« Prendre un nouveau chemin constitue une responsabilité historique, et nous prenons cette responsabilité devant notre société », a ainsi clamé le démissionnaire Ahmet Davutoglu. Mais, le Premier ministre d’Erdogan et leader de l’AKP entre 2014 et 2016, n’est pas le premier à quitter le navire.
Le 8 juillet 2019 déjà, Ali Babacan, l’un des fondateurs de l’AKP, ancien ministre de l’Economie de 2002 à 2007 ainsi que des Affaires Étrangères de 2007 à 2009, a également claqué la porte de son parti. Babacan, figure incontournable de l’AKP garde le silence depuis un moment. Absent des réseaux sociaux, son dernier tweet remonte à 2015.
Un silence rompu depuis la défaite historique aux municipales du 31 mars dernier, où le parti d’Erdogan a perdu trois grandes villes turques, dont Istanbul. Une opportunité qui a donc été saisie par les offensés d’un pouvoir qui dure depuis plus de quinze ans, pour créer leur propre futur politique.
Après sa démission, Babacan a déclaré dans une interview au journal Karar vouloir créer un nouveau parti avec le soutien de l’ex-Président turc Abdullah Gül, se donnant comme date butoir la fin de l’année 2019.
Quel poids face à Erdogan ?
Dans cette même interview, Babacan évoque son respect pour Davutoglu, tout en mettant en lumière leurs divergences quant à leur méthode politique. Ainsi, même s’ils sont “très proches”, ils ne se retrouveront pas dans le même parti.
Nous devons donc nous attendre à la naissance de deux partis de l’AKP dans un futur proche. Mais, quelles sont leurs chances face à Erdogan? Selon les dernières sondages de ORC, un institut d’enquête turc, les électeurs préfèrent Babacan à Davutoglu.
Quelque 11% d’électeurs disent vouloir voter pour lui, quand 62,5 % ne veulent pas s’y résoudre. Pour siéger à l’Assemblée nationale turque, un parti politique doit au moins comptabiliser 10% de votes.
Côté Davutoglu, les choses se compliquent. Lors de ce même sondage, il a été crédité de 8,5 % d’intentions de vote. Avec un tel score, il ne peut pas prétendre entrer à l’Assemblée nationale.
Même si ces scores là ne leur permettront pas d’accéder au pouvoir, ils vont néanmoins impacter le résultat du parti d’Erdogan, car tous trois s’adressent au même électorat conservateur. La naissance de ces deux partis peut même déboucher sur une guerre ouverte sur la scène politique turque, dominée depuis presque deux décennies par Erdogan.
Dans le même temps, cette division chez les islamistes va donner du grain à moudre au CHP, opposant principal d’Erdogan, qui tient là une chance d’accéder au pouvoir. S’il n’y a pas d’élection générale anticipée, les Turcs se rendront aux urnes le 23 juin 2023.
Guerre entre Islamistes : épisode 2
Nous n’assistons pas là à la première guerre des Islamistes. La première division remonte à 2013, avec la scission entre le mouvement Gulen et son ancien partenaire de l’AKP. Aux yeux des Gulenistes, l’AKP reste un parti corrompu qui n’a jamais répondu de ses actes devant la justice. En réponse, l’AKP a crié au complot et à la connivence entre les Gulenistes et le monde judiciaire et policier.
Cette première guerre des Islamistes a bouleversé le pays. Nous avons depuis assisté à une tentative de putsch, à la fermeture de médias, à un changement conséquent d’investisseurs, à une pression et à une purge considérables.
Suite au putsch et à la promulgation de décrets, au moins 130 000 personnes ont perdu leur emploi, et quelque 50 000 d’entre eux sont en prison. Des enfants, des bébés sont même emprisonnés (environ 700). De la même manière, on compte au moins 130 journalistes dans les geôles turques.
Erdogan a pris pour habitude d’appeler ses opposants des terroristes. Attendons un peu de voir si c’est aussi comme cela que les nouveaux partis de Babacan et de Davutoglu vont être considérés. Et si oui, au bout de combien de temps? Ce qui se profile en tout cas, c’est une seconde guerre des Islamistes, dont on ne perçoit pas encore tous les contours.
Illustration : De gauche à droite : Ahmet Davutoğlu, ex-Premier ministre, Recep Tayyip Erdoğan, Président actuel de la Turquie et Ali Babacan, ex-ministre de l’Economie.
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