Guiti News

[Tribune] Pour un changement de l’accueil, l’emploi et la valorisation des personnes réfugiées en France

Une tribune collective / Dessin : Oriane Sebillote pour Paris d’exil


«Les étrangers ne mangent pas le pain de français, ils le fabriquent !», constatait en substance Fernand Raynaud en 1972, en jouant Le Douanier. Les idées reçues à propos de l’immigration en France n’ont pas vraiment évolué depuis les années 1970 : les personnes migrantes vivraient aux crochets de la société française, aux dépens de l’emploi des français.e.s…

Les mouvements de population, déplacements, migrations, exil, existent depuis toujours. Tandis que les voies légales d’accès à la migration ne cessent de se réduire, on constate en France une polarisation politique et sociale. Une partie de la population tourne le dos à l’accueil des étranger.ère.s sur son sol, voire rejette le principe même du droit d’asile et de l’ouverture des frontières.

Le collectif s’est rassemblé autour de la conviction que l’inclusion des personnes issues de l’immigration dans la société française est une condition indispensable à l’épanouissement de notre démocratie, que l’Autre, loin d’appauvrir ou de menacer la société, l’enrichit au contraire de sa diversité, et que le rayonnement d’une nation se mesure à sa capacité à accueillir et inclure. Or, l’inclusion des personnes réfugiées en France se heurte à de nombreuses barrières.

« Les migrations accroissent le produit intérieur brut des pays d’accueil »

L’un des freins essentiels est l’accès rapide au marché du travail, qui est un déterminant important de l’intégration sociale des personnes réfugiées. Loin de voler le travail des Français.e.s, les travailleur.euse.s immigré.e.s sont complémentaires plutôt que concurrents des travailleurs nationaux.

D’après Jean-Christophe Dumont, chef du département migrations à l’OCDE : « Il n’y a pas de doute, les migrations accroissent le produit intérieur brut des pays d’accueil, en stimulant la consommation et l’activité ». Dans une étude publiée en 2018, des chercheur.euses du CNRS ont conclu, à propos du cas spécifique des demandeurs d’asile et sur la base de données issues de quinze pays européens, que leur travail entraînait une hausse du PIB par habitant, évaluée à 0,32% sur deux ans.

Ne considérer que les coûts d’une politique d’accueil, ce n’est regarder qu’une partie de l’équation, et alimenter le fantasme de profiteur.se.s sociaux sans lien objectif avec la réalité des prestations sociales accordées aux étranger.ère.s et le non recours aux droits.

Lorsqu’on envisage la question dans sa globalité, en tenant compte à la fois de la contribution qu’apportent les personnes exilées à l’économie et à la fiscalité française, et ce qu’elles reçoivent en prestations et en services publics, on s’aperçoit qu’elles contribuent plus en impôts, en taxes et en cotisations sociales qu’elles ne reçoivent en prestations individuelles (aides sociales, aides au logement, retraites).

De la persistance de nombreux obstacles : manque de capital social, discrimination, méconnaissance du marché du travail…

Encore faut-il permettre à ces personnes de travailler. Car les obstacles sont nombreux: reconnaissance limitée des diplômes et de l’expérience antérieure, méconnaissance du marché du travail du pays d’accueil, manque de capital social, discrimination, manque d’accompagnement et de coordination des acteurs sociaux, et surtout période longue d’interdiction d’exercer une activité professionnelle compte tenu des délais de plusieurs mois, voire années, avant l’obtention d’un statut l’autorisant.

La France fait partie aujourd’hui des pays européens aux réglementations les plus restrictives quant à l’accès au marché du travail des demandeur.euse.s d’asile.

Les études montrent que plus la période d’attente, et donc celle sans activité professionnelle est longue, plus les impacts négatifs sur l’intégration future sont importants. Les trajectoires professionnelles empruntées sont le plus souvent précaires, offrent moins de possibilités pour une ascension socioprofessionnelle et, de ce fait, ralentissent les autres dimensions de l’intégration : sociale, culturelle, linguistique et résidentielle.

Une politique d’intégration qui maximise l’accès des personnes réfugiées à l’emploi est doublement bénéfique : plus l’accès au marché du travail est rapide et facilité, plus la contribution nette à l’économie est positive (emplois en tension, contributions sociales, consommation), et plus l’inclusion sociale et culturelle est aisée.

Autre idée reçue : la plupart des personnes réfugiées seraient peu instruites et n’auraient pas de compétences et de savoir-faire à apporter à la société d’accueil. En réalité, une partie non négligeable des personnes exilées ont un niveau d’instruction relativement élevé, la proportion de personnes titulaires d’un diplôme supérieur à Bac+2 y est même plus importante que dans la population française en général.

Les personnes réfugiées apportent à la société d’accueil leur savoir, leur langue et leur culture

Au-delà du niveau d’éducation et des compétences professionnelles, les personnes réfugiées apportent également à la société d’accueil leur savoir, leur langue et leur culture : pratiques culinaires, sportives, artisanales, éducatives, artistiques…

Autant de trésors peu valorisés, voire rendus invisibles, qui pourtant participent pleinement au dynamisme et à la richesse de notre pays.

Face à ces constats, nous, les associations Causons, du Pain & des Roses, Kabubu, Refugee Food et Weavers, agissons au quotidien pour l’inclusion sociale et professionnelle des personnes réfugiées. Grâce à des programmes structurés de mobilisation, d’accompagnement, de formation et de mise en situation professionnelle, nous valorisons les qualifications de nos publics dans des domaines aussi variés que l’enseignement des langues, la création florale, l’animation sportive, culturelle et de loisirs, la cuisine, la restauration et la couture.

Réunies autour d’une vision commune, celle d’une société sans barrière culturelle, où les personnes réfugiées sont accueillies dignement et reconnues pour leurs compétences, leur savoir et leur culture, nous avons choisi de nous rapprocher en constituant un collectif associatif, avec la volonté de partager nos pratiques et mutualiser des ressources, dans le but d’accroître notre capacité à agir et notre impact auprès de nos bénéficiaires.

Inverser le rapport traditionnel avec les personnes réfugiées

Nous visons un changement systémique des conditions et dispositifs d’accueil et d’inclusion socioprofessionnelle.

Notre particularité? L’inversion du rapport traditionnel avec les personnes réfugiées, et la reconnaissance de leurs cultures et leurs contributions à la société. Ainsi, Causons propose aux adultes et aux enfants de Paris et de Lyon d’apprendre les langues arabe, turque, russe ou persane, avec des enseignant.e.s natif.ve.s.

Des compositions florales, issues de fleurs françaises et de saison, réalisées par des femmes en insertion sont proposées par du Pain & des Roses dans un kiosque à Paris, à la vente en ligne ou pour l’évènementiel.

Avec Kabubu, la pratique et les animations sportives permettent de nouer des amitiés entre personnes réfugiées et locales à Lyon et en île-de-France.

Refugee Food permet de révéler les talents culinaires venus d’ailleurs, en les orientant et les formant aux métiers de la restauration, et en proposant par ailleurs un service de traiteur ainsi qu’un restaurant d’insertion, ouvert à tous.

Weavers mobilise ses bénéficiaires à travers la région Auvergne Rhône- Alpes autour des savoir-faire (couture, cuisine), notamment en portant le programme Des étoiles et des Femmes donnant l’opportunité à des femmes talentueuses de travailler auprès de chef.ffe.s étoilé.e.s localement.

Pour que le vivre-ensemble ne soit pas qu’une utopie

Nous nous heurtons néanmoins dans notre action à une politique de l’accueil dommageable, tant pour les personnes réfugiées que pour la société d’accueil. Les difficultés constantes d’accès à l’emploi, à la formation et au logement, le peu de considération pour le travail indispensable d’accompagnement social et professionnel le plus tôt possible dans le parcours d’intégration des nouveaux et nouvelles arrivant.e.s, sont autant d’obstacles à une insertion rapide et fluide.

En particulier, l’accès à l’activité professionnelle permet non seulement d’acquérir une autonomie financière, mais elle est également un élément clé de l’intégration sociale, linguistique, résidentielle et culturelle des personnes réfugiées. Plus tôt la capacité d’intégration est mise en œuvre, plus elle est aisée et plus les bénéfices pour les nouvelles et nouveaux arrivant.e.s comme pour les résident.e.s de longue date seront importants.

Par conséquent, le rôle de la société d’accueil est primordial. Au-delà de ces considérations d’ordre social et économique, lorsque les conditions matérielles d’accueil des personnes réfugiées sont défaillantes, l’accès au travail devient un impératif pour leur garantir une vie digne et humaine.

Aujourd’hui, à l’occasion de la journée mondiale des réfugiés, nous appelons collectivement les institutions, la société civile et les citoyen.ne.s à un changement profond et durable des conditions d’accueil, d’emploi et de valorisation des personnes réfugiées en France.

Nous demandons en particulier l’accès à l’emploi effectif des demandeur.euse.s d’asile dès le début de leur procédure, ainsi que la reconnaissance de leurs diplômes et qualifications. Au bénéfice d’une société apaisée où le vivre-ensemble n’est pas qu’une utopie.

Signataires : Causons (une association qui accompagne, forme et rémunère des personnes migrantes et réfugiées pour qu’elles partagent leurs langues et leurs cultures) ; du Pain & des Roses (qui forme des femmes en réinsertion au métier de fleuriste) ; Kabubu (une association qui forme notamment des personnes primo-arrivantes aux métiers du sport et de l’animation) ; Refugee Food (un restaurant d’insertion, un service traiteur, des formations professionnalisantes dans les métiers de la restauration et un programme d’aide alimentaire) et Weavers (ex Tissu Solidaire) (dont les programmes visent à créer du lien entre personnes exilées et résidentes et à favoriser le retour à l’emploi, à travers les savoir-faire manuels).

Notes :

(1) tous bénéficiaires d’une protection internationale, demandeur.euse.s d’asile, réfugié.e.s, bénéficiaires de la protection subsidiaire, apatrides