L’actualité mondiale, et plus particulièrement la presse française, est saturée d’articles portant sur les actions et les dires du président Trump. Par son utilisation constante des réseaux sociaux afin de promouvoir sa politique, de critiquer l’opposition ou tout simplement de commenter l’actualité, Trump a réussi à contrôler sa couverture médiatique dans la presse internationale. Si ses déclarations à caractère raciste et xénophobe font souvent la une des journaux, peu de journalistes ou d’avocats ont analysé sa politique migratoire dans son ensemble. Détention d’enfants et séparation des familles ou refus du statut de réfugié pour les individus victimes de violences sexuelles et sexistes, penchons-nous sur les cinq réformes du président américain qui font de l’immigration un crime.
Texte : Dalva Barrère / Dessin : Al-Mata
L’entreprise de dégradation des conditions d’accueil et d’augmentation des violences faites aux migrants aux Etats-Unis n’est pas nouvelle. L’administration Obama avait notamment généralisé le recours aux mesures d’éloignement du territoire pour les nouveaux arrivants sur le territoire américain. Cependant, l’administration Trump a transformé « l’immigration illégale » en une situation d’urgence qui justifie le déploiement d’un arsenal politique et juridique sans précédent.
La loi sur l’immigration et la nationalité américaine (Immigration And Nationality Act, ou INA) considère que l’entrée illégale sur le territoire est un crime depuis 1929. Si cette loi s’appliquait à tous les migrants, son but assumé était de réduire l’immigration en provenance du Mexique, qui était perçue comme une menace pour l’économie états-unienne. Défendue par le sénateur Blease, qui se revendiquait comme suprémaciste blanc, cette loi a créé la notion d’ « immigrant illégal » en droit américain. Les discriminations et violences auxquelles doivent faire face les migrants en provenance du continent américain sont ancrées de manière historique dans la législation américaine.
Cependant, l’arrivée au pouvoir de Trump signe une ère de démantèlement du droit d’asile aux Etats-Unis et d’aggravation des conditions d’accueil des migrants. Cette politique a pour but de dissuader et punir les individus qui cherchent à solliciter l’asile aux Etats-Unis. Une pratique contraire à la Convention de Genève.
Parmi ces politiques et pratiques, on compte la criminalisation de la migration, la détention des enfants et la séparation des familles, le refus du statut de réfugié pour les individus victimes de violences sexuelles et sexistes, le refus de la carte de résident permanent aux migrants bénéficiant d’aides sociales et le recours à la règle du « premier pays d’asile ».
Franchir la frontière est un crime
Selon l’administration Trump, la « tolérance zéro » doit conduire à des poursuites pénales pour tout migrant (demandeur d’asile, ou autre) qui franchit la frontière hors des points d’entrée désignés. Or, de nombreux rapports d’organisations de défense des droits civiques démontrent que les agents de la patrouille frontalière mentent régulièrement aux demandeurs d’asile qui se présentent aux points d’entrée.
Ceux-ci ont pris pour habitude d’affirmer que « les Etats-Unis ne reconnaissent plus le droit d’asile » ou que « la frontière est fermée ». Ces stratégies, qu’elles soient d’initiative individuelle ou répondant de consignes émanant d’instances gouvernementales, sèment la confusion au sein des individus qui se présentent à la frontière.
De plus, elles les encouragent à entrer sur le territoire américain hors des points d’entrée désignés. Ce faisant, les migrants risquent leur vie (noyade, canicule, etc…) et sont dans l’immense majorité des cas considérés, une fois de l’autre côté de la frontière, comme des criminels et placés dans des centres de détention insalubres.
Pour la plus grande partie, ils sont reconnus coupables du crime d’entrée illégale sur le territoire américain, ce qui les expose au renvoi dans leur pays d’origine. Le durcissement par l’administration Trump de la politique migratoire aux États-Unis fait de l’entrée illégale sur le territoire un crime d’une gravité suffisante pour entraîner des mesures privatives de liberté et un renvoi vers le pays d’origine sans examen de la demande d’asile.
La détention des enfants et la séparation des familles
La politique de séparation forcée des familles a été mise en place en 2018, afin de dissuader et de punir les personnes entrant de manière irrégulière sur le territoire des Etats-Unis. Cette politique est une conséquence directe de la criminalisation systématique de l’immigration illégale.
Le droit américain prévoit depuis 1993 que les enfants non-accompagnés doivent être placés dans des centres de détention spécialisés et adaptés à leur âge. Cette mesure avait pour but initial de protéger les droits constitutionnels des enfants.
Cependant, la politique de criminalisation du franchissement de la frontière, mise en place par l’administration Trump, entraîne le placement en détention systématique des parents. Lorsqu’une famille franchit la frontière de manière illégale, les parents sont donc placés en détention et les enfants sont de facto considérés comme « non-accompagnés » et séparés de leur famille. Ces séparations entraînent des souffrances physiques et morales extrêmes.
Les enfants ne sont par exemple pas informés de la raison ou de la durée de la séparation. Depuis la mise en place de cette politique, on compte cinq enfants décédés sous la garde des agences de détention fédérales. Certains enfants auraient été drogués de force et violentés par les agents fédéraux et les conditions de détention sont épouvantables. Ils ont dû dormir dans des gymnases abandonnés, sur des matelas à même le sol, avec une couverture de survie.
Suite aux nombreuses critiques de cette politique inhumaine, la séparation des familles a été officiellement abandonnée par l’administration Trump le 20 juin 2018. Cependant, le gouvernement continue de séparer les familles en utilisant des fondements juridiques douteux, comme le « risque au bien-être de l’enfant » ou une présupposée « appartenance à un gang ».
Il est intéressant de noter que la politique de séparation des familles a été utilisée par le gouvernement américain afin de créer une situation de « crise urgente » permettant de justifier des mesures sécuritaires disproportionnées, dont le déploiement de l’armée à la frontière avec le Mexique. En créant une situation de violence et de maltraitance organisée des migrants, l’administration Trump peut maintenant affirmer que le pays n’est pas en mesure d’accueillir des familles nombreuses, et dissuader les parents qui craindraient de mettre leurs enfants en danger.
Le rejet des demandes d’asiles pour les victimes de discrimination en raison de leur genre
Depuis 1995, le droit d’asile américain reconnaissait formellement que les femmes qui sont victimes de violences sexuelles et sexistes dans une société où les femmes sont persécutées en raison de leur genre peuvent obtenir le statut de réfugié.
En 2018, l’ancien procureur général de l’administration Trump, Jeff Sessions, s’est saisi d’une décision de la Commission des recours en matière d’immigration (Board of Immigration Appeals) afin d’invalider des années de jurisprudence américaine et d’affirmer que « désormais, les demandes d’asile fondées sur des violences sexuelles et sexistes perpétrées par des acteurs privés doivent être rejetées ».
Cette mesure met en danger le sort de milliers de femmes qui fuient des violences conjugales, des mutilations génitales, ou des avortements forcés dans des pays où l’arsenal policier et judiciaire est incapable de les protéger et de punir les coupables. Selon l’administration Trump, les persécutions liées au genre sont de l’ordre de la « sphère privée », et ne peuvent pas donner lieu à l’obtention du statut de réfugié. Cette décision est particulièrement alarmante, car elle démantèle des années de progrès afin d’inscrire les discriminations en raison du genre dans le droit d’asile américain.
Le refus de la carte de résidence permanente aux immigrants bénéficiant d’aides sociales
De toutes nouvelles règles directrices annoncées par le gouvernement de Donald Trump mi-août accusent les migrants vivant sur le territoire américain bénéficiant de certaines aides sociales de représenter « une charge pour la société américaine », et suggèrent donc de refuser l’obtention d’une carte de résidence permanente (« green card »).
La règle de la « charge publique », selon laquelle un migrant qui cherche à s’installer sur le territoire américain ne doit pas représenter un poids pour l’Etat américain, est déjà présente dans la législation américaine depuis 1882. Cependant, cette nouvelle interprétation par l’administration Trump étend l’application de cette règle aux migrants qui bénéficieraient du programme d’assurance maladie gouvernemental Medicaid, des coupons alimentaires (food stamps) ou de l’aide au logement.
Cette décision pourrait affecter jusqu’à 22 millions d’étrangers résidant légalement sur le territoire américain. Elle vise expressément à faire de la pauvreté un crime et à signaler que les étrangers pauvres ne peuvent prétendre aux mêmes droits que les citoyens américains.
La règle du « premier pays d’asile » bientôt appliquée aux migrants à la frontière Mexique-Etats-Unis ?
A la mi-juillet, le gouvernement de Donald Trump a annoncé qu’il entendait mettre en place une règle dite du « premier pays d’asile », similaire à celle qui existe au sein de l’Union européenne avec le règlement Dublin. L’administration cherche en effet à refuser les demandes d’asiles déposées à la frontière par des migrants qui auraient transité par d’autres pays considérés comme sûrs.
En pratique, cette règle obligerait un demandeur d’asile en provenance du Honduras ou du Salvador à solliciter l’asile au Mexique ou au Guatemala, et non aux Etats-Unis.
L’application d’une telle règle par les Etats-Unis, sans la conclusion préalable d’accords bilatéraux avec les pays considérés comme sûrs, est de toute évidence contraire au droit international, aux lois américaines et au principe fondamental du bilatéralisme. En effet, selon les principes fondamentaux du droit international public et du droit international des réfugiés, un pays membre de la Convention de Genève doit respecter le principe de non-refoulement.
Ce principe prévoit que les Etats signataires de la Convention ne peuvent renvoyer un demandeur d’asile vers un pays où sa vie ou sa liberté peut être menacée. Il ne peut y être dérogé que s’il existe un accord bilatéral ou multilatéral qui prévoit que le premier Etat dans lequel le demandeur d’asile a pénétré est responsable de l’examen de la demande d’asile. C’est actuellement le cas au sein du système européen avec le règlement Dublin.
Donald Trump a obtenu mi-juillet la conclusion d’un accord migratoire avec le Guatemala, après avoir menacé d’augmenter les taxes douanières sur les exportations guatémaltèques. Cependant, un accord n’a toujours pas été conclu avec le Mexique.
Si les juridictions américaines ne se sont pas encore définitivement prononcées sur la légalité d’une telle décision, la Cour suprême a rendu ce 11 septembre un jugement préliminaire autorisant le gouvernement à refuser les demandes d’asile des migrants en provenance de l’Amérique centrale en attente d’une décision sur le fond. Ce jugement préliminaire, sans justification, permet à l’administration de gagner du temps afin d’obtenir un accord du gouvernement du Mexique. Si de tels accords sont conclus, les dynamiques de migration au sein du continent américain viendraient à être profondément modifiées.
Un futur sombre pour la politique migratoire américaine
Ces quelques mesures ne sont que le début d’une longue liste d’altérations du droit d’asile américain. L’administration Trump a choisi la voie d’un démantèlement organisé des protections offertes aux migrants, d’une institutionnalisation de la violence et d’un discours de la haine. Cependant, il ne suffit pas de critiquer ce tournant de la politique américaine. En effet, il s’inscrit dans un mouvement de détérioration des conditions d’accueil des demandeurs d’asile dans le monde. Pour lutter contre la politique d’asile de Donald Trump, il faut s’interroger sur le racisme institutionnalisé et la xénophobie qui sont au centre des notions d’« Etat » et de « frontière », aux Etats-Unis et en Europe.