Créée en 2018, l’association Kabubu mise sur l’inclusion des réfugiés par le sport en proposant des cours ouverts à tous. Chaque lundi, elle propose des entraînements de basket, dans le 7° arrondissement de Paris. Reportage.
Julie Coulon-Profizi
Dans le hall de l’église américaine de Paris (7° arrondissement), Ingrid, bénévole, est là pour accueillir les nouveaux venus, comme chaque semaine. “Bonjour, pour le cours de basket Kabubu, c’est au sous-sol, dans la salle du fond”. Pour une séance de sport, l’endroit paraît saugrenu. Bien plus qu’une église, le bâtiment à l’architecture gothique cache en fait des salles de cours, des locaux d’associations de catéchisme et le bureau du pasteur. En bas des escaliers, au bout d’un couloir, une porte affiche “GYM”. Derrière le hublot, du parquet, des paniers de basket et des vestiaires.
Chaque lundi, et ce depuis un an, l’association Kabubu propose, entre autres, des cours de Basketball ouverts à tous, avec l’objectif de créer un lien entre Parisiens et réfugiés. Devant la salle, deux réfugiés venus d’Afrique subsaharienne discutent en arabe en attendant la fin du cours de Tai-chi pour se changer. Peu à peu, les sportifs arrivent. Se serrent la main, se tapent dans le dos. Ingrid discute avec les habitués. A 29 ans, la jeune femme, sortie d’un DUT commerce et marketing, lie sa passion et ses idées en travaillant pour l’association Kabubu. Adolescente, elle voulait devenir journaliste, puis avocate, pour défendre les intérêts des minorités. “Je ne suis pas étonnée de finalement me retrouver à travailler avec les réfugiés”, analyse-t-elle.
Kabubu, le pari de la mixité
A 20h30 tapantes, les rebonds des premiers ballons résonnent, les chaussures crissent sur le parquet, alors que les retardataires finissent de s’habiller. Avant de commencer l’échauffement, Ingrid fait un rappel sur les actions de Kabubu avec les personnes présentes. A part le basket, l’association, créée le 31 janvier 2018, propose des cours de football, de boxe française et de running, ouverts à tous ceux qui ont “entre 14 et 99 ans”. “Kabubu”, c’est “l’amitié par le sport” en swahili, mais également une forme de lutte traditionnelle congolaise. Un nom qui traduit bien l’objectif de l’association : d’une part, favoriser les rencontres entre les réfugiés et les parisiens, d’autre part essayer de changer le regard de la société sur ceux qu’on appelle les migrants.
Un succès grandissant grâce au bouche-à-oreille
En 2018, 122 743 demandes d’asile ont été enregistrées à l’OFPRA (Office français de protection des réfugiés et apatrides) et 46 700 statuts de réfugiés ont été délivrés en France. La “crise migratoire”, Noémie, la co-fondatrice et présidente de l’association ne veut pas en entendre parler : “La migration a toujours existé, nous [les pays occidentaux] y avons toujours été confrontés. Il faut trouver des solutions pour mieux accueillir les réfugiés, ce n’est un problème que si on rejette ces ‘migrants’”, s’agace-t-elle.
Ce soir, à l’église américaine, ils sont une vingtaine. Parmi eux, Hamza, Baldé et Christian. Les trois jeunes hommes se sont rencontrés lors de ces séances de basket. En dehors, il leur arrivait de jouer le samedi sur un terrain proche de Gare de l’Est, mais il n’est plus ouvert. Désormais, ils s’entraînent sur le Playground du Canal Saint-Martin, un terrain dédié au basket de rue, mais selon Baldé, le terrain, en piteux état, est moins pratique : “les balles rebondissent mal”, glisse-t-il.
Sur le parquet, l’échauffement commence doucement, avec des dribbles et des passes. Outre les réfugiés, quelques Parisiens sont présents. Parmi eux, Clara, 24 ans, vient pour la troisième fois. Du basket, cette étudiante en stage dans une entreprise d’énergie renouvelable en avait déjà pratiqué en club. Elle raconte, entre deux allers-retours de terrain: “je cherchais une association avec des cours sans engagement d’une semaine à l’autre, mais avec cet dimension de solidarité envers les réfugiés. J’en ai entendu parler par ma coloc, puis je suis venue. C’est beaucoup de bouche-à-oreille.”
Même chose pour Adama, un Malien de 29 ans arrivé en France il y a 7 ans : il y a un an, il en entend parler par d’autres réfugiés et se décide à y aller. Ce bouche-à-oreille conditionne ainsi les différents cours : “Les réfugiés parlent entre eux de ces cours, ce qui fait qu’on a une répartition par zone d’origine. Au basket, beaucoup viennent d’Afrique Noire. A la boxe, on croise beaucoup d’Afghans”, explique Ingrid.
Une occasion de s’extraire d’un quotidien compliqué
La dernière demi-heure est consacrée aux matches. Au moment de constituer deux équipes, Baldé, le regard malicieux, se précipite pour appeler Ingrid, l’encadrante. C’est l’heure du lâcher prise. Car pour beaucoup, tâter le ballon est la seule activité réjouissante de la journée. Hamza, un Tchadien de 20 ans, suis les cours de basket depuis 7 mois. Né dans une famille de bergers, il s’occupait des moutons toute la journée, au Tchad. Aujourd’hui, son quotidien est tout autre : quand il ne prend pas de cours de français ou qu’il n’est pas à la Boulangerie, centre d’accueil d’Emmaüs, il joue au basket dans les parcs.
Depuis qu’il connait l’association, Adama, lui, s’est inscrit à tous les sports proposés, pour égayer son quotidien passé au foyer d’insertion Coallia de Saint-Denis. Car bien souvent, le sport représente un exutoire, un passe-temps au sens propre. L’inclusion par le sport est devenu un pilier du travail d’intégration des réfugiés dans leur pays d’accueil. Dans cette optique, le Conseil de l’Europe a créé en 2017 une plate-forme en ligne permettant aux acteurs et structures concernés par le sport et l’inclusion d’échanger leur expérience. La ville de Paris, quant à elle, promeut les activités sportives au sein même des Centres d’hébergement d’urgence (CHU) et organise des tournois avec les professionnels de l’accueil des réfugiés. D’ailleurs, ces dernières années, plusieurs associations proposant du sport aux réfugiés ont vu le jour, comme Melting Passes, qui permet aux mineurs isolés étrangers de pratiquer le football en compétition.
Attirer plus de femmes
Ces actions ont néanmoins leurs faiblesses : seules deux femmes sont présentes à l’entraînement de ce soir, et aucune parmi les réfugiés. C’est l’enjeu de la rentrée 2019, selon Noémie. “Les réfugiés sont en majorité des hommes, et on est confronté à une barrière avec les femmes, en termes de famille et de religion.”
Pour combler cela, la présidente de Kabubu décide de proposer, puis de pérenniser certaines activités ponctuelles. La danse d’abord. Mais aussi, en écho à la Coupe du Monde de football féminin, une équipe de foot exclusivement féminine. C’est une problématique que tous les acteurs de la solidarité avec les réfugiés prennent en compte. Depuis 2015, la ville de Paris a mis en place un programme d’entraînement pour se préparer à la course à pied “La Parisienne”. Jusqu’ici, il a été suivi par plus de 250 femmes résidant dans les centres d’hébergement gérés par le Centre d’action sociale de la Ville de Paris (CASVP).
Basket, pizzas et cinéma plein air : objectif solidarité
Au sous-sol de l’église américaine, les ballons arrêtent de avec un quart d’heure d’avance. Mais c’est pour la bonne cause. Le pasteur de l’église a mis à disposition de tous des pizzas. Chacun en prend un morceau, et tous s’assurent que les autres sont servis, quitte à couper une part en deux. Les plus pressés partent en vitesse, il reste un noyau dur. Christian, 25 ans, dans l’association depuis 10 mois, semble en être le pilier. Avec Hamza et Baldé, il leur arrive de se retrouver pour boire un verre, pique-niquer dans les parcs, à l’occasion. Cet été, ils sont allés assister à plusieurs matches des bleues en Coupe du monde de football. “On s’ouvre petit à petit, on partage nos histoires. Aujourd’hui on est amis”, confie-t-il.
De son côté, Mohamed, 20 ans, a trouvé des amis, mais a également pris goût à l’entraide. En dehors de ses séances de basket et de son travail à Starbucks, il donne un coup de main au café associatif Le Petit Ney, dans le 18° arrondissement de Paris. “Des gens sont là pour m’aider, je les aide en retour, c’est normal”, affirme-t-il.
Devant l’église, les habitués du cours de basket fondent vers le métro le plus proche et se disent au revoir, mais pas pour très longtemps. Ils resteront en contact jusqu’au lundi suivant, via leur groupe Whatsapp, pour partager des vidéos… de basket.