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    Nous savons sauver des vies… quand nous décidons de le faire

    Avec la survenue du covid-19, l’on nous répète que la vie est en jeu. Il nous est demandé de faire preuve de solidarité, de rester à la maison pour protéger nos existences et celles des autres. Il n’y a pas de prix à la vie humaine. Ou peut-être y en a-t-il un ? Contrairement à la pandémie […]

    Avec la survenue du covid-19, l’on nous répète que la vie est en jeu. Il nous est demandé de faire preuve de solidarité, de rester à la maison pour protéger nos existences et celles des autres. Il n’y a pas de prix à la vie humaine. Ou peut-être y en a-t-il un ? Contrairement à la pandémie actuelle, les grandes puissances n’ont pas agi pour sauver des millions de vies humaines dans cette dernière décennie. L’Europe, en particulier, s’est illustrée par son impuissance. Près de douze millions de syriens ont été déplacés, plus de trois millions d’irakiens ont fui leur foyer face à la violence de l’État islamique et l’Afghanistan comptabilise un sordide bilan annuel de milliers de morts. Il faut tirer de la crise du covid-19 une leçon de perspective et de responsabilité. Agissons.

    Une tribune de Nir Boms et d’Hussein Aboubakr / Traduite de l’anglais par Leïla Amar / Dessin : Gaspard Njock.


    Les dernières semaines nous ont éveillés à une réalité nouvelle et sans précédent. Notre vie est en jeu, nous dit-on, et la vie est précieuse, inestimable en fait. Le monde a besoin que nous agissions pour sauver des vies. Il n’y a pas de prix pour la vie humaine. À moins, bien sûr, que ce soit la vie de quelqu’un d’autre ou la guerre de quelqu’un d’autre. Pour cela, nous n’arrêterons pas notre monde.

    L’épidémie nous a posé une question réelle : jusqu’où sommes-nous prêts à aller pour protéger et préserver la vie ? Pour la plupart d’entre nous, citoyens du « monde chanceux », c’est la première fois qu’une telle question se pose, non pas dans un sens métaphysique, mais comme une question ayant des conséquences tangibles.

    La perturbation et l’arrêt quasi-complet du monde sont dus aux mesures drastiques prises à l’échelle internationale pour freiner la propagation du virus. Les États ont fermé leurs frontières, mis leurs citoyens en quarantaine et déclaré des états d’urgence. Des milliards de dollars sont dépensés pour des mesures de confinement d’urgence, sans parler des milliards perdus dans le déclin des activités économiques. Ces mesures ne sont pas le produit d’une peur injustifiée. Nous comprenons que même si le taux de mortalité de la pandémie est de 1 %, sauver ces vies vaut la peine de faire tout ce que nous pouvons.

    Des mesures strictes à l’échelle mondiale

    Ces préoccupations pour la vie humaine semblent balayer tous les autres projets et priorités. Les pays de l’UE ont cessé de fonctionner en tant que consortium et sont rapidement revenus à des politiques nationales visant à protéger leurs populations individuelles. Les États-Unis ont déclaré l’urgence nationale. Les pays du Moyen-Orient ont également fermé leurs frontières et, ironiquement, même les organisations terroristes ont ralenti leurs activités. La catastrophe mondiale a changé les priorités de chacun. 

    A l’heure actuelle, 191 000 décès sont à dénombrer dans le monde. Nos mesures visent à ralentir la progression du virus et à « aplatir la courbe ». Mais que devons-nous faire de plus si ce nombre de morts devait grimper à 500 000? Et s’il approchait le million ?

    Plus de chances de survivre à l’épidémie qu’à un conflit

    En ce qui concerne les crises mondiales, ces chiffres ne sont ni fictifs, ni inventés. Ce sont des nombres très réels de vraies vies perdues au cours de la dernière décennie seulement. 700 000, c’est le nombre de Syriens qui ont perdu la vie depuis le début de la guerre civile syrienne en 2011 avec un pic de 20 000 morts par mois. Les systèmes de santé syriens, les écoles, les infrastructures, l’eau et le système d’assainissement ont été entièrement détruits. Les marchés et les bazars autrefois grouillants des centres-villes historiques ont été réduits en ruines et en cendres. Les parents ont enterré leurs enfants, morts sous les bombes ou noyés en Méditerranée.

    Le coronavirus peut peut-être épargner la vie des enfants, mais pas la guerre. Des enfants comme Alan Kurdi, le petit garçon syrien de 3 ans échoué sur une plage turque, ont plus de chance de survivre à l’épidémie que de survivre à un conflit humain.

    Le lourd bilan du Moyen-Orient

    Près de douze millions de syriens ont été déplacés à l’intérieur et à l’extérieur de la Syrie. Dans le même temps, plus de trois millions d’irakiens ont fui leur foyer face à la violence de l’État islamique. En Afghanistan, la dernière décennie a été la plus meurtrière et la plus dévastatrice à ce jour avec des dizaines de milliers de morts par an. Des millions d’afghans ont fui vers le Pakistan, la Turquie, puis ont rejoint les syriens et les irakiens dans leur exode vers l’Europe. La dernière décennie a fait plus de morts et de familles déplacées qu’à aucun autre moment depuis la Seconde Guerre mondiale.

    Pourtant, et contrairement à la pandémie actuelle, le monde n’a absolument pas agi. Les pays du Moyen-Orient n’ont pas réussi à maintenir la stabilité dans leur région, à arrêter le virus de la violence et à absorber les réfugiés des pays voisins. Incapable ou réticente à intervenir, l’Europe s’est révélée totalement impuissante face à une vague de milliers de nouveaux arrivants. Les actions décisives mises en place aujourd’hui étaient pour le moins absentes en ce qui concerne la Syrie, le Congo, le Yémen ou le Darfour.

    Des conditions sanitaires inégales

    Aujourd’hui, l’ONU et les organisations humanitaires doivent prendre en charge près de 70 millions de réfugiés dans le monde. L’épidémie du COVID-19 est particulièrement menaçante pour ceux qui ne peuvent pas se laver les mains aussi souvent que nous, ceux qui n’ont pas de maison ou de gouvernement sur lequel compter. Avec une réduction de la main-d’œuvre, des déplacements et des efforts humanitaires dans le monde, ces familles déplacées risquent à nouveau d’être victimes d’un destin tragique.

    Les virus sont dangereux. Les maladies infectieuses restent responsables d’environ un quart des décès dans le monde, causant au moins dix millions de décès par an – bien que principalement en Afrique. La violence – dirigée par l’État pour la plupart – tue des centaines de milliers de personnes par an et le Coronavirus sera, espérons-le, vaincu avant d’atteindre ces chiffres. Sommes-nous en train d’éluder nos priorités si nos réactions face à de plus grandes calamités ne sont pas aussi vigilantes que nos réactions face à la pandémie actuelle?

    Ces mots ne sont pas écrits pour critiquer notre comportement actuel d ’ « isolement social » ni pour comparer des catastrophes. Après tout, la vie n’a pas de prix et nous nous devons de les protéger, surtout lorsque la menace est à nos portes. Mais peut-être que le temps passé chez nous pourrait nous aider à tirer une autre leçon de cette crise ? Une leçon de perspective et de responsabilité. Nous savons comment sauver des vies lorsque nous décidons de le faire. Mais nous avons sacrifié beaucoup plus de vies par notre inaction que nous en avons sauvées maintenant par l’action. Cela ne devrait-il pas nous apprendre que nous devons agir un peu plus ?.

    Le Docteur Nir Boms est l’auteur de « La guerre syrienne entre justice et réalité politique (CUP) et professeur au Dayan Center for Middle East Studies. Hussein Aboubakr est un écrivain et analyste égypto-américain.

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