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Chronique d’Haïti #1 : la création d’une agence de renseignement, dernier exemple de l’autoritarisme de l’exécutif

En date du 26 novembre 2020, le gouvernement du Président Moïse et de son Premier ministre Joseph Jouthe, a fait passer un décret signé par l’ensemble des ministres, publié dans le Moniteur, le journal officiel de la république d’Haïti. Il porte sur la création, l’organisation et le fonctionnement de l’agence nationale d’intelligence (ANI). Concrètement, elle aura pour mission de protéger les intérêts de l’exécutif et d’empiéter sur le travail de la police nationale d’Haïti.

Une milice en somme.

Quelque 70 articles précisent la création et les différentes attributions de l’agence. Relevons que son futur directeur sera nommé par arrêté présidentiel pour un mandat de trois ans (article 28). Les plus hautes nominations au sein de l’ANI seront également du fait du Président Moïse, qui choisira l’inspecteur général des services de renseignement et le directeur de l’académie du renseignement. Les autres postes de l’agence seront nommés par le directeur général du renseignement (article 54).

Relevons encore que cette toute nouvelle agence aura accès aux bases de données de la police nationale d’Haïti, des forces armées, des douanes et de toute autre institution de l’Etat dépositaire d’informations intéressant la défense ou la sécurité nationale (article 62).

Une agence de renseignement qui rappelle la milice de Duvalier

Rappelons qu’en 1957 quand François Duvalier a été élu président, il a créé les volontaires de la sécurité nationale pour faire barrage à l’armée d’Haïti et se protéger de tout renversement.

Quelques mois plus tard cette milice (VSN), allait devenir les tontons macoutes, qui ont opprimé, tué  et violé au nom du dictateur Duvalier. Il faut souligner également que les ‘’tontons macoutes’’ étaient mieux équipés en munitions que l’armée et avaient pour mission d’éliminer tout potentiel opposant au pouvoir.

De la mise en garde des politiques….

Les réactions politiques à l’annonce de l’agence de Moïse ne se sont pas faites attendre. Et notamment pour pointer les conséquences d’une telle création sur les relations extérieures d’Haïti.

Des relations qui vont se crisper davantage? C’est ce que pense Himmler Rébu, dirigeant du parti centriste, le grand rassemblement pour l’évolution d’Haïti (Greh). 
Selon lui, les pays voisins et amis devront mobiliser leurs états-majors pour évaluer cette décision de l’exécutif haïtien. Un président Moïse mal conseillé, analyse le leader du Greh, qui est également ancien membre de l’armée d’Haïti. « C’est comme la CIA aux États-Unis. L’intelligence est liée aux opérations d’espionnage, aux démarches de nature militaire et économique. Je ne sais pas ce qu’ils prétendent concevoir, cependant l’avènement d’une telle structure devra interpeller les pays voisins d’Haïti ».

Quant à l’ancien sénateur centriste Steven Benoît, il a fait une lecture de plusieurs articles du nouveau décret lors d’une émission télévisée (à retrouver ci-après). Il y dénonce la décision de mettre sur pied une milice qui n’a de compte à rendre à personne sinon à l’exécutif. « C’est une violation de la Constitution de vouloir publier ce décret en absence de l’approbation du sénat et la chambre des députés », a ajouté l’ex-sénateur. Et d’asséner : « Nous allons vers la dictature ».

L’occasion également pour lui de rappeler au président que son mandat devrait prendre fin en février 2021, selon la Constitution en vigueur.

… à l’inquiétude des organisations de défense des droits humains





Une opinion partagée par l’organisation de défense des droits humains, la fondation “Je klere”, qui estime qu’avec ces dispositions, Jovenel Moïse joue à « l’apprenti-dictateur ». Rajoutant que le Président manque de légitimité, alors qu’il s’approche de la fin de son mandat.

« Il est déraisonnable de faire de l’ANI une autorité secrète, auto-contrôlée et autogérée, dotée de tous les pouvoirs d’information, d’instruction et de police », renchérit la fondation, qui y voit également une « version 2.0 de la VSN ».

Au même titre que la recrudescence des enlèvements de civils, ce virage sécuritaire alerte sur les périlleuses conditions de travail des journalistes, régulièrement pris pour cible. Comme le rappelle Reporters sans frontières, dans son classement 2020, où Haiti occupe le 83e rang (sur 180 ndlr).

Photo : CCFlickr Gobierno Danilo Medina