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Chronique d’Haïti #4 : inquiétude ravivée au sein de la population après la mutinerie d’une prison

Un article d’Anderson D. Michel / Illustration : capture d’écran Youtube Netalkolemedia.com : conférence de presse du Premier ministre Joseph Jouthe le 4/03 pour lutter contre la hausse des kidnappings.


C’est dans le pénitencier le plus moderne et le plus sécurisé d’Haïti que la mutinerie s’est orchestrée.

Lorsque ce 25 février des prisonniers, souhaitant s’échapper, ont pris en otage le directeur du pénitencier, Paul-Joseph Hector, afin d’avoir accès à l’armurerie. S’emparant de toutes les armes, dont celles des gardiens, ils ont ensuite assassiné le responsable de l’établissement.

Repaire de chefs de gang bien connus

Dans la prison de Croix-des-Bouquets, qui accueillait jusqu’à la semaine passée plus de 1.500 détenus pour une capacité maximale de 872 personnes, des chefs de gang bien connus étaient incarcérés. A l’instar d’Arnel Joseph, un criminel qui aurait travaillé pour le compte du pouvoir en place et de certains membres de l’opposition comme le rapporte nos confrères haïtiens.

Cet habitué des évasions était un témoin clé pour la direction centrale de la police judiciaire (DCPJ) dans plusieurs enquêtes liées aux kidnappings, meurtres et tentatives d’assassinat de citoyens haïtiens.

Arnel Joseph a été tué par la police dans la commune L’Estere, située dans le département de l’Artibonite (à 1h30 de route de la prison ndlr) après avoir tenté de s’enfuir sur une moto en ouvrant le feu sur une patrouille de la police.

Quid du bilan

Frantz Exantus, secrétaire d’État à la Communication, a dressé le bilan de la mutinerie, affirmant que 200 détenus étaient activement recherchés par la police.

Pourtant, les chiffres avancés laissent à croire que plus de 400 détenus se trouvent désormais dans la nature. Quelque 1.542 prisonniers étaient incarcérés dans le centre, or seulement 1.125 ont répondu présents à l’appel de l’administration pénitentiaire.

Quant aux victimes, l’on dénombre 25 décès, dont six détenus. Parmi les victimes également, des citoyens tués par les criminels qui tentaient de prendre la fuite.

La justice travaille pour identifier toutes les victimes, a voulu rassurer Frantz Exantus. Et d’ajouter que des armes avaient été saisies au cours des interventions : « La police a récupéré deux longs fusils et cinq pistolets de calibre 9 mm. Des bonbonnes de gaz lacrymogène ont été également récupérées ».

Trois commissions vont être créées pour élucider les circonstances de la mutinerie. « L’Inspection générale fera une enquête administrative pour fixer les responsabilités internes. La Direction centrale de la police judiciaire (DCPJ) pour déterminer qui sont ceux qui doivent répondre aux questions de la justice. Et finalement, la Direction de l’administration pénitentiaire va enquêter sur les causes de cette mutinerie et les personnes impliquées », a conclu le secrétaire d’État.

Des répercussions sur la population

L’évasion des détenus, comptant de réputés chefs de gang, a une incidence réelle sur le climat déjà délétère en Haïti : elle vient encore augmenter la peur des citoyens. Qui plus est dans la capitale, Port-au-Prince, où ces ex-détenus vont venir se concentrer, alors que la ville est déjà le théâtre d’une hausse exponentielle d’enlèvements et de crimes ces derniers mois.

Sur place, nos contacts nous ont dit leur angoisse. D’aucuns préférant éviter de se rendre à Port-au-Prince, quand d’autres à l’image de cet étudiant a préféré s’exiler à Saint-Domingue (la République dominicaine est frontalière d’Haïti, avec qui elle partage l’île d’Hispaniola ndlr), considérant que cette évasion était « la goutte d’eau qui fait déborder le vase ».

En réaction à l’augmentation de cas de kidnappings, le Premier ministre Joseph Jouthe vient d’annoncer que tous les propriétaires de véhicule aux vitres teintées devraient les retirer dès ce 6 mars.

Ne se voile-t-il pas la face, alors qu’Haïti vit une crise politico-sociale hors norme ?

Retrouvez ici les trois chroniques précédentes sur Haïti écrites par Anderson D. Michel.

La création d’une agence de renseignement, dernier exemple de l’autoritarisme de l’exécutif

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