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  • À la loupe

    Comment l’extrême droite nourrit la culture du viol en stigmatisant les étrangers

    Depuis quelque temps, grâce au travail acharné de militantes féministes, la lutte contre les violences faites aux femmes s’impose dans les débats publics et politiques. Malheureusement, ce sujet est de plus en plus instrumentalisé par des mouvements d’extrême droite qui voudraient faire croire que ces violences sont en majorité le fait d’ »étrangers, » de « migrants, » de […]

    Depuis quelque temps, grâce au travail acharné de militantes féministes, la lutte contre les violences faites aux femmes s’impose dans les débats publics et politiques. Malheureusement, ce sujet est de plus en plus instrumentalisé par des mouvements d’extrême droite qui voudraient faire croire que ces violences sont en majorité le fait d’ »étrangers, » de « migrants, » de « demandeurs d’asile. » En plus de stigmatiser toute une catégorie de la population, ces groupuscules alimentent la culture du viol et font le jeu des agresseurs.

    Texte : Noémie Tissot / Dessin : Gaspard Njock

    Happening raciste en pleine marche contre les violences faites aux femmes, détournement des collages féministes pour diffuser des messages anti-migration, « hommage théâtral » pour une victime de viol car l’agresseur présumé est un ressortissant camerounais… Ces actions ont été menées par un collectif identitaire qui se définit comme « féministe anticonformiste » et que nous ne nommerons pas pour lui éviter toute publicité.

    Son but ? « Dénoncer les véritables agresseurs, » expliquent ses membres au média Paris Vox. Sur leur site, ces femmes précisent qu’elles veulent « avant tout de libérer la parole des françaises et mettre en évidence le rôle que jouent les politiques migratoires dans les problèmes que subissent les femmes. » Pour elles, les « véritables agresseurs » sont donc les étrangers, les migrants. Ils sont les seuls coupables, les seuls à blâmer.

    Sur Twitter, elles relaient ainsi de nombreux articles de presse faisant référence aux violences faites aux femmes, avec toujours les mêmes mentions. Les agresseurs y sont des « étrangers, » des « extra-européens, » des « demandeurs d’asile, » des « migrants »… Pour Lucie Groussin, militante féministe au Groupe F et à #NousToutes, « il est clair qu’elles ne parlent pas des droits des femmes pour les défendre, elles les instrumentalisent. C’est très grave que des mouvements d’extrême droite reprennent ces thèmes pour dénigrer une partie de la population. »  

    Instrumentalisation des agressions de Cologne

    L’étranger comme bouc émissaire des violences d’une société patriarcale, ce n’est pas une nouveauté. Le Rassemblement national de Marine Le Pen s’est emparé de cette thématique depuis plusieurs années. Le 13 janvier 2016 par exemple, après les violences perpétrées à Cologne dans la nuit du 31 décembre, Marine Le Pen signe une tribune dans l’Opinion. « Que la barbarie puisse s’exercer de nouveau à l’encontre des femmes, du fait d’une politique migratoire insensée, me remplit d’effroi. »

    Évoquant la « crise migratoire » et citant Simone de Beauvoir, elle sous-entend que si les États européens fermaient les frontières, les femmes seraient de nouveau protégées. Les agressions sexuelles de Cologne, commises pour partie par des hommes de nationalité algérienne ou marocaine, (et non par des réfugiés syriens) sont récupérées.

    Le discours féministe, habituellement grand absent à l’extrême droite, est instrumentalisé. Comme si les violences faites aux femmes étaient liées à une culture, à un pays, à une religion, et non à un phénomène sociétal, systémique, qui ignore les frontières et les nationalités.

    Non, 52% des violeurs en Île-de-France ne sont pas des étrangers

    Aujourd’hui, l’argumentation de l’extrême droite repose en partie sur un pourcentage : « 52% des violeurs en Île-de-France sont étrangers. » On le retrouve même dans la bouche des politiques : Marine Le Pen le brandit sans aucune précaution sur les plateaux de télévision, Nicolas Dupont-Aignan le tweete, tout comme Damien Rieu.

    Sous prétexte que cette statistique est issue d’une étude du très officiel ONDRP (l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales), elle devient une sorte de vérité… Pourtant, même les auteurs de ce rapport mettent en garde dès les premières pages contre toute généralisation, les biais méthodologiques étant trop importants.

    Intitulée Les viols commis à Paris en 2013 et 2014 et enregistrés par les services de police l’étude ne porte, comme le précise son titre, que sur des viols déclarés aux autorités, c’est-à-dire pour lesquels une plainte a été déposée. Or, c’est très rarement le cas. D’après l’Observatoire national des violences faites aux femmes, seulement une victime de viol ou de tentative de viol sur dix porte plainte. L’ONDRP le rappelle d’ailleurs noir sur blanc dans son introduction.

    Autre limite : si l’étude porte sur un échantillon de 688 viols, il n’y a en réalité que 390 mis en cause. Nos 390 ne peuvent donc pas être représentatifs de l’ensemble des auteurs des 688 viols de l’échantillon et encore moins de la totalité des viols commis dans la capitale pour cette période.

    Impossible donc de faire une généralité de ce « 52% », réitère Aurélien Langlade co-auteur de cette étude à l’AFP. D’ailleurs, les données nationales ne le corroborent pas. En effet, selon le ministère de l’Intérieur, pour l’année 2018, sur les 26.500 mis en cause dans des affaires d’infraction à caractère sexuel, près de neuf auteurs présumés sur dix (86%) étaient de nationalité française. Les « personnes étrangères » représentaient 14% des mis en cause. Loin, très loin des fameux « 52%. »

    Le mythe de l’agresseur inconnu dans la culture du viol

    Malheureusement les extrêmes ne s’embarrassent pas de chiffres qui pourraient les contredire. Et, en diffusant cette infox ils ne font pas qu’attiser la haine contre les migrants, ils alimentent aussi la culture du viol et l’un de ses plus vieux stéréotypes : considérer qu’un violeur ne peut être qu’un étranger, qu’un « autre ». Dans un épisode du podcast sur les masculinités, Les Couilles sur la Table, Victoire Tuaillon interroge Noémie Renard, autrice du blog Antisexisme.net et du livre, En finir avec la culture du viol, publié l’année dernière. Elle explique : « les violeurs, ce sont toujours les autres. Ce ne sont pas des gens qu’on connaît, pas des gens normaux, ce ne sont pas nos amis, nos frères, nos pères. C’est toujours l’autre. »

    Dans l’imaginaire collectif, un violeur serait forcément un déséquilibré ou un marginal, un inconnu, un migrant ou un homme racisé, issu des classes populaires ou un peu tout à la fois. Armé, il agirait la nuit, dans une ruelle mal éclairée ou sur un parking lugubre.

    Dans près de 90% des cas, la victime connaît son violeur

    Pourtant, les études de victimisation le montrent : c’est au sein de l’espace privé que se produisent la plupart des viols. « Plusieurs enquêtes ont été réalisées sur la question, notamment celle de la Fondation Jean Jaurès en 2017. Celle-ci montre que dans presque 90% des cas des violences sexuelles, la victime connaît la personne qui a commis la violence : elle peut être un conjoint, un proche, un collègue, un voisin…, » précise Léonore Guénoun, militante à #NousToutes.

    Le premier lieu des violences contre les femmes est donc le cercle familial. Ainsi, 49 % des victimes de viol, incriminent leur conjoint, 17 % un membre de l’entourage, 6 % un membre de la famille contre 17 % qui mentionnent un inconnu. Finalement, estimer que le violeur est dans la plupart des cas un étranger est pour Léonore Gunéoun un « mythe raciste, hérité de notre passé colonial. C’est biaisé, c’est faux. » Elle insiste : « aucune étude n’a prouvé qu’il existe un portrait type de l’agresseur ou du violeur. Aucune donnée fiable ne le montre. »

    Faire le jeu des agresseurs

    Pire, les conséquences de cette idée reçue sont dramatiques. « C’est très dangereux. D’abord parce que cela construit une image fausse des hommes racisés et des migrants. Très dangereux aussi pour les victimes : si elles parlent ou si elles accusent une personne qui ne correspond pas à ces critères, elles ne seront pas crues. Elles pourraient d’ailleurs ne pas parler du tout, envisageant que de toute façon, leur parole ne sera pas prise en compte», estime la militante de #NousToutes. Le mythe de l’agresseur étranger participe ainsi à développer une certaine impunité des violeurs.

    « A toutes les étapes de la chaîne judiciaire, de la dénonciation à la condamnation, plus un viol se rapproche du cliché du “vrai viol“, plus il sera traité favorablement : il fera l’objet d’une plainte, de poursuites, d’un procès et d’une condamnation (…). De manière générale, les viols commis par une personne connue de la victime sont deux à trois fois moins signalés », lance à Libération Noémie Renard.

    Autre effet de cette idée reçue : ne pas considérer qu’un viol puisse être chose qu’une agression la nuit, dans un parking par un étranger. « De nombreuses femmes ne se rendent pas compte qu’elles peuvent être confrontées à un viol conjugal. D’autres n’ont d’ailleurs peut-être pas conscience qu’elles ont déjà été victimes », souffle Léonore Gunéoun.

    C’est dans cette optique que #NousToutes a lancé il y a quelques semaines une grande enquête sur le consentement dans les couples hétérosexuels. Les résultats ne sont toujours pas connus, mais avec plus de 100.000 réponses collectées, le collectif a touché un point sensible : « nous avons reçu énormément de messages de femmes nous disant « grâce à votre enquête je me rends compte de ce qui m’est arrivé. » On ne se rend pas forcément compte des violences sexistes et sexuelles que nous avons vécu. »

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