« Quand un oiseau voit son nid en feu, et qu’il voit le nid de son frère en feu, il se moque du drame qui survient chez son voisin. » Dans cette tribune à la fois intime et politique, Liban Douale, jeune demandeur d’asile, fait l’analogie entre son enfance en Somalie, bercée par la nature et la sagesse du Père, et sa prise de conscience du réchauffement climatique à son arrivée en Europe. Pour exhorter ses frères humains à se mobiliser et à agir vite pour la planète.
Texte : Liban Douale / Traduction : Françoise Ramel / Image en Une : Flickr CC United Nations Photo_Tobin Jones
Je suis somalien, j’ai grandi dans la brousse. Le réchauffement climatique ? Je n’en ai jamais entendu parler avant d‘arriver en Europe.
Je sais qu’il existe des ONG qui font de l’aide humanitaire. J’ignorais qu’il existe des ONG qui luttent pour le climat. Si vous me demandez ce que veut dire Greenpeace, je vous répondrais que c’est un pays en paix et verdoyant, à la nature généreuse, symbole de prospérité, d’avenir, de sécurité.
Dans mon pays, on s’exprime par proverbe. Alors pour cet article, j’ai choisi quelques proverbes qui vous aideront à comprendre ma culture et mon lien avec la nature.
« Quand un oiseau voit son nid en feu, et qu’il voit le nid de son frère en feu,
il se moque du drame qui survient chez son voisin. »
proverbe somalien
Un rapport a été publié en 2019 à Stockholm sur mon pays, la Somalie. Cet article du 23 octobre évoque 2,6 millions de Somaliens déplacés.
Le changement climatique amplifie les défis existants
« Le rapport indique que 94% de la population nomade de la Somalie – comme les éleveurs – vit actuellement dans la pauvreté. Le changement climatique rend les pâturages réguliers inutilisables, ce qui oblige les éleveurs à déplacer leur bétail vers des zones susceptibles de les mettre en conflit avec les agriculteurs. Les effets du changement climatique ont également augmenté le nombre de personnes déplacées à l’intérieur du pays en Somalie. Les personnes déplacées à l’intérieur du pays sont exposées aux efforts de recrutement de groupes tels qu’al-Shabab et modifient la composition démographique et la composition ethnique des zones. »
Les terroristes sont arrivés dans mon village, Bulaa Gudud, en 2008. Ces groupes armés tirent parti de la fragilisation de nos ressources, ce qui rajoute à l’insécurité ambiante marquée par 25 années de guerre civile, de guerre de clans. « Beaucoup de gens préfèrent s’adresser aux tribunaux d’al-Shabab, car ils sont moins corrompus et leurs décisions sont appliquées parce qu’al-Shabab a toujours la capacité d’utiliser la force pour survivre. Bien sûr, c’est quelque chose qui sape directement tout le processus de construction de l’État », a déclaré un officier de la MANUSOM cité dans le rapport.
De la sagesse de mon père…
Je ne suis pas allé à l’école, ce que je sais, je l’ai appris au contact de mon père, de ma famille et de mon village, de mes animaux, de la nature. Mon père est un Sage soufi, je l’ai toujours vu parler aux arbres, à l’air, aux oiseaux. Pour moi, comme pour mes amis, rien n’est plus normal et acquis comme une vérité.
Une buse venait se poser sur son épaule quand il dispensait son enseignement auprès des étudiants venus parfois de loin pour vivre avec nous et se former à l’art d’être au monde, à Dieu, selon mes ancêtres en ligne directe dont nous transmettons l’héritage depuis des siècles.
Mon père a été assassiné par les terroristes parce qu’il parlait aux oiseaux et qu’il honorait les morts, nos morts, ceux pour qui nous construisons des mausolées. Comme celui de mon grand-père, l’endroit même où nous nous sommes faits attaqués en plein cérémonie soufi un soir sans lune.
Je me souviens des nuages, je me souviens de la pluie. Je me souviens des balles qui sifflaient autour de moi. Je me souviens de la forêt d’épines qui se refermait sur moi m’offrant l’abri idéal, pour survivre ou mourir.
Mourir, dans mon pays, c’est une réalité dès le matin au réveil, car tu ne sais pas si tu seras encore en vie le soir. C’est une chose de mourir décapité en place publique comme mon frère Mohamed ou de perdre son sang pendant que vous êtes recherché par des jeunes de votre âge qui veulent finir le travail.
Je déteste les hyènes. Pourtant je préférais cette mort certaine pour leur servir de repas plutôt que penser que je ne pourrais pas accéder à ce qui fonde mes croyances, parce que des gens sans foi au nom de la mienne, l’islam, n’ont rien de mieux à faire que de nous raccourcir.
… à ma prise de conscience en Europe
Dit comme ça, j’imagine que vous pouvez comprendre pourquoi évoquer le réchauffement climatique et les questions d’environnement, c’est un exercice qui m’est plus étranger que je ne le suis, loin de ma Somalie toujours en prise à la guerre civile et au terrorisme.
En prise aussi, et c’est là que le réchauffement climatique refait surface dans cet article, aussi naturellement que ce fléau l’est, la pire invasion de criquets pèlerins depuis 25 ans, comme si d’un coup la Bretagne disparaissait dans un nuage étourdissant, synonyme de famine.
L’invasion de criquets balayant la Corne de l’Afrique a été déclarée « urgence nationale » en Somalie, où ces insectes dévastent l’approvisionnement alimentaire dans l’une des régions les plus pauvres et les plus vulnérables du monde, a annoncé le ministère somalien de l’Agriculture, le 2 février.
La communauté internationale s’organise pour venir en aide aux populations sinistrées, déjà très pauvres et adaptées comme beaucoup de nomades à des environnements hostiles.
Ce sont des articles et des vidéos trouvés au hasard de mes recherches sur internet qui m’ont fait prendre conscience de notre impuissance face aux lois de la nature, que nous identifions dans notre religion à une malédiction divine.
En Europe, j’ai pris conscience que le réchauffement climatique est un vrai problème pour la planète toute entière, que cette menace associe la responsabilité de modes de production très polluants, liés à des logiques de consommation que je n’ai pas connues en Afrique, et des mécanismes naturels, comme la fonte des glaces qui s’accélère et influe à son tour sur le climat, sur la montée des eaux.
S’il n’y avait pas la guerre, ma terre serait l’Eden
Je suis fier de mon héritage et j’aimerais pouvoir le transmettre. Il m’a permis de grandir dans un environnement qui ne connait pas d’autre stress que la peur du lion ou la recherche d’un dromadaire égaré. J’ai grandi à l’air pur, je n’ai jamais mangé, avant de fuir mon pays, que de la bonne nourriture, bien fraîche.
Chaque jour, je pense au lait de mes chamelles qui me protégeait de toutes les maladies et me donnait force et énergie. Même le lion, qui m’a donné quelques sueurs et frayeurs, je le considère comme un frère. Nous vivons dans la même forêt, cela suffit à faire de nous les mêmes membres d’un tout.
J’ai grandi loin de la ville, loin de la pollution, loin des technologies ultra sophistiquées que j’utilise au quotidien aujourd’hui comme un jeune européen. Mais contrairement à mes nouveaux amis, je sais ce qu’est la nuit, de dormir à la belle étoile, de me nourrir pendant trois mois exclusivement du lait de mes chamelles, ni eau, ni nourriture oblige.
Je n’ai jamais eu peur de marcher pendant des heures, pendant des mois, à la recherche de pâturage pour mon troupeau, de jour comme de nuit, ou pour retrouver des jeunes et partager notre danse traditionnelle, le Dhanto, interdite par les terroristes.
Ici, il n’y en a que pour la voiture, qui vous rend dépendant de tout. Du temps comme du pétrole et de l’argent. Qui vous rend malade aussi, et flasque, à force de vous déplacer sans bouger. Alors bien sûr, avec les publicités qui vantent la voiture électrique, je me dis que le progrès apporte finalement une partie de solution au problème du réchauffement climatique.
Alors bien sûr, il reste le jogging avec des chaussures créées pour tel ou tel usage sportif, quand je n’ai toujours eu que des sandales, le jogging et les salles de sport. Le hic, c’est que c’est une solution de riche pour problème de riche. Même vos pauvres continuent de rouler au diesel en France.
Chez moi, nous disons comme vous « L’union fait la force ». Je ne vois pas comment assurer un avenir meilleur à la planète et aux populations, si l’urgence ne s’accompagne pas d’une prise de conscience généralisée et d’un effort partagé, solidaire.