationalité étrangère, soit 123 000 personnes, et 95 % de ces étrangers sont Comoriens.

    Un manque de moyen juridique

    Flor Tercero fait partie des neuf avocat·e·s venu·e·s d’Hexagone jusqu’à Mayotte pour tenter de pallier le vide juridique autour de la question de l’expulsion des mineurs non-accompagnés sur l’île. Membre du Syndicat des Avocats de France (SAF), ses collègues et elle, disent être dans l’incapacité de faire valoir les droits des étrangers pour cette intervention militaire. 

    « Il faut comprendre qu’on ne peut pas intervenir en qualité d’avocat face à cette opération. Il s’agit de doubler les forces de l’ordre. Et, ce n’est pas neuf avocats de métropole qui vont faire quoi que ce soit », explique l’avocate. 

    « Les avocats actuels ne sont pas suffisants pour pallier les carences structurelles de l’île en termes de défense de la population locale et des étrangers »

    Flor Tercero

    Neuf avocat·e·s qui s’ajoutent aux 26 mahorais·es, pour les 300 000 habitant·e·s de l’île. A titre de comparaison, on compterait 309 avocat·e·s pour 300 000 habitant·e·s en France métropolitaine, soit près de 10 fois plus. 

    « Il faudrait qu’il y ait une centaine, voire 200 avocats qui viennent pendant les deux mois où sont présents les militaires pour pouvoir agir. Les avocats actuels ne sont pas suffisants pour pallier les carences structurelles de l’île en termes de défense de la population locale et des étrangers », ajoute Flor Tercero.

    Des procédures juridiques impossibles

    D’après les informations publiées par le Canard Enchaîné le 22 février dernier, les autorités souhaitent procéder à l’expulsion quotidienne de 250 à 300 personnes. Pourtant, le centre de rétention administrative (CRA) de Mayotte ne peut accueillir que 136 personnes, et les cinq locaux de rétention administrative (LRA) concentrent 90 places, ce qui porte le total à 226.

    Pour remédier à ce manque de place, les avocats et les associations supposent que les personnes interpellées seront envoyées dans des locaux éphémères, réquisitionnés provisoirement par les forces de police. 

    « Cela va être une catastrophe en matière des droits de l’homme »

    Flor Tercero

    « Ce qu’on a déjà pu constater avant même l’opération Wuambushu nous permet de dire que cela va être une catastrophe en matière des droits de l’homme », affirme Flor Tercero. Et d’ajouter : « Rien ne laisse penser que la présence des forces de l’ordre sur l’île va permettre aux personnes d’exercer leurs droits, ou même d’en avoir connaissance ».

    Une catastrophe qui s’explique par les procédures d’éloignement expéditive, des décisions d’éloignement ou d’obligation de quitter le territoire prises par le préfet, notamment en cas de refus de délivrance de titre de séjour ou de séjour irrégulier. Ou comme l’avocate le décrit âprement, « on vous chope dans la rue ou dans votre bidonville le matin, et vous êtes renvoyé aux Comores le lendemain matin ». Car même si les personnes sans-papiers sont parfois nées en France et n’ont aucun lien avec les îles comoriennes, elles y seront envoyées sans aucune solution d’accueil sur place.

    Une mesure tout à fait légale dans le droit français, mais qui ne la rend pas pour autant  acceptable aux yeux des associations mobilisées. « Pour qu’un éloignement soit suspendu, il faut que le tribunal administratif soit saisi. Et pour que le tribunal soit saisi, il faut qu’une personne privée de liberté puisse avoir un contact avec une association ou un avocat », assure Flor Tercero. Et lors de ces expulsions quasi-instantanées, rares seront les personnes qui pourront prévenir qui que ce soit. 

    Mineurs : des expulsions illégales, mais institutionnalisées

    A l’origine, les neuf avocats en provenance de métropole se rendaient à Mayotte pour lutter contre les expulsions de mineurs non-accompagnés, renvoyés illégalement par l’État français. En juin 2020, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a épinglé Paris pour avoir affilié des enfants à des adultes qu’ils ne connaissent pas, afin de les expulser de Mayotte. C’est cette affaire, souvent appelée “affaire Moustahi”, qui a placé les neuf avocat·e·s sur la route de l’île. 

    L’affaire en question concerne un père, M. Moustahi et ses deux enfants, nés à Mayotte et âgés à l’époque de 3 et 5 ans. En 2013, en revenant des Comores où ils logeaient chez leur grand-père, les deux enfants embarquent avec d’autres passagers à bord d’une pirogue à destination de Mayotte, pour rejoindre leurs parents. Le bateau est alors intercepté par les autorités françaises, s’en suit des contrôles d’identité sur une plage mahoraise. Puis, ils sont enfermés dans des locaux de gendarmerie. 

    « Un tiers des expulsés seront mineurs »

    Lors de la rédaction des procès-verbaux d’audition, celui d’un des majeurs, Monsieur X, indique qu’il serait « accompagné de Moustahi Nadjima, âgée de 5 ans et de sexe féminin et Moustahi Nofili, âgé de 3 ans, de sexe masculin ». Si la gendarmerie a prévenu le père de la présence de ses enfants, lorsque M. Moustahi s’y rend avec leurs actes de naissance délivrés à Mayotte, on lui refuse l’accès et ignore ses demandes. Le préfet prend alors la décision d’expulser tous les adultes à bord, dont Monsieur X, qui a été reconduit à la frontière comorienne, accompagné des deux enfants. 

    L’inquiétude de voir se banaliser la pratique, illégale, de « rattachement de mineurs à des majeurs inconnus », poussent les associations locales à être sur le qui vive. « On nous parle d’un rythme de l’ordre de 400 expulsions par jour sur deux mois, c’est-à-dire à peu près 24 000 personnes qui seront expulsées. Un tiers des expulsés seront mineurs », s’alarme Nadia Tourqui, membre du Collectif Stop Uwambushu à Mayotte (CSUM). 

    « Logiquement, le droit français qui s’applique à Mayotte doit protéger les mineurs. Mais, on va rattacher d’office des mineurs à des majeurs pour pouvoir justifier leurs expulsions », ajoute la militante. Le collectif anticipe également le renvoi de mineurs nés sur l’île. Au détriment du droit du sol.

    Photo à la Une : Hans Wakataitea / Flickr CC

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