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    [Cinéma] Les « Burning Days » enflamment l’Aksaray

    « Ma seule arme, c'est de faire des films ». Avec « Burning Days », thriller analogique d'une Turquie en crise, Emin Alper poursuit sa réflexion sur l’intolérance du pouvoir. Entretien.

    Portrait d'Emin Alper, réalisateur des « Burning Days », au 75e festival de Cannes. ©Fanny De Gouville.

    Dans la petite municipalité (fictive) de Taniklar, près de Konya (Anatolie centrale), berceau de la sagesse soufi où l’illustre Rûmî vécut, Emre, un jeune procureur fraîchement débarqué de la ville entend faire son travail avec toute la droiture qui incombe à sa posture.

    Sur fond de pénurie d’eau et de corruption, Emre va pourtant se heurter à un jeu de pouvoir, aveuglant dangereusement jusqu’aux citoyens de Taniklar, qu’il prétendait vouloir défendre bec et ongles.

    Une diatribe de la société turque

    Emin Alper signe ici son quatrième long-métrage, avec toujours pour fil rouge – comme dans «Les trois soeurs» dont l’action se situe également dans un village reculé – le poids du conservatisme et d’un pouvoir toujours plus avide et cupide.

    Quitte à mener son peuple vers un gouffre économique et social, représenté dans «Burning Days» par ces cratères menaçant d’engloutir la ville.

    Le réalisateur poursuit ainsi sa réflexion sur la lutte constante entre citoyens conscients d’avoir une voix et une individualité et ceux qui cherchent à imposer une façon de vivre d’après des traditions séculaires et l’ordre établi.

    « Nous avons ce problème récurrent dans les pays en développement… Ce paradoxe qui consiste à maintenir nos traditions tout en se battant pour un futur plus juste en vivant selon nos propres croyances, nos propres valeurs », nous confie Emin Alper en marge du festival de Cannes.

    La bataille évoquée par Alper est au coeur de son projet artistique lorsque l’une des productrices de «Burning Days» est accusée d’être l’instigatrice des manifestations de Gezi. Soit l’un des mouvements sociaux les plus importants dans l’histoire contemporaine de la Turquie souvent comparé au Printemps arabe ou à Mai 68 en France.

    « Depuis la réélection d’Erdogan en 2011, les choses n’ont fait que se dégrader. Ce mouvement était spontané et populaire, mais bien sûr, Erdogan a acté qu’il s’agissait-là d’une conspiration contre lui. Et, il en a fait une obsession », analyse Emin Alper.

    Et de reprendre : « Les personnes accusées, dont notre productrice, n’ont même pas bénéficié d’un procès en bonne et due forme. Il n’y avait ni preuve, ni témoignage probant… Rien. Ils se sont contentés d’énoncer un verdict : 18 ans de prison ! C’était tout simplement incroyable ! Suite au coup d’Etat avorté de 2016, nous assistons de plus en plus à ces effets d’autoritarisme. Erdogan s’est épris de pouvoir et cela a fini par l’empoisonner. Il a fait de notre pays une réelle dictature », termine, amer et révolté, Alper.

    Portrait d'Emin Alper, réalisateur des « Burning Days », au 75e festival de Cannes. ©Fanny De Gouville.
    « Les dirigeants totalitaires excellent dans l’art de manipuler la population pour la mener droit au désastre et dans une crise économique inextinguible », argue l’engagé Emin Alper. ©Fanny De Gouville.

    Une population embrumée

    Tandis qu’Emre, nommé « sabjé » (procureur en turc – NDLR), se rend compte des manigances du maire de la ville censé protéger ses administrés contre la pénurie d’eau, le curseur entre le bien et le mal se fait incompréhensible, intangible.

    Décidé à ne pas perdre ses privilèges, l’édile commence à menacer « sabjé », utilisant jusqu’à sa supposée homosexualité.

    Transposant la position du maire à celle d’Erdogan, Alper l’assure : le pouvoir, non content de détourner des ressources naturelles à son avantage, prive la société dans son ensemble de droits fondamentaux. Malgré tout, le peuple est, lui, comme anesthésié. Il ne sait plus penser par lui-même et finit par se retourner contre le lanceur d’alerte, « sabjé ».

    Résultat ? La violence s’accroît à l’encontre du procureur pour inévitablement mener à sa fuite et à une nouvelle réélection pour l’édile.

    « Cela se passe ainsi avec l’ensemble des dirigeants totalitaires. Ils excellent dans l’art de manipuler la population pour la mener droit au désastre et dans une crise économique inextinguible », assène Emin Alper.

    Vers une homophobie institutionnalisée

    De façon similaire, il était nécessaire pour le réalisateur de traiter de l’homophobie tant le gouvernement en place en a fait une arme de propagande.

    « Cela a toujours été difficile d’être homosexuel dans un milieu rural, et pas seulement en Turquie d’ailleurs. Mais depuis cinq ans, il s’agit de bien plus que cela. Le gouvernement a fait de l’homophobie une réelle arme de dissuasion avec une milice prévue à cet effet! Cela passe par la suppression de la représentation LGBTQIA+ dans les programmes TV et les médias, créant de fait un vaste sentiment de rejet institutionnalisé », appuie Emin Alper.

    Avant d’ajouter, railleur : « Encore un point commun entre nos chers leaders totalitaires ».

    Elle est là la volonté farouche du réalisateur : mettre la lumière sur les dangers du repli et du rejet. Prenant l’exemple de la profession de journaliste devenue l’une des professions les plus dangereuses en Turquie, 31 d’entre eux étant actuellement en prison.

    « Avec les reporters, plus de 3 000 juges et procureurs ont été emprisonnés. Il arrive un moment où vous avez honte d’être assis là sans rien faire quand vos amis sont jetés en prison. Moi, ma seule arme, c’est de faire des films », argue-t-il, la peur à des kilomètres de son regard.


    « Burning Days » est en salles depuis le 26 avril 2023.

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