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    « Young Voices » #3 : récit d’une jeunesse exilée en Ouganda

    Comment grandit-on dans les campements de réfugiés ? Ceux de l’Ouganda ne ressemblent en rien aux camps européens : ce pays africain fait figure de modèle d’accueil à l’international. Mais il se trouve face à un défi d’ampleur : la majorité des arrivants ont moins de 18 ans. Pour ces jeunes, les campements restent des […]

    Comment grandit-on dans les campements de réfugiés ? Ceux de l’Ouganda ne ressemblent en rien aux camps européens : ce pays africain fait figure de modèle d’accueil à l’international. Mais il se trouve face à un défi d’ampleur : la majorité des arrivants ont moins de 18 ans. Pour ces jeunes, les campements restent des lieux d’exil : des lieux sans racines, avec peu d’horizon, où il s’agit pourtant de se construire.

    Maïa Courtois et Gaspard Njock


    CHAPITRE 3 / JEUNES ADULTES

    Autour d’une table ombragée, une dizaine de jeunes femmes et hommes s’affairent à peaufiner les détails de paires de chaussures. Ici, on fait de la cordonnerie, mais aussi des cosmétiques, des savons, des paniers et des plats en osier… Mr. Ayebazibwe dirige ce groupe dans le campement de réfugiés de Kyriandongo, au centre de l’Ouganda. Depuis juillet 2017, il dispense une formation professionnelle à de jeunes exilés et ougandais, au cours de sessions de trois mois. À terme, certains sont autorisés à rejoindre son atelier. Comme dans d’autres campements en Ouganda, ces formations sont souvent soutenues voire mises en place par des ONG ou par le Haut Commissariat aux Réfugiés des Nations Unies.

    « Avant de commencer, un sondage a été mené sur les besoins des réfugiés du campement : il n’y avait pas les produits cosmétiques qu’il y a ici… » présente le responsable de l’atelier avec fierté. Le tout est réalisé à partir de matière recyclée. Sous les mains savantes, les pneus deviennent des sandales. « Toutes ces choses à recycler était un fardeau, nous récupérons tout ! Tout ce qui est amené est bienvenu » s’amuse-il. Mr. Ayebazibwe dispose de ce savoir-faire depuis des années. Mais affirme que « cela ne sert à rien de tout garder pour soi : il faut partager les connaissance ! Ensuite ces jeunes les diffuseront à leur tour à leur famille, à la communauté… »

    Dans le frais de l’atelier, Joseph, 22 ans, un tablier noué autour du corps, raconte: « quand j’ai entendu ça, je me suis empressé de venir. Une fois qu’on l’a en nous, c’est un savoir-faire qui peut être transporté et être utile partout ! » Stanley, réfugié soudanais du même âge, utilise ses connaissances pour « faire des chaussures ou réparer celles de mon frère, de mes parents… » Deux anciens apprentis vendent désormais des cosmétiques et des savons sur la place du marché de Kyriandongo. Il se dit qu’un autre a même ouvert sa boutique de chaussures à la frontière du Soudan du Sud… Alors ceux qui travaillent aujourd’hui à l’atelier imaginent collectivement leur futur au-delà du campement. Mosis, 27 ans, porte des chaussures qu’il a lui-même confectionné. Son ton est optimiste : « nous avons fait tout cela en tant que groupe, nous devons continuer comme tel ! » Avec Joseph, ils réfléchissent à monter plus tard leur coopérative. « Si l’on reçoit du soutien, on reste groupés », assure aussi leur formateur.

    Plus au sud, dans le campement de Kyangwali, des notes de piano s’échappent d’un centre pour la jeunesse. Dans le hall d’entrée, deux jeunes hommes apprennent à en jouer auprès d’un professeur, tandis qu’un troisième les observe sagement. Derrière, une salle d’informatique accueille des jeunes adultes du campement pour les former aux logiciels Microsoft et Excel, au design de sites internet, ou encore à l’analyse de bases de données. Brian, animateur au centre, se rend régulièrement avec ses collègues « auprès de la communauté, pour leur expliquer en quoi c’est utile de se former en informatique… » Après des entretiens sélectifs pour les jeunes désireux de s’inscrire, une formation de trois mois est dispensée. Près d’un jeune sur dix est ougandais ; tous les autres sont des réfugiés du campement. « Ce sont en majorité des hommes qui s’inscrivent » rapporte Brian. « Quelques filles viennent mais elles sont rares… Alors quand elles s’inscrivent, on leur donne la priorité ! »

    Quatre cent jeunes passent par ce centre chaque semaine. Un accès à internet, des jeux et une salle de télévision leur sont aussi proposés. Mais une contribution financière est exigée. « C’est le seul moyen d’accéder à internet alors c’est important de venir de temps en temps, mais tout dépend de l’argent…», glisse Adam, 28 ans, un Darfouri vêtu d’un t-shirt rose, le visage attentif tourné vers les pianistes. « C’est très cher pour nous car nous ne travaillons pas » abonde un de ses camarades, Jacques, exilé congolais de 34 ans, tout en élégance dans sa chemise à motifs. Lui vient trois jours par semaine de 9 heures à 13 heures pour suivre des cours en ligne d’universités anglo-saxonnes, mais aussi de l’école de commerce française HEC. « J’aimerais être professeur au Canada ou aux Etats-Unis. Personne ne sait ce qu’il va se passer…» sourit-il. « Même si je reviendrai en Ouganda pour partager mon enseignement et être utile ici ! »

    L’apprentissage de l’informatique et les formations en ligne ouvrent les horizons et les ambitions des jeunes adultes du campement. L’un dit vouloir développer des applications pour être utile à sa communauté. Idrima Emmanuel, lui, veut être journaliste. Sa famille est arrivée en 1989 du Soudan du Sud. « Nous étions dans le campement de Kyriandongo et, à partir de mes six ans, nous avons été installés ici à Kyangwali. Aujourd’hui, j’en ai vingt-cinq. » Idima Emmanuel se tient très droit. Il porte un appareil photo autour du cou. Dans sa famille, « on écoutait beaucoup la BBC. J’espère travailler un jour dans ce média ou ailleurs. » Ses yeux sont observateurs, sa voix calme. Son rêve n’a d’égale que sa modestie: il hausse timidement les épaules lorsqu’on l’encourage à contacter des médias pour proposer des articles. L’air de dire : j’en ai envie, mais est-ce vraiment pour moi ? Et par où commencer ?

    Le hall d’entrée se remplit de jeunes adultes attirés par les histoires de chacun. Les apprentis pianistes ont cessé de jouer et se se mêlent aux discussions. Tour à tour, chacun livre ses envies d’ailleurs, ses ambitions professionnelles, ses doutes. Personne ici ne laisse gagner le fatalisme, quand bien même nombre d’entre eux, à l’instar d’un jeune homme ayant vécu dix-huit ans dans ce campement, n’ont plus l’espoir de retourner un jour chez eux.  Grâce aux plateformes en ligne, tous ces jeunes en exil peuvent échanger avec des étudiants « du Burundi, de Russie, de Syrie…». Ils y discutent de sujets variés, de préoccupations communes à leur âge, « d’éducation » aussi. Ces jeunes réfugiés devenus adultes attisent la curiosité de leurs camarades virtuels à l’international. Alors, glissent-ils en toute humilité : « nous leur expliquons comment les enfants survivent, ici, dans les campements… »

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